DU FRESNOY, Charles-Alphonse ( 1611-1668 )

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74. [Où il faut disposer toute la Machine de votre Tableau.] Ce n’est pas sans raison ny par hazard que notre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] se sert du mot de Machine. Une Machine est un juste assemblage de plusieurs pieces pour produire un mesme effet. Et la disposition dans un Tableau n’est autre chose qu’un assemblage de plusieurs Parties, dont on doit prevoir l’accord & la justesse, pour produire un bel effet, comme vous verrez dans le 4. Precepte, qui est de l’Œconomie ; aussi l’appelle-t-on autrement Composition, qui veut dire la distribution & l’agencement des choses en general & en particulier.

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Pour ce qui est des Couleurs rompuës ou composées, on doit juger de leur force par celle des Couleurs qui les composent. Tous ceux qui ont bien entendu l'accord des Couleurs, ne les ont pas employées toutes pures dans leurs Draperies, sinon dans quelque Figure sur la premiere ligne du Tableau : mais ils se sont servis de Couleurs rompuës & composées, dont ils ont fait une pour les yeux, en mélant celles qui ont quelque sympathie les unes avec les autres, pour en faire un Tout qui ayt de l'union avec les Couleurs qui luy sont voisines. […]

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221. [Que l’on considere les Lieux où l’on met la Scene du Tableau, &c.] C’est ce que Monsieur de Chambray appelle, Faire les choses selon le Costûme. Voyez ce qu’il en dit dans l’explication de ce mot dans le Livre qu’il a fait de la Perfection de la Peinture. Ce n’est pas assez que dans le Tableau il ne se trouve rien de contraire au Lieu où l’Action que l’on represente s’est passée : il faut encore le faire reconnoistre par quelque industrie, & que l’esprit du Spectateur ne travaille pas à découvrir […]

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330. [Le Blanc tout pur avance ou recule indifferement, il s’approche avec du Noir, & s’éloigne sans luy.] Tout le monde convient, que le Blanc peut subsister sur le devant du Tableau, & y estre employé tout pur ; la question est donc de sçavoir s’il peut également subsister & estre placé de la mesme sorte sur le derriere, la Lumiere estant universelle, & les Figures supposées dans une campagne. Nostre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] conclud affirmativement ; & la raison qui appuye ce Precepte est, Que n’y ayant rien qui participe davantage de la Lumiere que le Blanc, & la Lumiere pouvant fort bien subsister dans le lointin (comme nous le voyons tous les jours au lever & au coucher du Soleil,) il s’ensuit que le Blanc y peut subsister aussi : En Peinture la Lumiere & le Blanc ne sont quasi que la mesme chose. Ajoûtez à cela que nous n’avons point de Couleur plus approchante de l’Air que le Blanc, & par consequent point de Couleur plus legere […]. Le Titien, Tintoret, Paul Veronese, & tous ceux qui ont le mieux entendu les Lumieres, l’ont observé de la sorte, & personne ne peut aller à l’encontre de ce Precepte, à moins que de renoncer au païsage, qui nous confirme parfaitement cette verité ; & nous voyons que tous les Grands Païsagistes ont suivy en cela le Titien, qui s’est toûjours servy de Couleurs brunes & terrestres sur le devant, & qui a reservé ses plus grands Clairs pour les lointins & les derrieres de ses Païsages. […] 
On peut objecter à cette opinion, Que le Blanc ne peut se tenir dans le lointin ; puisque l’on s’en sert ordinairement pour faire approcher les Objets sur le devant. Il est vray que l’on s’en sert, & mesme fort à propos, pour rendre les Objets plus sensibles par l’opposition du Brun qui le doit accompagner, & qui le retient comme malgré luy ; soit que ce Brun luy serve de fond, ou qu’il luy soit attaché. […]
Mais, il semble (direz-vous) que le Bleu est la Couleur la plus fuyante ; puisque le Ciel & les Montagnes les plus éloignées sont de cette Couleur. Il est bien vray que le Bleu est une Couleur des plus legeres & des plus douces : mais il est vray aussi qu'elle a d'autant plus toutes ces qualitez, qu’il y a de Blanc meslé dedans, comme l'exemple des lointins nous le fait connoistre. […]
Que si la Lumiere de vostre Tableau n’est point universelle, & que vous supposiez vos Figures dans une Chambre, pour lors souvenez-vous du Theorème, qui dit, que
Plus un Corps est proche de la Lumière, & nous est directement opposé, plus il est éclairé ; parce que la Lumiere s’affoiblit en s’éloignant de sa source. Vous pourrez encore éteindre vostre Blanc, si vous supposez l'Air estre un peu plus épais, & si vous prevoyez que cette supposition fera un bon effet dans l’œconomie de tout l’Ouvrage : mais que cela n'aille pas jusqu'à faire vos Figures d'une demie teinte si brune, qu'il semble qu'elles soient dans un vilain brouillard, ou qu'elles paroissent attachées à leur fonds. […]

