DA VINCI, Leonardo, Traitté de la peinture, de Léonard de Vinci, donné au public et traduit d'italien en françois par R. F. S. D. C., trad. par FRÉART de CHAMBRAY, Roland, Paris, Jacques Langlois, 1651.
L'histoire de l'édition du Trattato della pittura publié en 1651 commence par la copie d'une sélection de textes exécutée par le comte Galeazzo Arconati ( v. 1580-1649) à Milan. Cette copie se trouve ensuite dans les mains de Cassiano del Pozzo (1588-1657), secrétaire et ami du cardinal Francesco Barberini, qui demande à son ami Nicolas Poussin d'illustrer le texte de Vinci. Une deuxième copie du texte est alors exécutée et conservée à Milan (Biblioteca Ambrosiana, Ms. H 228 H inf.). Une troisième copie, illustrée par Poussin, est faite en 1639-1640 à l'initiative de Cassiano del Pozzo et donnée à Paul Fréart de Chantelou.
La première édition du Trattato della Pittura est publiée à Paris, en 1651, en italien par Raphaël Trichet du Fresne (1611-1661), diplomate et bibliophile. La même année Roland Fréart de Chambray publie chez Langlois, le même éditeur, une édition française. Cette publication se situe dans le contexte particulier de la naissance et du développement du discours sur l'art en France au sein de l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture. Le texte français y est abondamment lu. Critiqué par Abraham Bosse sur le point de la perspective (Martin Kemp, "A " Chaos "of Intelligence": Leonardo 's Traité and the War at the Academy Royale", Re-Reading Leonardo. The treatise on Painting, accross Europe 1550-1900, 2009, p. 237-254 ; J.-V. Field, "Perspective and the Paris Academy", Re-Reading Leonardo. The treatise on Painting, accross Europe 1550-1900, 2009, p. 255-266, Thomas Frangenberg, "Abraham Bosse in context : French responses to Leonardo's Treatise on painting in the seventeenth century ", Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 75, 2012, p. 223-260), la conception définie par Léonard de dessiner et de peindre d'après le relief ou le naturel, comme l'œil le voit est soutenue par Le Brun qui veut en faire une règle pour instruire les jeunes peintres (Pauline Maguire Robinson, " Leonardo's Theory of Aerial Perspective in the Writings of André Félibien", Re-Reading Leonardo. The treatise on Painting, accross Europe 1550-1900, 2009, p. 267-297).
Un deuxième point développé par Léonard trouve un bel écho à l'Académie : l'importance qu'il donne à la position des figures en accord avec leur mouvement et leur action dans la conception d'une composition narrative. Cet aspect particulier de la notion de convenance ou bienséance sera repris par Fréart de Chambray dans l'Idée de la Perfection de la Peinture, au point de l'ériger en partie de la peinture et en critère de jugement.
Le rendu de l'expression sur lequel Léonard attire l'attention des peintres en les engageant à observer le naturel est le troisième aspect qui connaîtra de grands développements d'abord avec la théorie des passions de Le Brun puis avec la publication du Recueil de testes de caractères et de charges dessinées, par Léonard de Vinci, Florentin (1730), et l'institution du Prix d'expression par le Comte de Caylus en 1753 (Thomas Kirchner, "Between Academicism and Critics : Leonardo da Vinci's Traité de la Peinture and Eighteen-Century French", Re-Reading Leonardo. The treatise on Painting, accross Europe 1550-1900, 2009, p. 299-326).
