LA MOTHE LE VAYER, François de, « De la peinture. Lettre IX », Petits traitez en forme de lettres escrites à diverses personnes studieuses, Paris, A. Courbé, 1648, p. 97-122.
Ses premiers textes publiés sont neuf Dialogues faits à l’imitation des Anciens d’Orasius Tubero (1630 et 1631), qu'il publie sous le nom d’emprunt d’Orasius Tubero. Remarqué par Richelieu, celui-ci lui confie, à partir de 1632, la charge de défendre ses politiques. François de La Mothe Le Vayer est élu à l’Académie française en 1639.
Sa « Lettre sur la peinture », parue pour la première fois en 1648 dans les Petits traitez en forme de lettres escrites à diverses personnes studieuses (Paris, A. Courbé), constitue sa seule intervention dans le domaine de la théorie de l’art. S'il est quelque fois cité dans le cercle des amateurs d'art, son activité de théoricien reste peu connue. Celle-ci est très liée à sa fonction de précepteur auprès du Duc d’Anjou. Faisant référence à un discours prononcé en 1640, La Mothe le Vayer consacre également quelques pages à la peinture dans son Discours de l’instruction de Monseigneur le Dauphin à Mgr l’éminentissime Cardinal Duc de Richelieu, in Œuvres de François de la Mothe le Vayer, … t. 1, partie 1, Dresde, 1756-1759, p. 219-223. Il se réfère à cet écrit au début de sa lettre sur la peinture : « J’ai fait voir ailleurs, comment elle méritait l’estime des plus Grands Princes […], & j’en ai nommé plusieurs, qui l’ont cultivée avec succès, ne croiant pas se faire tort de tenir le pinceau de la même main, dont ils manioient le Sceptre & l’Epée. »
Polygraphe, il a écrit sur tous les sujets. La publication des Petits traités en forme de lettres s’échelonne de 1649 à 1660. La Lettre sur la peinture appartient au premier ensemble. Elle sera ensuite rééditée dans les diverses éditions des œuvres complètes de la Mothe.
En s'appuyant sur de nombreux parallèles entre antique et moderne, elle évoque la dignité de la peinture, les qualités et les défauts des peintres. Les sources antiques paraissent souvent lues à la lumière de leurs interprétations modernes, mais ne sont toutefois pas mentionnées de façon explicite.
Mathilde Bert
Dedication
A Monseigneur Molé Premier Président Du Parlement
Table des matières at n.p
Épître(s) at n,p
Dédicace(s) at n.p
Privilèges at n.p
Catalogue at n.p
LA MOTHE LE VAYER, François de, « Petits traités en forme de lettres écrites à diverses personnes », Œuvres de François de la Mothe le Vayer, Paris, A. Courbé, 1654, 2 vol.
LA MOTHE LE VAYER, François de, Petits traités en forme de lettres écrites à diverses personnes [1649-1662], Lettre IX, « De la peinture », Paris, A. Courbé, 1656, 2 vol.
LA MOTHE LE VAYER, François de, « Petits traités en forme de lettres écrites à diverses personnes », Œuvres de François de la Mothe le Vayer, Paris, A. Courbé, 1662, 2 vol, p. 437-446.
LA MOTHE LE VAYER, François de, « Petits traités en forme de lettres écrites à diverses personnes », Œuvres de François de la Mothe le Vayer, Nouvelle édition, augmentée de plusieurs nouveaux traitte, Paris, L. Billaine, 1669, 15 vol.
LA MOTHE LE VAYER, François de, Œuvres : Nouvelle édition revue et augmentée, précédé de l’Abrégé de la vie de La Mothe Le Vayer, Genève, Slatkine Reprints, 1970, 2 vol., vol. II.
SCHNAPPER, Antoine, Curieux du Grand siècle. Les collections d’art en France au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1994.
