GOÛT (n. m.)

FONDNESS (eng.) · GUST (eng.) · GUSTO (deu.) · GUSTO (ita.) · SMAAK (nld.) · TASTE (eng.)
TERM USED AS TRANSLATIONS IN QUOTATION
GOÛT (fra.) · TASTE (eng.)
TERM USED IN EARLY TRANSLATIONS
AARD (nld.) · ART (deu.) · GOÛT (fra.) · GUST (eng.) · GUSTO (deu.) · GUTER GOUT (deu.) · MODUS (lat.) · SMAAK (nld.) · TASTE (eng.)
BLANC, Jan, « GOÛT », dans HECK, Michèle-Caroline (éd.), LexArt. Les mots de la peinture (France, Allemagne, Angleterre, Pays-Bas, 1600-1750) [édition anglaise, 2018], Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2018, p. 230-235.
BOUCHAT, Gilda, « Diderot et la question du goût », dans MICHEL, Christian et MAGNUSSON, Carl (éd.), Penser l’art dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : théorie, critique, philosophie, histoire, Actes du colloque de Lausanne, Paris et Rome, Paris, Somogy, 2013, p. 405-420.
BRANDES, Uta (éd.), Geschmackssache, Actes du colloque de Göttingen, Göttingen, Steidl, 1996.
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HOFFMANN, Viktoria von, Goûter le monde : une histoire culturelle du goût à l’époque moderne, Bruxelles, Peter Brüssel, 2013.
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LE BLANC, Marianne, D’acide et d’encre  : Abraham Bosse (1604?-1676) et son siècle en perspectives, Paris, CNRS Éd., 2004.
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27 sources
51 quotations

Dans ce texte de Bosse, le terme "goût" est synonyme de "manière". [FH]

Quotation

Du Grand, de la Grande, & Riche Maniere ou bon Goust,
Ne veut dire ou signifier autre chose, qu’un Tableau bien fait & suivant le Goust ou opinion des plus sçavants Peintres.
 

opinion

Conceptual field(s)

CONCEPTS ESTHETIQUES → grandeur et noblesse
L’ARTISTE → qualités

Quotation

Je sçay bien que plusieurs diront que chacun a son goust, & c’est ce que j’avouë, mais je croy aussi que celuy qui est le mieux receu & reconnu des Sçavants en cét Art, doit estre tenu pour le meilleur, principalement quand on ne peut pas dire que dans le Temps qu’on fait ce discernement, l’on soit privé d’excellens hommes ainsi qu’en celuy-cy, duquel le grand nombre a fait, que la connaissance & curiosité de ces choses, a augmenté au point que les plus excellens Ouvrages de Peinture, qui n’estoient tenus pour tels que de peu de personnes, le sont à présent de la plus grande partie, & que ce qui venoit que tres-rarement à la connaissance de peu de Praticiens assez avancez, commence à present de ce faire connoistre & gouster aux petits Disciples, qui est ce grand Goust cy-devant dit, pris ou tiré des beaux Antiques, & de Raphaël d’Urbin, Jules Romain & autres, sur les manieres desquels je m’estendray icy de suite le trouvant à propos, pour faire voir aux Curieux & autres, que la connoissance que les excellens Praticiens ont de ses choses à comparaison des autres Manieres, est fondée sur quelque sorte de raison, & ne doit pas estre appelée une manie ; Je sçay bien que cette Vérité ainsi ingenuëment dite, pourra déplaire à quelques uns desdits Interessez, mais l’approbation des Sçavants & des Curieux raisonnables me suffit.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → connaissance

Quotation

Quant au Corege sa maniere est differente de celle du Titien, en ce qu’il n’a pas sceu cette harmonie de couleurs, cette belle conduite de lumieres, & cette fraischeur de teintes si admirable qu’on remarque dans les Tableaux du Titien, où il semble qu’on voye du sang dans ses carnations, tant il les represente naturelles. Mais en recompense le Corege a eu l’imagination plus forte, & a desseigné d’un goust beaucoup plus grand & plus exquis ; Et quoy qu’il ne fust pas tout-à-fait correcte dans son dessein, il y a neanmoins de la force & de la noblesse dans tout ce qu’il a fait. S’il [ndr : Le Corrège] fust sorti de son pays et qu’il eust esté à Rome, dont l’Ecole estoit beaucoup plus excellente pour le dessein que celle de Lombardie, on ne doute pas qu’il ne se fust formé une maniere qui l’auroit rendu égal à tous les plus grands Peintres de ces temps-là, puis que sans avoir veu ces belles Antiques de Rome, ny profité des exemples que les autres Peintres ont eus, il s’est tellement perfectionné dans son Art, que personne depuis luy n’a si bien peint, ny donné à ses figures tant de rondeur, tant de force, & tant de cette beauté que les Italiens appellent morbidezza, qu’il y en a dans les Peintures qu’il a faites.

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → école
EFFET PICTURAL → qualité du dessin

Quotation

Qu’ayant fait apprendre à dessiner & à peindre, à un jeune homme qui luy appartenoit ; Premierement par la pratique ordinaire, qui est à dire simplement à veuë d’œil ; puis ensuitte par celle des veritables Regles ; de prier ce Peintre de l’en vouloir exactement interoger.
Ce qu’ayant fait, & reconneû que ce Disciple sçavoit ces Regles precises & universelles, que luy [le peintre] mesme ignoroit ; aprés avoir en deux ou trois Conferances sur ce sujet longtemps contesté contre ; il avoüa franchement & de bonne foy son erreur ; mais en revanche il donna à ce Disciple de belles & bonnes instructions sur l’élection du bon goust ou choix des beaux objets sur l’Histoire, & aussi sur le Coloris

choix

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités

Quotation

LE DISCIPLE.
Si ces contestations avoient à se former sur des choses de Goust ou d’opinion, j’aurois peine à croire que l’on les pust facilement resoudre, mais comme ce que je pretend vous dire est démonstratif, il n’y aura comme je croy aucun lieu de contester.

opinion

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités

Quotation

LE PEINTRE.
Je ne croy pas, Monsieur, les [ndr : « les » renvoie aux « œuvres de feu Monsieur le Poussin », cf. la question posée par Ariste au peintre] pouvoir assez estimer, à moins d’avoir les mesmes lumieres que luy, mais autant que Dieu m’en a départy, je diray n’avoir jamais veu de Peintre si également universel & corect, ny qui eust un si grand & bon Goust que luy ; & de plus, le don de mieux exprimer l’air, les actions, & passions de ses figures ; ny enfin qui s’écartast plus du Goust moderne, & qui suivit mieux l’histoire tant sacrée que profane.