D'autres aspects exprimés par Léonard de Vinci ont un impact fondamental sur le développement de la théorie de l'art en Europe septentrionale. Même si les traductions en anglais, allemand datent du début du XVIIIe siècle, et celle en néerlandais n'est publiée qu'en 1827, la pensée de Léonard est sensible, sans doute à travers des copies de manuscrits exécutées par les artistes lors de leur voyage en Italie. Van Mander, le premier en 1604 reprend dans son Grondt des passages importants, Hoogstraten et Sandrart également (Michèle-Caroline Heck, "The Reception of Leonardo da Vinci"s Trattato della Pittura, or Traitté de la Peinture, in Seventeenth-Century Northern Europe", dans Re-Reading Leonardo. The treatise on Painting, across Europe 1550-1900, 2009, p. 377-414 ;Thijs Weststjein, " This Art embraces All Visible Things i its Domain" : Samuel van Hoogstraten and the Trattato della Pittura", dans Re-Reading Leonardo. The treatise on Painting, across Europe 1550-1900, 2009, p. 415-439). Deux axes sont particulièrement repris par les théoriciens aux Pays-Bas et en Allemagne. Le premier est celui de l'importance de l'observation de la nature pour le rendu de la lumière et celui de la couleur (les effets d' ombre et de lumière, le traitement des reflets, le paysage). Le second est celui de la pratique de la peinture. Les passages sur les modalités d'exécution d'un dessin, d'un tableau, depuis la description de l'atelier le plus conforme possible à un rendu naturel jusqu'à une réflexion sur la manière de présenter le modèle sont nombreux. Le regard, la vue sont une des préoccupations constantes pour Léonard de Vinci qui essaie d'en définir les principes.
On ne peut affirmer que les préceptes aient été appliqués à la lettre, mais au vu de leur grande diffusion, on peut considérer avec certitude qu'ils ont été lus, et qu'ils ont nourris la réflexion des artistes dans ce siècle où la théorie se détache de son caractère spéculatif pour devenir une explication de la pratique.
Contenu de l'édition de 1651:
Plusieurs sections qui figuraient dans le manuscrit n'ont pas été reprises dans l'édition de 1651, en particulier le Paragone. De même que ne sont pas reprises les considérations scientifiques sur la lumière, la végétation, les nuages et l'horizon. Seuls quelques courts chapitres sont consacrés à ces questions que Léonard de Vinci avait développées longuement dans les Parties 5 à 8. De fait l'essentiel des chapitres qui composent le Traitté ou Trattato est consacré à la pratique de la peinture.
Anne Sconza ( 2012, p. 28) propose de voir l'articulation du Trattato en quatre parties.
- Préceptes et vertus du peintre (chap. I-XLVI)
- Proportions et théorie de la vision (chap. XLVI-CLXV)
- Anatomie humaine, geste et expression (chap. CLXVI-CCLXXI)
- L'œil et la vision, l'optique et la perspective, les plis (chap. CCLXXII- CCLXCV)
Si cette division est à peu près cohérente pour les premières parties, elle l'est beaucoup moins pour la fin du Traitté dont les chapitres reviennent sur des points déjà abordés. Claire Farago (Farago, Bell, Vecce, 2018) propose une organisation des chapitres fondée sur les trois phases de l'apprentissage et de la pratique du métier de peintre, justifiant ainsi les reprises de thématiques.
Le caractère fragmentaire des petits chapitres se succédant sans relation les uns aux autres a d'ailleurs été source de critique à l'Académie, en particulier de la part d'Abraham Bosse. Et l'ordre des chapitres a été complètement réorganisé dans l'édition allemande. De fait le Trattato ne présente pas une théorie construite, mais constitue une suite d'indications (quelquefois appelées méthodes ou préceptes) à l'usage des peintres sur la manière de peindre, la manière d'observer pour imiter le naturel. Les chapitres sur la lumière et ses effets ont ainsi une place tout à fait centrale : celle de l'atelier pour le rendu du volume, celle du soleil pour représenter les paysages, celle des effets d'ombre et de lumière et leur incidence sur la couleur, sur le dessin. Toutes ces recherches jouent un rôle majeur à Rome auprès des artistes comme Pietro Testa, Le Dominiquin, Joachim von Sandrart et bien sûr Poussin.
Cette édition dont le texte est traduit en anglais et en allemand marque une étape importante dans la diffusion en Europe septentrionale des notions élaborées par Léonard de Vinci. Mais l'ouvrage publié en 1651 est un grand in folio, peu maniable. Une réédition, de format plus réduit, "de poche "(in 12) est ainsi publié en 1716 par Pierre-François Giffart. C'est cette édition qui a servi pour les éditions anglaise et allemande (puis néerlandaise). Les illustrations sont profondément modifiées, exécutées plus grossièrement au trait, elles sont grandement simplifiées.