FILTERS
QUOTATIONS
Nonobstant que Seneque traite si mal la Peinture dans une de ses epistres ; qu’il luy refuse le rang avantageus que d’autres luy donnent entre les arts liberaus, la mettant mesme d’une severité par trop Stoique au nombre de ceux qui ne servent qu’aus voluptez : Si faut-il avouez qu’elle merite par beaucoup de considerations qu’on en fasse bien plus d’estat. Elle est tres-ancienne […]. Philostrate a raison d’escrire que si elle n’est de l’invention des Dieux & de la Nature, pour le moins ne sçauroit-on nier qu’elle ne soit de tems immemorial, & tresamie de cette mesme nature […]. J’ay fait voir ailleurs comme elle meritoit l’estime des plus grands Princes […], & j’en ai nommé plusieurs qui l’ont cultivée avec succez, ne croyant pas se faire tort de tenir le pinceau de la mesme main dont ils manioient le sceptre & l’espée. {Instr. de M. le Dauphin p. 209.}
Il est certain que Socrate apprit de son pere l’art de tailler des Statuës, qui fait partie de celuy dont nous parlons [ndr : la peinture], selon que les Grecs ont consideré la Plastique, & la Zographie, dependantes d’un mesme dessein.
Et nous lisons dans ce beau rapport que fait Quintilien des Peintres excellens aus plus parfait Orateurs, qu’Euphranor avoit conjoint toutes les autres sciences à celle de la Peinture, ce qui oblige Quintilien â luy comparer son grand Maistre Ciceron. Sans mentir l’ouvrage du pinceau depend bien plus de la teste que de la main ; & si l’historien de la Nature à peu dire que les Lamproyes avoient l’ame au bout de la queüe, rien ne doit nous empescher de prononcer que l’esprit des Peintres de reputation semble estre tout entier au bout de leurs doigts {Pline l. 32. c. 2}.
Ils [ndr : les peintres] font des figures qui parlent, & le Jupiter de Phidias inspiroit plus de devotion au dire d’un Payen, que la Religion n’en prescrivoit […]. La doctrine paroist mieus dans un tableau que dans un livre, parce que le premier nous instruit tout d’un coup de ce que l’autre ne nous fait connoistre qu’à divers tems & à la longue. Aussi est-il certain qu’il y a des Nations, comme celle de Mexique dans le nouveau monde, à qui la peinture tenoit lieu de lettres.
PHIDIAS, Zeus, c. 435 BC, chryselephantine statue, lost (5th century AD)
Le terme apparaît ici dans un éloge de la peinture.
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Et nous lisons dans ce beau rapport que fait Quintilien des Peintres excellens aus plus parfait Orateurs, qu’Euphranor avoit conjoint toutes les autres sciences à celle de la Peinture, ce qui oblige Quintilien â luy comparer son grand Maistre Ciceron. Sans mentir l’ouvrage du pinceau depend bien plus de la teste que de la main ; & si l’historien de la Nature à peu dire que les Lamproyes avoient l’ame au bout de la queüe, rien ne doit nous empescher de prononcer que l’esprit des Peintres de reputation semble estre tout entier au bout de leurs doigts
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Ils [ndr : les peintres] font des figures qui parlent, & le Jupiter de Phidias inspiroit plus de devotion au dire d’un Payen, que la Religion n’en prescrivoit […]. La doctrine paroist mieus dans un tableau que dans un livre, parce que le premier nous instruit tout d’un coup de ce que l’autre ne nous fait connoistre qu’à divers tems & à la longue. Aussi est-il certain qu’il y a des Nations, comme celle de Mexique dans le nouveau monde, à qui la peinture tenoit lieu de lettres.
PHIDIAS, Zeus, c. 435 BC, chryselephantine statue, lost (5th century AD)
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Et pour preuve de ce qu’elle [ndr : la peinture] peut estre mise au rang des disciplines serieuses & honorables tout ensemble, il ne faut que considerer comme ce Qu. Pedius muet naturel, que Jule Cesar avoit laissé son heritier conjointement avec Auguste, fut appliqué à l’estude de cét art par l’avis, qu’Auguste trouva fort bon, de l’Orateur Messalla son parent maternel. Pline. l. 35. c. 4.