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233. [C'est où consiste la plus grande difficulté] pour deux raisons ; & parce qu'il en faut faire une grande étude, tant sur les belles Antiques & sur les beaux Tableaux, que sur la Nature ; & parce que cette Partie dépend presque entierement du Genie, & qu’elle semble estre purement un don du Ciel, que nous avons receu dés nostre naissance […] neantmoins il est à mon avis necessaire que les uns & les autres apprennent parfaitement le Caractère de chaque Passion.
Toutes les actions de l’Appetit sensitif sont appellées Passions, dautant qu’elles agitent l’Ame, & que le Corps y patit & s’y altere sensiblement : Ce sont ces diverses agitations & ces differens mouvemens de tout le Corps en general, & de chacune de ses Parties en particulier, que nostre Excellent Peintre doit connoistre, dont il doit faire son estude, & se former une parfaite Idée. Mais il sera fort à propos de sçavoir d’abord que les Philosophes en admettent onze ; l’Amour, la Haine, le Desir, la Fuïte, la Joye, la Tristesse, l’Esperance, le Desespoir, la Hardiesse, la Crainte, & la Colere. Les Peintres les multiplient non seulement par leurs differens degrez, mais encore par leurs differentes especes : car ils feront par exemple six personnes dans le mesme degré de Crainte, qui exprimeront cette Passion tous differemment ; & c’est cette diversité d’especes qui fait faire la distinction des Peintres qui sont veritablement habiles, d’avec ceux qu’on appelle Manieristes, & qui repetent jusqu’à cinq ou six fois dans un mesme Tableau les mesmes Airs de teste. […] 

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256. [La Cromatique.] La troisième & derniere Partie de la Peinture s’appelle Cromatique, ou Coloris. Elle a pour objet la Couleur : c’est pourquoy les Lumieres & les Ombres y sont aussi comprises, qui ne sont autre chose que du Blanc & du Brun, & par consequent qui ont rang parmy les Couleurs. […] Disons donc, Que la Cromatique fait ses observations sur les Masses ou Corps des Couleurs, accompagnées de Lumieres & d’Ombres plus ou moins évidentes par degrez de diminution, selon les accidens, premierement du Corps lumineux, comme du Soleil ou d’un flambeau ; secondement du Corps diaphane, qui est entre nous & l’objet, comme l’Air pur ou épais, ou une vitre rouge, &c. 3. du Corps solide illuminé, comme une Statuë de marbre blanc, un arbre vert, un cheval noir, &c. 4. de la part de celuy qui regarde le Corps illuminé le voyant de loin ou de prés, directement en ange droit, ou de biais en angle obtus, de haut en bas, ou de bas en haut. Cette Partie dans la connoissance qu’elle a de la valeur des Couleurs, de l’amitié qu’elles ont ensemble, & de leur antipathie, comprend la Force, le Relief, la Fierté, & ce Precieux que l’on remarque dans les bons Tableaux. Le maniement des Couleurs & le travail dépendent encore de cette derniere Partie.