Illustrations :
Les textes italien et français sont accompagnés de 52 gravures faites d'après des dessins de Poussin exécutés vers 1630, retouchés par Charles Errard (1606-1689) et gravés par René Lochon (1620-1674), graveur parisien qui collabore avec Charles Errard à l'édition en 1651 des Divers Trophées et ornements dédiés à la Reine Christine de Suède.
Témoignant de l'intérêt suscité par l'édition du Trattato à l'Académie, l'édition française est ornée du portait gravé d'après C. Errard de l'œuvre majeure de Léonard, la Joconde, conservée dans la collection royale, (chap. CCLXXXVII - Ce qu'il faut faire pour que les visages ayent du relief avec de la grace). Une Allégorie de la peinture ( C. Errard d'après Poussin ?) accompagne l'avant dernier chapitre (chap. CCCLXIV de l'édition italienne).
Les courts chapitres qui forment le livre sont souvent accompagnés de gravures ou de schémas. Nous avons pris le principe de citer ici la totalité des chapitres qui étaient accompagnés d'illustrations. Pour certains, quand ils étaient trop descriptifs, nous n'avons repris que le titre et renvoyons au texte de Vinci consultable en PDF.
Il n'est pas possible de citer, dans la bliographie, les nombreuses éditions postérieures à 1750, nous renvoyons aux diverses recensions récentes qui en ont été faites, de même qu'il n'est pas possible de citer toutes les études sur le sujet. Nous renvoyons pour cela aux bibliographies contenues dans les ouvrages cités.
Michèle-Caroline Heck
Dedication
A Monsieur Le Poussin
Table des chapitres at n.p.
Dédicace(s) at n.p.
DA VINCI, Leonardo, Léonard de Vinci, Traité de la peinture, GIFFARD, Pierre-François (éd.), Paris, Pierre-François Giffard, 1716.
DA VINCI, Leonardo, Léonard de Vinci. Trattato della Pittura, Traitté de la peinture, éd. par Anne Sconza, SCONZA, Anna (éd.), trad. par FRÉART de CHAMBRAY, Roland, Paris, Les Belles Lettres, 2012.
LE BLANC, Marianne, « Abraham Bosse et Léonard de Vinci. Les débats sur les fondements de la peinture dans les premiers temps de l'Académie », Revue d’esthétique. La naissance de la théorie de l’art en France 1640-1720, 31-32, 1997, p. 99-107.
FARAGO, Claire J., Leonardo's Writings and Theory of Art, New York - London, Garland, 1999.
FARAGO, Claire J. (éd.), Re-Reading Leonardo. The Treatise on Painting, Across Europe 1550-1900, Actes du colloque de Londres, Farnham, Ashgate, 2009.
FRANGENBERG Thomas, « Abraham Bosse in Context: French Responses to Leonardo's 'Treatise on Painting' in the Seventeenth Century », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 75, 2012, p. 223-260 [En ligne : http://www.jstor.org/stable/24395992 consulté le 30/03/2018].
POOLER Richard Shaw, Leonardo da Vinci's Treatise of Painting. The Story of the World's Greatest Treatise on Painting - Its Origins, History, Content and Influence, Wilmington, Vernon Press, 2014.
FARAGO, Claire J., BELL, Janis et VECCE, Carlo, The Fabrication of Leonardo da Vinci's Trattato della Pittura, with a Scholarly Edition of the Italian Editio princeps (1651) and an annotated English Translation, Leiden - Boston, Brill, 20018, 2 vol. .
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QUOTATIONS
Quelle est la première estude que doit faire un jeune peintre,
Le jeune peintre doit premierement apprendre la perspective, pour sçavoir donner à chaque chose sa juste mesure ; Aprés il faut qu’il se place chez quelque bon maistre, sous la main duquel il puisse faire habitude à une bonne manière de desseigner, & à connaistre les beaux contours des figures ; Ensuitte il verra le naturel, pour se confirmer en la raison de ce qui luy aura esté enseigné ; Puis après il employera quelque temps à considérer & imiter les ouvrages des divers maistres, afin d’acquérir une pratique de peindre, avec laquelle il mette en execution les choses qu’il aura apprises.