Le terme "goût" est associé à "grand", "bon" et "moderne"

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités
MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main

Quotation

LE PEINTRE.
En verité voicy de beaux & bons desseins, & d’un tres-bon Goust ; car vous sçavez bien qu’un Peintre ou semblable dessinateur, pourroit estre devenu un precis imitateur de toutes sortes d’objets, & mesme jusques à en pouvoir composer de semblables d’invention ou de ressouvenir
, qui ne seroit pas des plus estimés, s’il ignoroit ce qu’entre nous on nomme le bon ou grand Goust ; quoy qu’à le bien prendre il le deust estre, puisque sans contredit celuy qui est exact dessinateur de tous les objets qu’il pourroit avoir devant l’œil, auroit bien un plus grand avantage pour s’avancer à sçavoir en quoy consiste ce grand Goust, que celuy qui le sçauroit sans avoir l’acquisition du premier.

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main
L’ARTISTE → qualités

Quotation

ARISTE.
Monsieur, je suis tout preparé à vous entendre raisonner sur cette matiere tant qu’il vous plaira, puisque je sçay qu’elle n’est en partie fondée que sur des divers Gousts ou opinions.
LE PEINTRE.
Comme, Monsieur, a fort bien dit, que la belle proportion des figures humaines, autrement leur beauté, n’est point encore définie, & qu’ainsi tout ce que l’on en peut dire, n’est encore jusques à present que de pure opinion ou goust
 ; neantmoins avec sa permission, je ne laisseray pas d’avancer ; que nombre de personnes de sens, pourroient plûtost donner leur voix à la representation du corps d’un homme nud ou d’une femme, dont on en auroit recherché les proportions telles que je diray, que d’un autre tout contraire.

opinion

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main
L’HISTOIRE ET LA FIGURE → proportion
L’ARTISTE → qualités

Quotation

GOUST.
Goust en Peinture est une Idée qui suit l'inclination que les Peintres ont pour certaines choses : L'on dit, Voila un Ouvrage de grand Goust, pour dire, Que tout y est grand & noble ; que les parties sont prononcées & dessinées librement ; que les airs de testes n'ont rien de bas chacun dans son espece ; que les plis des draperies sont amples, & que les jours & les ombres y sont largement étendus. Dans cette signification l'on confond souvent Goust avec Maniere & l'on dit tout de mesme : Voila un Ouvrage de grande Maniere.

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main
PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → définition de la peinture

Quotation

Il y a mesme dans cét Art, comme dans la Peinture, ce qu'on appelle goust ; & chaque Ouvrier a le sien. C'est une disposition de l'esprit, qui, selon sa force, & la netteté de ses pensées, regarde les choses d'une telle maniére, qu'il en voit toûjours le plus beau, & donne un tour agréable à tout ce qu'il veut faire.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités

Quotation

Goust ; en Peinture, c’est un choix des choses que le Peintre represente, selon son inclination, & la connoissance qu’il a des plus belles & des plus parfaites. Lorsqu’il connoist, & qu’il exprime bien dans ses ouvrages ce qu’il y a de plus beau dans la Nature, on dit que ce qu’il fait est de bon goust. Et s’il ignore en quoy consiste la beauté des corps, & qu’il ne les represente pas selon la belle Idée que les anciens Peintres & Sculpteurs ont euë, on dit que cela n’est pas d’un bon goust, & de bonne maniere ; parce que la bonne maniere dépend en premier lieu du choix qu’on sçait faire des sujets, & des personnes qu’on se propose d’imiter. Le mot de Goust a une mesme signification dans la Sculpture, & dans les autres Arts qui dépendent du Dessein.

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → école
L’ARTISTE → qualités

Quotation

Vous voyez bien, reprit Pamphile, que le mot de Goust dans les Arts est Métaphorique: Nous l'avons transporté de la langue pour le faire servir à l'esprit : & de la mesme façon que nous disons que l'esprit voit, nous disons encore qu'il gouste c'est son employ de juger des Ouvrages, comme c'est celuy de la langue de juger des saveurs , l'un & l'autre décident de la bonté de leur objet à proportion qu'il les flatte, & qu'il leur plaist. L'on dit qu'un homme a le Goust fin, quand il aime ce qui est bon, & qu'il hait ce qui est mauvais dans les beaux Arts, comme dans les viandes & non seulement on met le Goust dans la langue, & dans l'esprit; mais encore dans les choses que l'on gouste ; & nous disons qu'il y a des Ouvrages comme des hommes de bon Goust. II y a feulement à observer, que le mot de Goust se prend en bonne part quand il est tout seul, & que si vous disiez, par exemple, il y a du Goust dans ce Tableau, cet homme a du Goust, cela vaudroit autant comme de dire, ce Tableau est d'un bon Goust, cet homme a le Goust bon.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement

Quotation

Je vous diray seulement que le Goust dans l'esprit généralement parlant, n'est autre chose que la manière dont l'esprit est capable d'envisager les choses selon qu'il est bien ou mal tourné ; c'est à dire, qu'il en a conçeu une bonne ou mauvaise idée. Et que le bon Goust dans un bel Ouvrage est une conformité des parties avec leur tout, & du tout avec la perfection.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement
L’ARTISTE → qualités
CONCEPTS ESTHETIQUES → beauté, grâce et perfection

Quotation

Croyez-moy, guérissez vostre goust, repartit Caliste, vous l'avez plus malade que vous ne pensez, voyez souvent l'Antique & vous y attachez un peu, si vous voulez juger de la Peinture.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement

Quotation

J'aymerois encore mieux n'y point aller [ndr : à Rome], repartit Leonidas, que d'en rapporter un goust artificiel comme font la pluspart de ceux qui en reviennent, & qui apres avoir oüi fort estimer les fresques de ce païs-là, sans distinction de ce qui y est estimable d'avec ce qui ne l'est pas, taschent de se dépoüiller de leur goust naturel pour les estimer aussi. Ils les voyent souvent, & à force de faire violence à leur bon sens, ils accoustument leurs yeux aux manières grises & sèches, lesquelles leur servent ensuite de règle pour juger de la Peinture. Ils content cette habitude comme un mystère qui leur avoit esté caché jusques alors, & croyent qu'il faut laisser aux âmes vulgaires l'admiration des tableaux.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → connaissance
SPECTATEUR → jugement
SPECTATEUR → perception et regard

Quotation

Ce que fait, dit Pymandre, que les Tableaux sont si differents les uns des autres dans le coloris, n’est-ce point que les ouvriers n’ont pas une égale connoissance de ce meslange ; car Denis d’Halicarnasse semble s’estonner de ce qu’encore que ceux qui peignent des animaux se servent tous de mesmes couleurs ; il y a cependant toujours beaucoup de difference dans leurs coloris. Or non seulement je remarque cette diversité dans ceux qui font des animaux & qui imitent les choses les plus simples de la Nature, mais aussi dans tous les grands Peintres qui ont représenté le corps humain. Car chacun le peint differemment & d’une maniere particuliere, comme ont fait le Guide, le Dominiquin, Lanfranc & tant d’autres, quoy qu’ils eussent estudié en mesme école, & qu’ils eussent, si vous voulez, un mesme sujet à imiter.
Ce n’est pas, luy respondis-je, le meslange seul des couleurs qui fait cette difference, mais ç’a esté un goust particulier, & une volonté propre à chacun de ces grands hommes qui les a portez à suivre une maniere particuliere selon qu’elle leur a semblé plus vraye & plus forte ; Et ce choix que chacun d’eux en a fait est d’autant plus estimable qu’on voit qu’ils approchent du vray & du beau.
De sorte que si dans les Tableaux de ces differents Peintres que vous avez nommez, il y a des carnations qui sont plus grises, d’autres plus rouges, & d’autres plus noires que le naturel, c’est un effet de l’inclination & du differend goust de ces maistres.

manière · inclination

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → école

Quotation

Nos plus grands Maistres s’y trouvent embarassez, & souvent ne conviennent pas entre eux ; ils se forment differentes idées de beauté ; lesquelles ils reglent presque toûjours suivant leur païs & leur tempérament.
Je dis suivant leur païs : car comme tous les hommes, dans leur air & dans leurs manieres, tiennent toûjours beaucoup du climat où ils sont nez, les Peintres se forment des goûts particuliers sur les objets qu’ils voyent sans cesse, dont ils se remplissent tellement l’imagination, qu’ils y conforment toutes leurs Figures.
De là vient qu’il y a des Provinces du nom desquelles on caracterise les peintres en disant c’est du goût de tel Païs, & qu’en effet ce goût se trouve, ou plus ou moins dans tous les Dessignateurs de ces Nations.
Pour ce qui est du temperament, il agit encore plus puissamment en nous. Comme c’est luy qui fait la distinction la plus essentielle d’un homme a un autre, il a part à tout ce que nous faisons. C’est dans ce sens qu’on peut dire qu’un Peintre se peint soy-mesme dans ses Ouvrages, & que si nous avions assez de penetration, nous y pourrions lire ses inclinations dominantes. Un sentiment secret né avec nous, & dont souvent on ne connoît pas la cause, est ordinairement ce qui nous determine dans nostre choix, & nous fait conformer nos figures à l’air des personnes pour qui nous aurions le plus de penchant.
Il y a mesmes des Peintres en qui le temperament est si marqué qu’on ne sçauroit s’y méprendre. Nous en avons eu qui ne se portoient d’eux-mesmes qu’à certains sujets ; les uns à des sujets agreables comme des bains de Diane, des jeux de Nymphes, & choses semblables ; d’autres choisissent toûjours des sujets rudes, des sortileges, des apparitions de morts, & toutes choses naturellement effrayantes.
Si l’on prenoit la peine de les observer suivant cette remarque, on trouveroit que la façon de vivre des uns & des autres répondoit à leurs Ouvrages, & que le caractere de leur esprit y estoit marqué, non seulement dans le choix des sujets, mais encore dans chaque Figure en particulier.

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → école
MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main

Quotation

Pour aprendre à bien manier la plume, rien n'est meilleur que de copier des Estampes des Caraches, & de faire avec la plume les contours & les hachures que le burin à tracez: car pour leurs desseins à la plume il faut estre déja fort avancé pour en profiter, ils sont touchez avec esprit et d’un goust merveilleux.

Conceptual field(s)

CONCEPTS ESTHETIQUES → beauté, grâce et perfection
CONCEPTS ESTHETIQUES → merveilleux et sublime

Quotation

Celui qui commence à dessiner doit se proposer d’abord trois choses ; la premiere, d’accoutumer son œil à la justesse ; la deuxiéme, d’acquerir de la facilité dans l’éxécution & de se rompre, comme on dit, la main au travail ; & la troisiéme, de se faire le goust aux bonnes choses.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités
L’ARTISTE → apprentissage

Quotation

Pour le goust, si on ne se le fait d'abord aux bonnes choses, il est bien difficile que l'on ne s'accoûtume aux mauvaises, lesquelles on ne quitte qu'avec beaucoup de peine, & où l'on demeure souvent presque toute sa vie. Nous venons de dire qu'il faut par un grand exercice accoustumer les yeux à juger, & la main à travailler avec facilité : si ces habitudes se contractent sur de mauvais modeles, le goust s'y fera insensiblement : car ce qui entre souvent dans l'esprit par les yeux, y demeure long-tems, & y fait une forte impression. Il est donc d'une extrême consequence de ne presenter d'abord aux yeux de ceux qui commencent à dessiner que des choses de bon goust, & que les desseins qu'ils imiteront viennent ou de l'Antique ou des Maistres généralement aprouvez.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → apprentissage