Selon Pline (Histoire naturelle, livre XXXV, 21-22), la dignité de la peinture s’accrut à Rome quand Messala, approuvé par Auguste, fit apprendre la peinture à Q. Pedius, muet de naissance. Il s’agit de l’argument souvent rebattu selon lequel la peinture s’ennoblit dès lors qu’elle est enseignée à des enfants nobles.
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[…] la mesme science [ndr : la peinture] qui nous apprent ce que c’est que la Verité, nous fait de plus des leçons du mensonge : Outre que la peinture nous porte à bien juger de la perfection de tout ce qu’elle represente, son art nous fournit des maximes pour en discerner les vices, & pour en censurer ce qu’y rencontre de defectueus. Ainsi l’on trouva mesme à redire au Jupiter de Phidias […].
PHIDIAS, Zeus, c. 435 BC, chryselephantine statue, lost (5th century AD)
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PHIDIAS, Zeus, c. 435 BC, chryselephantine statue, lost (5th century AD)
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PHIDIAS, Zeus, c. 435 BC, chryselephantine statue, lost (5th century AD)
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PHIDIAS, Zeus, c. 435 BC, chryselephantine statue, lost (5th century AD)
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Quoy qu’il en soit, cela vous peut faire souvenir du reproche qu’on fit à un ancien Orateur, d’avoir tres-improprement parlé d’un Promethée peint au Temple de Minerve par Parrhasius dans Athenes. Car luy estant venu dans l’esprit ce qu’on avoit escrit des raisins representez par Zeuxis, que de petits moineaux venoient bequeter ; il creut qu’il ne pouvoit mieus louër ce Promethée, que de dire qu’il estoit tel qu’on voyoit souvent les Vaultours se jetter dessus pour luy perçer le costé, & se repaistre de son foye. Cependant c’estoit tres-mal rencontré à luy, d’autant qu’il n’est pas imaginable que des Vaultours entrent dans un Temple frequenté comme celuy de Minerve Athenienne, encore que des moineaux se puissent hazarder d’aller donner du bec contre un tableau exposé au jour, selon que les Peintres ont accoustumé d’y mettre leurs ouvrages.
L’on ne sçauroit donc nier que la peinture ne soit fort spirituelle, & tres propre à exercer le jugement en beaucoup de façons.
PARRHASIOS, Prométhée
ZEUXIS, Raisins
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PARRHASIOS, Prométhée
ZEUXIS, Raisins
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Mais son principal usage [ndr : la peinture] n’est pas seulement en de semblables observations, ny, comme dit Aristote {L. 8. Polit. c. 3.}, à donner une si parfaite connoissance des tableaus qu’on n’y puisse jamais estre trompé, soit pour la main ou la maniere des grands maistres, soit pour le fin discernement des copies d’avec les originaux, soit pour le prix qui depend presque tousjours de la fantaisie. Le plus grand avantage qu’on en tire vient de ce qu’elle nous apprend en quoy consiste la derniere beauté de tout ce qu’elle represente, & sur tout celle du corps humain.
Car il ne faut point douter que les Peintres ne jugent ordinairement mieux que le reste des hommes de la beauté humaine, tant à cause des regles qu’ils ont à l’esgard de la proportion des membres & des couleurs qui leur conviennent, que pource qu’ils exerçent incessamment leur imagination à former des Idées les plus accomplies qui se puissent concevoir.
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Le plus grand avantage qu’on en tire vient de ce qu’elle nous apprend en quoy consiste la derniere beauté de tout ce qu’elle represente, & sur tout celle du corps humain.
Car il ne faut point douter que les Peintres ne jugent ordinairement mieux que le reste des hommes de la beauté humaine, tant à cause des regles qu’ils ont à l’esgard de la proportion des membres & des couleurs qui leur conviennent, que pource qu’ils exerçent incessamment leur imagination à former des Idées les plus accomplies qui se puissent concevoir.