A quelle sorte d’estude le jeune peintre se doit appliquer principalement,
Les jeunes gens qui desirent faire un grand progrez en la science qui apprend à imiter & representer toutes les œuvres de la nature, doivent metre leur estude principale à bien desseigner, & à donner les lumieres & les ombres à leurs figures, convenablement au jour, & au lieu où elles ont leur assiette.
A quelle sorte d’estude le jeune peintre se doit appliquer principalement,
Les jeunes gens qui desirent faire un grand progrez en la science qui apprend à imiter & representer toutes les œuvres de la nature, doivent metre leur estude principale à bien desseigner, & à donner les lumieres & les ombres à leurs figures, convenablement au jour, & au lieu où elles ont leur assiette.
A quelle sorte d’estude le jeune peintre se doit appliquer principalement,
Les jeunes gens qui desirent faire un grand progrez en la science qui apprend à imiter & representer toutes les œuvres de la nature, doivent metre leur estude principale à bien desseigner, & à donner les lumieres & les ombres à leurs figures, convenablement au jour, & au lieu où elles ont leur assiette.
De la methode qu’il faut donner aux enfants pour apprendre à peindre
Je dis aussi que la nature vous appellant à cét art, si vous voulez acquerir une connoissance parfait des formes des choses, il faut que vous commenciez par le detail de leurs parties, & les prendre d’ordre, sans passer à la seconde avant que d’avoir bien entendu & pratiqué la premiere : car autrement c’est un temps perdu, ou pour le moins un tres-long retardement des estudes. De plus, je vous advertis que la diligence (c’est-à-dire le grand soin & la patience à bien achever) doit estre apprise avant la maniere prompte et hardie.
Comment on connoist l’inclination d’un enfant né à la peinture
On void beaucoup de personnes qui ont un tres-grand desir d’apprendre, & qui ayment passionnément le dessein, mais qui n’y ont aucune disposition naturelle. Et cela se peut connoistre dans les enfans qui desseignent tout à la legere & au simple traict, sans finir jamais aucune chose avec les ombres.
Advertissement au peintre
Ce n’est pas estre habille homme parmy les peintres, que de ne reüssir qu’à une chose, comme à faire bien le nud, à peindre une teste, ou les draperies, à representer les animaux ou des païsages, ou d’autres semblables choses partiulieres : car il n’y a point d’esprit si grossier, que s’appliquant à une seule de ces parties, & la mettant continuellement en pratique, il ne vienne enfin avec le temps à la faire bien.
De quelle maniere un jeune peintre se doit comporter en estude
La pensée d’un peintre doit estre en une continuelle activité, & faire autant de raisonnements & de reflections, qu’il rencontre de figures & d’objets dignes d’estre remarquez ; il doit mesme s’arrester, pour les voir mieux avec plus d’attention, les reduisant sous quelques regles generales, comme la consideration du lieu, de ses circonstances, des lumieres et des ombres.
De la maniere d’estudier
Estudiez premierement la science, & puis suivez la pratique qui est un effet de la science. Le peintre doit estudier avec methode, & ne negliger aucune chose qu’il n’en fasse quelque esquisse pour s’en souvenir […]
Advertissement au peintre
Le peintre doit estre universel en son estude, mais d’une humeur solitaire & speculative, & considerer ce qu’il rencontre, & raisonner en luy-meme, choisissant en chaque espece qu’il void les parties les plus excellentes, faisant en cela comme le miroir lequel se change en autant de formes et de couleurs qu’il y en a dans les choses qu’on luy presente, & ainsi il paroistra en quelques façon estre une seconde nature.
Advis pour un peintre universel
Si un peintre n’ayme esgalement toutes les parties de la peinture, il ne pourra jamais estre universel ; par exemple si quelqu'un n'a point d'inclination aux païsages, il croit que l'estude en est trop basse pour meriter que l'on s'y amuse […].