Quotation

Quand il [ndr : Poussin] envoya à M. de Chantelou ce Tableau de la Vierge dont je viens de parler, il voulut luy-mesme prévenir le jugement que l’on en feroit, & témoigner qu’il sçavoit bien qu’on n’y trouveroit pas tous les charmes du coloris & du pinceau. C’est pourquoy il écrivit à M. de Chantelou, de luy en mander librement son avis. Mais qu’il le prioit de considerer que tous les talens de la peinture ne sont pas donnez à un seul homme : qu’ainsi il ne faut point chercher dans son ouvrage ceux qu’il n’a pas receüs. Qu’il sçait bien que toutes les personnes qui le verront ne seront pas d’un mesme sentiment, parce que les goust des amateurs de la peinture ne sont pas moins differents que ceux des Peintres ; & cette difference de gousts est la cause de la diversité qui se trouve dans les travaux des uns & dans les jugemens des autres.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement

Quotation

Ce fut  assez qu’une chose eust esté faite ou dite par ces grands hommes pour estre incomparable, & c’est mesme encore aujourd’huy une espece de Religion parmy quelques Sçavans de preferer la moindre production des anciens aux plus beaux Ouvrages de tous les modernes. J’avouë que j’ay esté blessé d’une telle injustice, il m’a paru tant d’aveuglement dans cette prevention & tant d’ingratitude à ne pas vouloir ouvrir les yeux sur la beauté de nostre Siecle à qui le Ciel a departi mille lumieres qu’il a refusées à toute l’Antiquité, que je n’ay pû m’empescher d’en estre émû d’une veritable indignation […].
Il est vray qu’un celebre Commentateur m’a foudroyé dans la Preface de ses Notes, où ne me jugeant pas digne d’estre seul l’objet de son indignation, il s’adresse à tous les profanes qui se contentent comme moy de reverer les Anciens sans les adorer, & là du haut de sa science il nous traite tous de gens sans goust & sans autorité.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement
SPECTATEUR → connaissance

Quotation

Et puis ne vous ay-je pas dit plusieurs fois que les maniéres de peindre sont differentes dans tous ceux qui travaillent, parce que les gousts ne sont point semblables, & que chacun croit voir les choses, & en juger mieux qu’un autre.

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main
SPECTATEUR → jugement

Quotation

CXXXIII.
N’employez à aucune de ces choses [ndr : les fruits, les poissons, les reptiles, les oiseaux, les animaux, les figures et les fleurs] du Blanc de Plomb, il n’est propre qu’en Huile, & il noircit comme de l’Ancre, n’estant détrempé qu’à la Gomme, partïculierement si vous mettez vostre ouvrage dans un lieu humide ou avec des Parfuns, & la Ceruse de Venise est aussi fine, & d’un aussi grand blanc. De celuy-là, n’en épargnez pas l’usage, sur tout en ébauchant, & faites-en entrer dans tous vos meslanges, afin de leur donner un certain Corps qui empaste vostre ouvrage, & qui le fasse paroistre doux & moileux.

Le goust des Peintres est neanmoins different en ce point, les uns en employent un peu, d’autres point du tout ; mais la maniere de ceux-cy est maigre & seiche, les autres en mettent beaucoup, & c’est sans contredi la meilleure Methode & la plus usitée parmy les habiles Gens ; car outre qu’elle est prompte, c’est que l’on peut en s’en servant (ce qui seroit quasi impossible autrement) copier toutes sortes de Tableaux, nonobstant le sentiment contraire de quelques-uns, qui disent qu’en mignature l’on ne peut donner la Force & toutes les differentes Teintes qu’on void dans les Pieces en Huile, ce qui n’est pas vray, du moins pour les bons Peintres, & les effets le prouvent assez ; car il se void des Figures, des Païsages, des Portraits, & toute autre chose en mignature, touchez d’une aussi grande maniere, aussi vraye & aussi noble, quoy que plus mignonne & delicate qu’en huile.

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main

Quotation

Enfin il y a dans toutes choses un certain assaisonnement, qui en fait la juste proportion. C’est aussi ce qui flate & touche, le goût dans le mets : et c’est pour cela que les Peintres se servent encore du mot de goût, pour signifier l’éfet que les ouvrages dont dans leur esprit. Ainsi ils disent souvent, qu’un tableau est du bon ou du mauvais goût : dessiner du bon goût, c’est à dire, parmi eux, donner des belles proportions.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités

Quotation

Mais la commune opinion n’admet aucune définition du Beau. Le Beau, dit-on, n’est rien de réel, chacun en juge selon son goût, en un mot, que le Beau n’est autre chose que ce qui plaît.

Conceptual field(s)

CONCEPTS ESTHETIQUES → beauté, grâce et perfection
SPECTATEUR → jugement

Quotation

Dessein. Seconde Partie de la Peinture
Le bon Goût & la Correction du Dessein sont si nécéssaires dans la Peinture, qu’un Peintre qui en est dépourvû est obligé de faire des miracles d’ailleurs pour s’attirer quelque estime : & comme le Dessein est la base & le fondement de toutes les autres Parties, que c’est lui qui termine les Couleurs & qui débrouille les objets, son élégance & sa correction ne sont pas moins nécessaires dans la Peinture que la Pureté du langage dans l’Eloquence.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités

Quotation

The Goût is a mixture of Poussin’s usual Manner [ndr : il s’agit ici du Tancrède et Herminie, réalisé par Poussin], and (what is very rare) a great deal of Guilio, particulary in the Head, and Attitude of the Lady, and both the Horses ; Tancred is naked to the Wast having been stripp’d by Erminia and his ’Squire to search for his Wounds, he has a piece of loose Drapery which is Yellow, bearing upon the Red in the Middle Tincts, and Shadows, this is thrown over his Belly, and Thighs, and lyes a good length upon the ground ; ’twas doubtless painted by the Life, and is intirely of a Modern Taste. And that nothing might be shocking, or disagreeable, the wounds are much hid, nor is his Body, or Garment stain’d with Blood, only some appears here, and there upon the ground just below the Drapery, as if it flow’d from some Wounds which That cover’d ;