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361. [Que jamais deux extremitez contraires, &c.] Le Sens de la veuë a cela de commun avec tous les autres, qu’il abhorre les extremitez contraires. Et de mesme que les mains qui ont grand froid, souffrent beaucoup lors qu’on les approche tout d’un coup du feu ; ainsi les yeux qui trouvent un extreme Blanc auprés d’un extreme Noir, ou un bel Azur auprés d’un Vermillon ardent, ne sçauroient regarder ces extremitez qu’avec peine, quoy qu’ils y soient toûjours attirez par l’éclat des deux contraires.
Ce Precepte oblige de sçavoir les Couleurs qui ont amitié ensemble, & celles qui sont incompatibles ; ce que l’on pourra aisément découvrir en mélant ensemble les Couleurs dont on veut faire épreuve : & si par ce mélange elles font une Couleur douce & qui ne soit point desagreable aux yeux, c’est une marque qu’il y a de l’union & de la sympathie entr’elles ; si au contraire la Couleur qui sera produite du mélange des deux autres, est rude à la veuë, il faut conclure qu’il y a de la contrarieté & de l’antipathie entre ces deux Couleurs. Le Vert par exemple est une Couleur agreable, qui peut venir du Bleu & du Jaune mélez ensemble, & par consequent le Bleu & le Jaune sont deux Couleurs qui sympathisent. Et tout au contraire le mélange du Bleu & du Vermillon ont une antipathie ensemble ; & ainsi des autres couleurs, dont vous pouvez faire essay, & vous éclaircir une fois pour toutes. […] L’on peut neantmoins passer par dessus ce Precepte, quand on n’a qu’une ou deux Figures à traiter, & que parmy un grand nombre on en veut faire remarquer quelqu’une, qui est des principales du Sujet, & qui autrement ne pourroit se faire remarquer par dessus les autres. Titien dans le Tableau qu’il a fait du Triomphe de Bacchus, ayant placé Ariadne sur l’un des costez du Tableau, & ne pouvant pour cette raison la faire remarquer par les éclats de la lumiere qu’il a voulu conserver dans le milieu, il luy a donné une écharpe de Vermillon sur une Draperie bleuë, tant pour la détacher de son fonds qui est déjà une mer bleuë, qu’à cause que c’est une des principales Figures du Sujet, sur laquelle il veut que l’œil soit attiré. Paul Veronese dans sa Noce de Cana, parce que le Christ, qui est la Principale Figure du Sujet, est un peu enfoncé dans le Tableau, & qu’il n’a pû le faire remarquer par le brillant du Clair-Obscur, il l’a vestu de Bleu & de Vermillon, pour faire que la veuë se portast sur cette Figure.
Les Couleurs ennemies se pourront d’autant plus allier, que vous y meslerez d’autres Couleurs qui auront de la sympathie l’une avec l’autre, & qui s’accorderont avec celles que vous voudrez, pour ainsi dire, reconcilier.

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112. [Selon la connoissance qu'en donne l’Anatomie.] Cette Partie n'est guere connuë aujourd'huy parmy nos Peintres ; j'en ay fait voir l'utilité & la necessité dans la Preface d'un petit Abregé que j'en ay fait, & que Monsieur Tortebat a mis en lumiere. Je sçay qu'il y en a qui se font un monstre de cette Science, & qui la croyent inutile, ou parce qu'ils ont l'esprit fort petit, ou parce qu'ils n'ont jamais fait de reflexion sur le besoin qu'ils en ont, & sur son importance, se contentant d'une routine à quoy ils sont accoûtumez : mais de quelque maniere que ce soit, il est certain que quiconque est capable d'avoir cette pensée, ne sera jamais capable d'estre un grand Dessinateur.

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256. [La Cromatique.] La troisième & derniere Partie de la Peinture s’appelle Cromatique, ou Coloris. Elle a pour objet la Couleur : c’est pourquoy les Lumieres & les Ombres y sont aussi comprises, qui ne sont autre chose que du Blanc & du Brun, & par consequent qui ont rang parmy les Couleurs. […] Disons donc, Que la Cromatique fait ses observations sur les Masses ou Corps des Couleurs, accompagnées de Lumieres & d’Ombres plus ou moins évidentes par degrez de diminution, selon les accidens, premierement du Corps lumineux, comme du Soleil ou d’un flambeau ; secondement du Corps diaphane, qui est entre nous & l’objet, comme l’Air pur ou épais, ou une vitre rouge, &c. 3. du Corps solide illuminé, comme une Statuë de marbre blanc, un arbre vert, un cheval noir, &c. 4. de la part de celuy qui regarde le Corps illuminé le voyant de loin ou de prés, directement en ange droit, ou de biais en angle obtus, de haut en bas, ou de bas en haut. Cette Partie dans la connoissance qu’elle a de la valeur des Couleurs, de l’amitié qu’elles ont ensemble, & de leur antipathie, comprend la Force, le Relief, la Fierté, & ce Precieux que l’on remarque dans les bons Tableaux. Le maniement des Couleurs & le travail dépendent encore de cette derniere Partie.