Comment un peintre doit se rendre universel
Le peintre qui veut paroistre universel, & plaire à plusieurs personnes de différents gousts, doit introduire en une mesme composition des choses qui soient touchées d’ombres fortes & d’autres plus douces, mais en sorte neantmoins que l’on connaisse les causes d’où procedent les differences de la force et de la douceur de ces ombres.
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Advis au peintre
Le peintre à qui rien ne semble douteux, ne profite guere en son estude : Quand l’ouvrage passe la portée du jugement de l’ouvrier, celuy qui travaille s’avance peu : mais lors que le jugement surpasse l’ouvrage, cet ouvrage va toujours de plus en plus en se perfectionnant, si la diversité ne l’en empêche.
Autre advis
Le peintre doit premierement s’habituer la main à imiter les desseins de quelques bons maistres, & après s’en estre acquis la facilité, il doit en suitte avec le conseil de celuy qui le conduit, desseigner d’après les figures de relief de bonne maniere, par la methode que j’enseigneray touchant le relief.
Comment il faut esquisser les compositions d’histoires, & les figures
Le premier esquisse d’une histoire doit estre prompt & sans s’arrester beaucoup à former les membres, ayant seulement esgard à la justesse de leur position sur le plan, après quoy le peintre ayant arresté son ordonnance pourra les finir tout à loisir quand il luy plaira.
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Qu’il faut corriger les fautes quand on les découvre
Je vous advertis que lors que par vostre propre jugement, ou par le moyen d'un autre, vous descouvrez quelque erreur en vos ouvrages, vous ayez soin de la corriger, de peur que les exposant en public, vous ne fassiez voir en mesme temps vostre ignorance : Et ne cherchez point d'excuse, vous persuadant qu'à la première occasion suivante, vous effacerez la honte que vous aurez encouruë de celle-là […] : Et si vous pensez vous excusez [ndr : de vos fautes] sur la pauvreté, qui ne peut pas vous permettre d’estudier, & de vous rendre un vray peintre, n’en jettez la faute que sur vous-mesme, parce que l’estude de la vertu sert de nourriture non seulement à l’esprit, mais encore au corps. […]
Du jugement
Il n’y a rien plus sujet à se tromper que le jugement d’un homme sur son propre ouvrage ; & le blasme de ses ennemis luy sert advantage que l’approbation de ses amis ; parce que ceux-cy ne sont qu’une mesme chose avec luy, & par consequent le peuvent aussi bien tromper que son jugement.
Moyen d’eveiller l’esprit, & d’exciter l’imagination à produire plusieurs inventions diverses
Je ne feindray point de mettre icy parmy ces enseignements une nouvelle invention, ou plustost une maniere de speculer, laquelle bien que fort petite en apparence, & presque digne de mocquerie, est neanmoins tres-utile pour eveiller & ouvrir l’esprit à diverses inventions. Et voicy comment : Si vous prenez garde aux salissures de quelques vieux murs […] il s’y pourra rencontrer des inventions & des representations de divers païsages […] & une infinité d’autres choses ; parce que l’esprit s’excite parmy cette confusion, & y découvre plusieurs inventions.
Moyen d’estudier mentalement, & comme par Cœur, en s’éveillant au matin, ou au soir estant couché avant que de s’endormir
J’ay encore experimenté que ce n’est pas une chose de peu d’importance estant au lict dans l’obscurité, d’aller repassant en son imagination tous les contours & les lineaments superficiels des figures qu’on a desja estudiées & desseignées, ou d’autres choses notables, & d’une subtile speculation ; car par ce moyen on fortifie & conserve advantage les idées des choses qu’on a recueillies en sa memoire.
Qu’il faut apprendre à bien achever ce qu’on desseigne, & le finir avec patience avant que de s’adonner à la manière prompte & hardie des praticiens
Quand vous voudrez profiter beaucoup & faire une bonne estude, ayez soin de ne desseigner jamais à la haste ny à la légère, & à l’égard des lumières, considérez bien quelles parties seront esclairées du jour le plus vif, & aussi entre les ombres, lesquelles seront les plus obscures, & et comment ells se meslent ensemblent, & en quelle quantité, les parangonnant l’une avec l’autre : & pour le regard des contours, observez bien vers quelle partie ils doivent tourner, & entre les termes quelle quantité ils s’y rencontre d’ombre et de lumière, & où elles sont plus ou moins fortes & evidentes, & plus larges & plus estroittes : & sur tout soyez soigneux que vos ombres & vos lumieres ne soient point tranchées, mais qu’elles s’en aillent noyant ensemble, & se perdant insensiblement comme la fumée : & lors que vous aurez fait habitude à cette manière exacte de desseigner, vous acquererez après tout incontinent, & comme sans y penser, la facilité des praticiens.