Taste

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main

Quotation

Goût en Peinture est une Idée qui suit l’inclination que les Peintres ont pour certaines choses : l’on dit voilà un ouvrage de grand goût, pour dire que tout y est grand & noble, que les parties sont dessinées librement, que les airs de têtes n’ont rien de bas, chacune dans son espece, que les plis des draperies sont amples, & que les jours & les ombres y sont largement étendus : dans cette signification l’on confond souvent goût avec maniere, & l’on dit tout de même : voilà un ouvrage de grande maniére.
Maniére est l’habitude que les Peintres ont prise, non seulement dans le manîment du pinceau, mais encore dans les trois principales parties de la Peinture, invention, dessein & coloris, & selon que cette habitude aura été contractée avec plus ou moins d’étude & de connoissance du beau naturel & des belles choses qui se voyent de Peinture & Sculpture, on l’appelle bonne ou mauvaise maniére ; c’est par cette maniére dont il est ici question, que l’on reconnoît l’ouvrage d’un Peintre, dont on a déjà vû quelque Tableau, de même que l’on reconnoît l’écriture & style d’un homme de qui on a déjà reçû quelque lettre : l’on dit même, connoître les maniéres, pour dire connoître de plusieurs Tableaux, & l’ouvrage de chaque Peintre en particulier. 

Ce passage est repris de De Piles (« Remarques sur l'art de peinture de Charles Alphonse Du Fresnoy », in DU FRESNOY, Charles-Alphonse et DE PILES, Roger, 1668, n.p.).

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → école
MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main

Quotation

En second lieu, comme le public n'est pas également éclairé dans tous les païs, il est des lieux où les gens du métier peuvent le tenir plus long-temps dans l'erreur qu'ils ne le peuvent tenir en d'autres contrées. Par exemple, les tableaux exposez dans Rome seront plutôt apprétiez à leur juste valeur, que s'ils étoient exposez dans Londres ou dans Paris. Les Romains naissent presque tous avec beaucoup de sensibilité pour la peinture, & leur goût naturel a encore des occasions fréquentes de se nourrir & de se perfectionner par les ouvrages excellens qu'on rencontre dans les églises, dans les palais, & presque dans toutes les maisons où l'on peut entrer. Les mœurs & les usages du païs y laissent encore un grand vuide dans les journées de tout le monde, même dans celles de ces Artisans condamnez ailleurs à un travail qui n'a gueres plus de relâche que le travail des Danaïdes. Cette inaction, l'occasion continuelle de voir de beaux tableaux, & peut-être aussi la sensibilité des organes plus grande dans ces contrées-là que dans des païs froids & humides, rendent le goût pour la peinture si géneral à Rome, qu'il est ordinaire d'y voir des tableaux de prix jusques dans des boutiques de Barbiers, & ces Messieurs en expliquent avec emphase les beautez à tous venans, pour satisfaire à la nécessité d'entretenir le monde, que leur profession leur imposoit dès le temps d'Horace. Enfin dans une nation industrieuse & capable de prendre toute sorte de peine pour gagner sa vie, sans être assujettie à un travail reglé, il s'est formé un peuple entier de gens qui cherchent à faire quelque profit par le moïen du commerce des tableaux. Ainsi le public de Rome est presque composé en entier de connoisseurs en peinture. Ils sont, si l'on veut, la plûpart des Connoisseurs médiocres, mais du moins ils ont un goût de comparaison qui empêche les gens du métier de leur en imposer aussi facilement qu'ils peuvent en imposer ailleurs. Si le public de Rome n'en sçait point assez pour réfuter méthodiquement leurs faux raisonnemens, il en sçait assez du moins pour en sentir l'erreur, & il s'informe après l'avoir sentie de ce qu'il faut dire pour la refuter. D'un autre côté les gens du métier deviennent plus circonspects lorsqu'ils sentent qu'ils ont affaire avec des hommes éclairez. Ce n'est point parmi les Théologiens que les Novateurs entreprennent de faire des Prosélites de bonne foi.

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SPECTATEUR → jugement

Quotation

Le public ne se connoît pas en peinture à Paris autant qu'à Rome. Les François en géneral n'ont pas le sentiment intérieur aussi vif que les Italiens. La difference qui est entr'eux est déja sensible dans les peuples qui habitent aux pieds des Alpes du côté des Gaules & du côté de l'Italie ; mais elle est encore bien plus grande entre les naturels de Paris & les naturels de Rome. Il s'en faut encore beaucoup que nous ne cultivions autant qu'eux la sensibilité pour la peinture, commune à tous les hommes. Géneralement parlant, on n'acquiert pas ici aussi-bien qu'à Rome le goût de comparaison. Ce goût se forme en nous-mêmes & sans que nous y pensions. A force de voir des tableaux durant la jeunesse, l'idée, l'image d'une douzaine d'excellens tableaux se grave & s'imprime profondément dans notre cerveau encore tendre. Or, ces tableaux qui nous sont toujours présens, et dont le rang est certain, dont le mérite est décidé, servent, s'il est permis de parler ainsi, de pieces de comparaison, qui donnent le moïen de juger sainement à quel point l'ouvrage nouveau qu'on expose sous nos yeux approche de la perfection où les autres peintres ont atteint, & dans quelle classe il est digne d'être placé. L'idée de ces douze tableaux qui nous est présente, produit une partie de l'effet que les tableaux mêmes produiroient, s'ils étoient à côté de celui dont nous voulons discerner le mérite & connoître le rang. La difference qui peut se trouver entre le mérite de deux tableaux exposez à côté l'un de l'autre, frappe tous ceux qui ne sont pas stupides.
Mais pour acquerir ce goût de comparaison qui fait juger du tableau présent par le tableau absent, il faut avoir été nourris dans le sein de la Peinture. Il faut, principalement durant la jeunesse, avoir eu des occasions fréquentes de voir dans une assiete d'esprit tranquille des tableaux. La liberté d'esprit n'est guéres moins necessaire pour sentir toute la beauté d'un ouvrage que pour le composer. Pour être bon spectateur il faut avoir cette tranquillité d'ame qui ne naît pas de l'épuisement, mais bien de la sérenité de l'imagination.