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Comme il faut qu’un peintre soit desireux d’entendre le jugement d’un chacun sur ses ouvrages
[…] c’est pourquoy si nous connaissons que les hommes soient capables de remarquer des deffauts dans les œuvres mesmes de la nature, à combien plus forte raison pourront-ils juger aussi de nos fautes.
Que le peintre ne doit pas tant se fier à son idée, qu’il néglige de voir le naturel,.
Celuy qui se donne la presomption de se pouvoir bien ressouvenir de tous les effets de la nature, il s'abuse : parce que nostre memoire n'en est pas capable ; il est donc plus seur de faire tout sur le naturel.
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De la varieté des figures
Le peintre doit prendre un grand soin de se rendre universel, parce que s’il fait seulement bien une chose, & qu’il fasse l’autre mal, il n’aura jamais de rang qu’entre les médiocres : comme plusieurs qui appliquent toute leur estude au nud mesuré et proportionné d'une mesme sorte, sans en chercher la variété […] : & ceux qui n’ont point d’égard à cette diversité de proportions, semblent former toutes leurs figures en un mesme moulle : ce qui est fort à reprendre.
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De ceux qui s’addonnent à la pratique avant que d’avoir acquis la science de bien achever
Ceux qui s’abandonnent à la pratique avant que d’avoir acquis l’art de bien finir, ou pour dire mieux, avant la science, sont comme les matelots qui montent sur mer dans un vaisseau sans gouvernail ou sans boussolle, lesquels sont tousjours en peine de sçavoir la route. La pratique doit tousjours estre fondée sur une bonne theorie, dont la perspective est la vraye guide & la porte car sans elle on ne sçauroit reüssir en aucune chose de la peinture.
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Qu’il ne faut pas qu’un peintre en imite un autre.
Un peintre ne doit jamais imiter la manière d’un autre peintre, parce qu’il ne seroit appelé que le nepveu, & non pas le fils de la nature, laquelle est si abondante & si feconde en ses productions, qu’on doit plustost recourir à elle-mesme qu’aux peintres qui ne sont que ses disciples.
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Comment il faut desseigner après nature
Quand vous voulez desseigner sur le naturel, soyez esloigné trois fois autant que la grandeur de la chose que vous imitez, prenez bien garde, en desseignant à chaque traict que vous contournez, d'observer par tout le corps de vostre modele quelles parties se rencontrent au droit de la principale ligne.
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Advertissement au peintre
Soyez attentif à remarquer pendant que vous desseignez, comme entre les ombres, il se trouve d’autres ombres insensibles d’obscurité & de forme […]
A quelle hauteur on doit prendre son poinct de lumiere pour desseigner sur le naturel
Le vray jour à travailler sur le naturel doit estre pris du costé du septentrion, afin qu’il ne change point. […] La hauteur de la lumière doit ester prise de telle sorte, que la longueur de la projection des ombres de chaque corps sur le plan soit égale à leur hauteur.
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Quelle sorte de lumiere on doit choisir pour desseigner après des figures de relief,.
Les figures de quelque corps que ce soit, nous obligent de leur donner des lumières convenables à la qualité du jour où on les feind estre […] comme en un air de campagne, le soleil estant couvert […]. Et si la figure est dans une chambre obscure, & et que vous la voyiez de dehors […]
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Quel jour il faut prendre pour travailler sur le naturel, ou après la bosse,
La lumière qui est trenchée par les ombres avec trop de dureté fait un tres-mauvais effet ; de sorte que pour éviter cet inconvenient, si vous faites vos figures en pleine campagne, il ne leur faut pas donner un jour de soleil, mais feindre un temps bruineux & quelques nuages transparents entre le soleil et vostre composition, afin qu’esclairant plus foiblement les figures, l’extremité de leurs ombres vienne à se mesler insensiblement parmy celle des lumières.