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SPECTATEUR → jugement

Quotation

La prédilection qui nous fait donner la préférence à une partie de la peinture sur une autre partie, ne dépend donc point de notre raison, non plus que la prédilection qui nous fait aimer un genre de poësie preferablement aux autres. Cette prédilection dépend de notre goût, & notre goût dépend de notre organisation, de nos inclinations présentes, & de la situation de notre esprit. Quand notre goût change, ce n'est point parce qu'on nous aura persuadé d'en changer, mais c'est qu'il est arrivé en nous un changement physique. Il est vrai que souvent ce changement nous a été insensible, & que nous ne pouvons même nous en appercevoir qu'à l'aide de la réflexion, parce qu'il s'est fait peu à peu et imperceptiblement. L'âge & plusieurs autres causes, produisent en nous ces sortes de changemens. Une passion triste, nous fait aimer durant un temps des livres assortis à notre humeur présente. Nous changeons de goût aussi-tôt que nous sommes consolez.

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SPECTATEUR → jugement

Quotation

Pour donner des principes certains de cette connoissance, il faut, en voyant un dessein, faire deux examens, le premier consiste à en connoître le goût, & le second à découvrir le nom & le caractere de celui qui l’a fait.
Le goût du pays dans lequel a été fait le dessein, en constate l’école. On distingue trois sortes de goût : l’Italien, le Flamand, & le François.
Le goût Italien (qui n’est autre chose que l’esprit naturel de la nation) s’est formé sur les ouvrages antiques que l’Italie possede. Il consiste en général dans la correction du dessein, dans une belle ordonnance, dans des contours variés & contrastés, dans un beau choix d’attitudes, dans une expression fine, soutenuë d’un grand coloris. A Rome, à Florence, c’est le dessein qui domine, on est entraîné par cette grande partie de la peinture, sans laquelle les autres ne peuvent exister. En Lombardie & à Venise la couleur attire les artistes, ils la regardent comme le propre du peintre, & ils negligent le dessein pour ne s’attacher qu’à l’imitation parfaite de la nature qui n’est visible que parce qu’elle est colorée.
Le goût Flamand est la nature même, telle qu’elle est, sans  trop de choix & sans s’embarrasser de l’antique ; la couleur secondée d’une touche moëlleuse est son objet principal : on reconnoît toujours ce goût à une lourde façon de dessiner. Les Allemans tiennent plus du gothique, ils prennent la nature sans choix ; ils en copient même jusqu’aux défauts (a).
            (a) Decepit exemplar vitiis imitabile,
Hor. epist. 19, lib. I.
Le goût François, si l’on étoit moins enivré de l’Italie, pourroit le disputer aux deux autres. La correction, l’élévation de la pensée, l’allégorie, la poëtique, l’expression des passions, & même la couleur s’y trouvent souvent rassemblées. Les François en géneral ont moins de touche que les Flamans ; le choix des attitudes & des figures est moins élégant que celui des Italiens ; il faut cependant en excepter nos grands peintres, tels que Vouët, le Poussin, le Sueur, Bourdon, le Brun, Jouvenet & le Moine.
Toutes ces nations quand elles étudient l’antique & les ouvrages des grands maîtres, réforment souvent leur goût de terroir, & le rendent infiniment meilleur.
Il naîtra de ces remarques une connoissance naturelle du goût des nations. En voyant un dessein, on le rapportera sur le champ à l’école dont il approche le plus, & l’on dira : il est dans un tel goût. Ainsi l’on sçaura le pays dans lequel le dessein a été fait, & par conséquent l’école du maître.

école

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MANIÈRE ET STYLE → école

Quotation

GOUST, terme qui se prend en différentes acceptions. On dit, un ouvrage de bon goût, de mauvais goût, d’un goût trivial, de grand goût
On entend par grand
goût, quelque chose de grand, de piquant, d’extraordinaire, de sublime même, & de merveilleux. Bon goût, dit quelque chose de moins que grand goût. Un tableau peut être de bon goût, sans être de grand goût. Le goût trivial s’oppose au grand goût, & le mauvais goût au bon goût. Un ouvrage peut être de mauvais goût, & avoir cependant quelque chose de sublime & de merveilleux : tels sont les ouvrages de plusieurs Peintres Flamands. 
Goût naturel, c’est celui qui se forme dans l’esprit à la vûe de la simple nature.
Goût artificiel, c’est celui qui s’acquiert par la vûe des ouvrages d’autrui, par la réflexion, par l’étude. 
Goût de Nation, c’est celui qui domine chez chaque peuple. 
Les différents
goûts de Nation peuvent se réduire à cinq. 
Le
goût Romain, le goût Vénitien, le goût Lombard, le goût Flamand, & le goût François, c’est-à-dire, qu’il y a autant de goûts  que d’écoles. 
Le
goût Romain est plus grand, plus sçavant ; le goût Vénitien plus naturel ; le goût Lombard plus moëleux & plus coulant : le goût Flamand plus simple, & souvent trop simple.
Le
goût François tient beaucoup du goût Romain. Voyez  ECOLE.

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → école
CONCEPTS ESTHETIQUES → merveilleux et sublime

Quotation

Premièrement, que le Génie, qui est le père des Arts, doit imiter la Nature. Secondement, qu’il ne doit l’imiter telle qu’elle est. Troisièmement, que le Goût pour qui les Arts sont faits & qui en est le Juge, doit être satisfait quand la Nature est bien choisie & bien imitée par les Arts. Ainsi, toutes nos preuves doivent tendre à établir l’imitation de la belle Nature. I° Par la nature & la conduite du Génie qui les produit. 2° Par celle du Goût qui en est l’arbitre. C’est la matière des deux premieres Parties.

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SPECTATEUR → jugement

Quotation

Le Génie & le Goût ont le même objet dans les Arts. L’un le crée, l’autre en juge. Ainsi, s’il est vrai que le Génie produit les ouvrages de l’Art par l’imitation de la belle Nature, comme on vient de le prouver ; le Goût qui juge des productions du Génie, ne doit être satisfait que quand la belle Nature est bien imitée.

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CONCEPTS ESTHETIQUES → génie, esprit, imagination
SPECTATEUR → jugement

Quotation

C’est donc au goût seul qu’il appartient de faire des chefs-d’œuvres, & de donner aux ouvrages de l’Art, cet air de liberté & d’aisance qui en fait toujours le plus grand mérite.
[…]
Le Goût est dans les Arts ce que l’Intelligence est dans les Sciences. Leurs objets sont différens à la vérité ; mais leurs fonctions ont entre elles une si grande analogie, que l’une peut servir à expliquer l’autre.
Le vrai est l’objet des Sciences. Celui des Arts est le bon & le beau. Deux termes qui rentrent presque dans la même signification, quand on les examine de près.
L’intelligence considere ce que les objets sont en eux-mêmes, selon leur essence, sans aucun rapport avec nous. Le Goût au contraire ne s’occupe de ces mêmes objets que par rapport à nous. […] Une intelligence est donc parfaite, quand elle voit sans nuage, & qu’elle distingue sans erreur le vrai d’avec le faux, la probabilité d’avec l’évidence. De même le Goût est parfait aussi, quand, par une impression distincte, il sent le bon & le mauvais, l’excellent & le médiocre, sans jamais les confonde, ni les prendre l’un pour l’autre.
Je puis donc définir l’Intelligence : la facilité de connoître le vrai & le faux, & de les distinguer l’un de l’autre. Et le Goût : la facilité de sentir le bon, le mauvais, le médiocre, & de les distinguer avec certitude. […]

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement
L’ARTISTE → qualités

Quotation

[…] Le Goût qui s’exerce sur les Arts n’est point un Gout factice. C’est une partie de nous-même qui est née avec nous, & dont l’office est de nous porter à ce qui est bon. La connoissance le précede : c’est le flambeau. Mais que nous serviroit-il de connoître, s’il nous étoit indifférent de jouir ? La Nature étoit trop sage pour séparer ces deux parties : & nous en donnant la faculté de connoître, elle ne pouvoit nous refuser celle de sentir le rapport de l’objet connu avec notre utilité, & d’y être attiré par ce sentiment. C’est ce sentiment qu’on appelle le Goût naturel, parce que c’est la Nature qui nous l’a donné. Mais pourquoi nous l’a-t’elle donné ? Etoit-ce pour juger des Arts qu’elle n’a point faits ? Non : c’étoit pour juger des choses naturelles par rapport à nos plaisirs ou à nos besoins.
L’industrie humaine ayant ensuite inventé les beaux Arts sur le modèle de la Nature, & ces Arts ayant eu pour objet l’agrément & le plaisir, qui sont, dans la vie, un second ordre de besoins ; la ressemblance des Arts avec la Nature, la conformité de leur but, sembloient exiger que le Goût naturel fût aussi le Juge des Arts : c’est ce qui arriva. Il fut reconnu, sans nulle contradiction : les Arts devinrent pour lui de nouveaux Sujets, si j’ose parler ainsi, qui se rangerent paisiblement sous sa Juridiction, sans l’obliger de faire pour eux le moindre changement à ses loix. Le Goût resta le même constamment : & il ne promit aux Arts son approbation, que quand ils lui feroient éprouver la même impression que la Nature elle-même ; & les chefs-d’œuvres des Arts ne l’obtinrent jamais qu’à ce prix.
Mais cette perfection n’a rien changé dans son essence. Il est toujours tel qu’il etoit auparavant : indépendant du caprice. Son objet est toujours essentiellement le bon. Que ce soît l’Art qui le lui présente, ou la Nature, il ne lui importe, pourvu qu’il jouisse. C’est sa fonction.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement

Quotation

Le Goût est donc comme le Génie, une faculté naturelle qui ne peut avoir pour objet légitime que la Nature elle-même, ou ce qui lui ressemble. Transportons-le maintenant au milieu des Arts & voyons quelles sont les loix qu’il peut leur dicter.
I. Loi générale du Goût
Imiter la belle Nature
Le Goût est la voix de l’amour propre. Fait uniquement pour jouir, il est avide de tout ce qui peut lui procurer quelque sentiment agréable. Or, comme il n’y a rien qui nous flatte plus que ce qui nous approche de notre perfection, ou qui peut nous la faire espérer ; il s’ensuit, que notre Goût n’est jamais plus satisfait que quand on nous présente des objets, dans un dégré de perfection, qui ajoute à nos idées, & semble nous promettre des impressions d’un caractère ou d’un dégré nouveau, qui tirent notre cœur de cette espèce d’engourdissement où le laissent les objets auxquels il est accoutumé. […]

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement

Quotation

le goût est une connoissance des regles par le sentiment. Cette maniere de les connoître est beaucoup plus fine & plus sure que celle de l’esprit : & même sans elle, toutes les lumieres de l’esprit sont presque inutiles à quiconque veut composer.

connoissance

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SPECTATEUR → jugement

Quotation

Vous avez fait un excellent ouvrage : les Connoisseurs l’ont approuvé : l’esprit & le coeur ont été également contents. Est-ce assez ? Sera-ce un modèle pour un autre ouvrage ? Non : la matiere est changée. Là, Œdipe mouroit de douleur : ici, Oreste vangé revit par la joie. Vous retiendrez seulement les points fondamentaux, qui sont, l’ordre & la symétrie. Mais il vous faut une autre disposition un autre ton, d’autres règles particulières, qui soient tirées du fonds même du sujet. Le Génie peut les trouver, les présenter à l’Artiste : mais qui les choisira, qui les saisira ? Le goût, et le goût seul. C’est lui qui guidera le génie dans l’invention des parties, qui les disposera, qui les unira, qui les polira : c’est lui, en un mot, qui sera l’ordonnateur, & presque l’ouvrier. […]

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités

Quotation

Il y a une autre espèce de comparaison, qui n’est point de l’art avec la belle nature. C’est celle des différentes impressions que produisent en nous les différens ouvrages du même art, dans la même espèce. C’est une comparaison qui se fait par le goût seul : au lieu que l’autre se fait par l’esprit. & comme la décision du goût, aussi-bien que celle de l’esprit, dépend de l’imitation, & de la qualité des objets qu’on imite ; on a dans cette décision du goût, celle de l’esprit même.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement