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Comment il faut desseigner le nud
Quand vous desseignerez d’apres le nud, contournez tousjours la figure entiere, & puis choisissez en la partie qui vous plaira advantage, & vous estudiez à la bien finir, après luy avoir donné une belle proportion avec les autres, car autrement vous n’apprendrez jamais à bien mettre ensemble tous les membres […]
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Maniere de desseigner & contretirer precisément le plan de quelque campagne
[…]
Comment il faut desseigner les paysages
Les paysages doivent estre peints, en sorte que les arbres soient demy esclairez & demy ombrez, mais le meilleur temps qu’on puisse prendre pour y travailler, est quand le soleil se trouve demy couvert de nuages ; car alors les arbres reçoivent une lumière universelle de l’air, & une ombre universelle de la terre, & les parties de ces arbres deviennent d’autant sombres qu’elles se vont approchant de la terre.
Comment il faut desseigner à la lumiere d’une chandelle
A cette lumiere de nuict il faudra interposer un chassis de toile ou bien de papier huilé, ou mesme un papier tout simple sans estre huilé, pourveu qu’il soit foible et fin : car ainsi vos ombres ne paroistront point trenchées.
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En quelle maniere on pourra peindre une teste, & luy donner de la grace avec les ombres et les lumieres
La force des ombres & des lumieres contribuë beaucoup à la grace des personnes […] tellement que par cette representation & accroissement d’ombre et de lumiere le visage acquiert une grace & une beauté particuliere.
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Quelle sorte de lumiere est propre pour peindre après les figures nuës, & pour faire des portraits
Il faut avoir une chambre descouverte à l'air, & que les parois soient teintes de couleurs de carnation, et peindre en esté quand le soleil est legerement voilé de nuages, ou bien faire que du costé du midy les murs soient tellement exhaussez que le rayons du soleil ne puissent donner sur les parois tournées au septentrion, de peur que par leurs reflets ils ne viennent à gaster les ombres.
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De quelle sorte le peintre doit voir & desseigner les figures qu’il veut placer dans la composition d’une histoire.
Il faut tousjours que le peintre considère dans le lieu où son tableau doit estre posé, la hauteur du plan sur lequel il veut placer les figures de son histoire […] & que la hauteur de sa veuë se trouve autant au dessous de la chose qu’il desseigne, que son tableau sera mis plus haut en œuvre que l’œil dont il sera veu, sans quoy sa composition seroit un mauvais effect & seroit blasmable.
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Pour desseigner justement sur le naturel, soit une figure nuë ou quelqu’autre chose,.
Il faut tenir en main un fil avec un plomb suspend pour voir les parties qui se rencontrent en un mesme allignement l’une au droit de l’autre.
Comment le peintre se doit placer à l’égard du jour qui esclaire son modele
[…] pourvueu que son œil se trouve entre la partie ombreuse de son modèle & celle qui est esclairée […]
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De la qualité de la lumiere
Une lumiere diffuse et haute, & qui ne soit point trop vive sera fort avantageuse pour faire paroistre avec de la grace jusques aux moindres parties du corps.
D’où vient qu’on se trompe à juger de la belle proportion des membres
[…]
Qu’il est necessaire de sçavoir la forme interieure ou l’anatomie de l’homme
[…]
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D’un deffaut assez ordinaire au peintre,.
C’est un notable deffaut à un peintre de remettre & repeter en une mesme composition de figures, les mesmes actions & les mesmes plis & agencement dans les draperies, & faire que toutes les testes s’entre-ressemblent.
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Inadvertance assez ordinaire aux peintres de desseigner une chose de relief en leur logis à une lumière particuliere pour la mettre après en une composition de jour de campagne qui est une lumiere bien differente
[…]
De la peinture & de sa division
La peinture se divise en deux parties, dont la premiere est la figure ; c’est à dire le simple traict ou contour qui distingue la figure des corps & de leurs parties. La seconde est la couleur qui est comprise entre les termes de ce contour.