Quotation

(a) Nous prenons ici le Goût de même que dans le chapitre précédent, c’est-à-dire dans sa plus grande étendue ; comme un sentiment qui nous porte à ce qui nous paroît bon, ou nous détourne de ce qui nous paroît mauvais. En ce sens il peut s’appeler, Goût, dans ses commencemens ; Passion, dans ses progrès ; & Fureur ou Folie, sans ses excés.

passion · fureur · folie

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement

Quotation

[…] c’est le succès qui nourrit le goût : & le succès & le goût annoncent le talent.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités

Quotation

Cet article sera fort court, parce que le principe de l’imitation de la belle Nature, surtout après en avoir fait l’application à la Poësie, s’applique presque de lui-même à la Peinture. Ces deux Arts ont entr’eux une si grande conformité ; qu’il ne s’agit, pour les avoir traités tous les deux à la foi, que de changer les noms, & de mettre Peinture, Desseing, Coloris, à la place de Poësie, de Fable, de Versification. C’est le même Génie qui crée dans l’une & dans l’autre : le même goût qui dirige l’Artiste dans le choix, la disposition, l’assortiment des grandes & des petites parties : qui fait les groupes & les contrastes : qui pose, & qui nuance les couleurs : en un mot, qui règle la Composition, le Desseing, le Coloris. Ainsi, nous n’avons qu’un mot à dire sur les moyens, dont se sert la Peinture pour imiter & exprimer la Nature.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités
CONCEPTION DE LA PEINTURE → composition

Quotation

Peu d'Auteurs arriveront à une réputation du premier ordre, sans le secours des conseils & de la critique non seulement de leurs Confrères, dont la plupart ne jugent des beautés & des défauts de leur Art que relativement à la froideur & à la sécheresse des règles, ou par une routine de comparaison à leur propre manière, souvent uniforme & répétée, mais par la critique d'un spectateur désinteressé & éclairé, qui sans manier le pinceau, juge par un goût naturel & sans une attention servile aux règles.

La Font oppose ici goût naturel et règles.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement

Quotation

Il paroît par le discours précédent que le sieur Bosse faisoit consister la plus grande difficulté & le principal mérite de la Gravûre à l’Eau Forte dans l’exacte imitation de celle au Burin : il a parfaitement réussi dans ce qu’il s’est proposé pour but, & ses ouvrages quoique très-avancés à l’Eau Forte ont néanmoins toute la netteté de ceux qui sont purement au Burin, & il est vrai-semblable que la fermeté du vernis dur dont il faisoit usage y a beaucoup contribué. Cependant on a abandonné non-seulement le vernis dur dont presque tous les Graveurs de son tems se servoient, maus même cette propreté dont il faisoit tant de cas, & que l’on évite en quelque façon présentement, parce qu’elle conduit à une roideur dans les tailles & une froideur de travail qui n’est plus du goût d’aujourd’hui. 
Ce changement de goût (si toutefois l’on doit juger du sentiment des graveurs du tems de Bosse par le sien) est fondé sur l’expérience & sur l’admiration que l’on a conçû pour les belles choses qui ont paru depuis M. Bosse, & qu’il n’a pû voit parce qu’elles n’ont été faites que long-tems après qu’il eût publié cet Ouvrage.

Bosse évoque ici le changement du goût du spectateur entre le XVIIe et XVIIIe siècle.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → perception et regard
SPECTATEUR → jugement

Quotation

On peut donc dire que si le burin termine & perfectionne l’eau forte, il en reçoit aussi beaucoup de mérite & de goût ; elle lui donne une ame qu’il n’avoit point ou du moins qu’il n’auroit que très-difficilement sans elle : elle lui dessine ses contours avec sûreté & esprit, elle lui ébauche ses ombres avec un goût méplat & varié suivant les divers caracteres des sujets, comme terrains, pierres, paysages, ou étoffes de différente épaisseur, ce que le Burin ne fait qu’avec une égalité soit de ton, soit de couleur qui ne satisfait pas si bien :

Ce passage met en évidence le changement de goût dans la gravure en fonction des époques. Le « goût d’aujourd’hui » est différencié du goût de l’époque d’Abraham Bosse, et notamment en matière de gravure à l’eau-forte

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement
SPECTATEUR → connaissance
SPECTATEUR → perception et regard
PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → définition de la gravure

Quotation

Il arrive que trop souvent que le Graveur séduit par le plaisir de faire un morceau qui paroisse fort soigné, s’amuse à finir la tête d’une figure éloignée avec des beaux petits points arrangés avec beaucoup de propreté ; mais il prodigue sa peine bien mal-à-propos, car cet ouvrage qui placé ailleurs pourroit avoir son mérite, lui fait commettre une lourde faute contre le sens commun & le bon goût du dessein.

Conceptual field(s)

MATERIALITE DE L’ŒUVRE → technique de la gravure

Quotation

Au reste ce qui a été dit jusqu’ici ne regarde [p. 88 142] que les commençans : on a tâché de leur montrer la route la plus sûre & la plus abrégée pour conduire à la perfection leur Art. Ceux qui par des talens supérieurs ou par une expérience consommée ont acquis la réputation d’habiles gens, sont au-dessus de ces règles. Leur génie est en quelque façon leur seule loi : toute sorte de travail est bon sous leur main, & le goût avec lequel ils le placent le rend toujours excellent, quelqu’éloignés qu’ils soient des principes avec lesquels on grave ordinairement ; Mais ces manieres sont quelque-fois de nature à n’être point susceptibles d’imitation, & pourroient perdre plûtôt que de perfectionner ceux qui voudroient les suivre, parce qu’en dégénerant elles n’ont plus aucun merite, & qu’un servile imitateur, n’y mettant pas la même science, & n’en taisant pour ainsi dire que la charge, peut prendre une mauvaise maniere en suivant un bon original. C’est pourquoi l’on ne sçauroit trop faire d’attention, à en chercher une qui ne soit point vicieuse quand on commence à graver. Telle est par exemple celle de Corneille Vischer, & quoique l’on soit bien éloigné d’atteindre à la perfection des ouvrages de ce grand homme, cependant son imitation conduit toujours à un goût moëlleux & à une maniere excellente.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités
PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → définition de la gravure
MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main