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361. [Que jamais deux extremitez contraires, &c.] Le Sens de la veuë a cela de commun avec tous les autres, qu’il abhorre les extremitez contraires. Et de mesme que les mains qui ont grand froid, souffrent beaucoup lors qu’on les approche tout d’un coup du feu ; ainsi les yeux qui trouvent un extreme Blanc auprés d’un extreme Noir, ou un bel Azur auprés d’un Vermillon ardent, ne sçauroient regarder ces extremitez qu’avec peine, quoy qu’ils y soient toûjours attirez par l’éclat des deux contraires.
Ce Precepte oblige de sçavoir les Couleurs qui ont amitié ensemble, & celles qui sont incompatibles ; ce que l’on pourra aisément découvrir en mélant ensemble les Couleurs dont on veut faire épreuve : & si par ce mélange elles font une Couleur douce & qui ne soit point desagreable aux yeux, c’est une marque qu’il y a de l’union & de la sympathie entr’elles ; si au contraire la Couleur qui sera produite du mélange des deux autres, est rude à la veuë, il faut conclure qu’il y a de la contrarieté & de l’antipathie entre ces deux Couleurs. Le Vert par exemple est une Couleur agreable, qui peut venir du Bleu & du Jaune mélez ensemble, & par consequent le Bleu & le Jaune sont deux Couleurs qui sympathisent. Et tout au contraire le mélange du Bleu & du Vermillon ont une antipathie ensemble ; & ainsi des autres couleurs, dont vous pouvez faire essay, & vous éclaircir une fois pour toutes. […] L’on peut neantmoins passer par dessus ce Precepte, quand on n’a qu’une ou deux Figures à traiter, & que parmy un grand nombre on en veut faire remarquer quelqu’une, qui est des principales du Sujet, & qui autrement ne pourroit se faire remarquer par dessus les autres. Titien dans le Tableau qu’il a fait du Triomphe de Bacchus, ayant placé Ariadne sur l’un des costez du Tableau, & ne pouvant pour cette raison la faire remarquer par les éclats de la lumiere qu’il a voulu conserver dans le milieu, il luy a donné une écharpe de Vermillon sur une Draperie bleuë, tant pour la détacher de son fonds qui est déjà une mer bleuë, qu’à cause que c’est une des principales Figures du Sujet, sur laquelle il veut que l’œil soit attiré. Paul Veronese dans sa Noce de Cana, parce que le Christ, qui est la Principale Figure du Sujet, est un peu enfoncé dans le Tableau, & qu’il n’a pû le faire remarquer par le brillant du Clair-Obscur, il l’a vestu de Bleu & de Vermillon, pour faire que la veuë se portast sur cette Figure.
Les Couleurs ennemies se pourront d’autant plus allier, que vous y meslerez d’autres Couleurs qui auront de la sympathie l’une avec l’autre, & qui s’accorderont avec celles que vous voudrez, pour ainsi dire, reconcilier.

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37. [La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art.] Voicy où échoüent presque tous les Peintres Flamans ; & la pluspart sçavent imiter la Nature pour le moins aussi bien que les Peintres des autres Nations ; mais ils en font un mauvais choix, soit parce qu’ils n’ont pas veu l’Antique, ou que le beau Naturel ne se trouve pas ordinairement dans leur païs. Et dans la vérité ce beau estant fort rare […], il est difficile d'en faire le choix, & de s'en former des idées qui puissent servir de modele.

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39. [Dont le choix s’en doit faire selon le goust & la maniere des Anciens.] C’est à dire, selon les Statües, les Bas-reliefs, & selon les autres Ouvrages Antiques, tant des Grecs que des Romains. On appelle Antique ce qui a esté fait depuis Alexandre le Grand jusqu’à l’Empereur Phocas, sous l’Empire duquel les Arts furent ruïnez par la guerre. Ces Ouvrages Antiques ont toûjours esté depuis leur naissance, la Regle de la Beauté. Et en effet, leurs Auteurs ont pris un tel soin de les mettre dans la perfection où nous les voyons, qu’ils se servoient, non pas d’un seul Naturel, mais de plusieurs dont ils prenoient les parties les plus regulieres pour en faire un beau Tout […]

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188. [Et tout ce qui fait connoistre les Pensées & les Inventions des Grecs ] comme les bons Livres, tels que sont Homere & Pausanias. Les Estampes que nous voyons des choses Antiques peuvent contribuer infiniment à nous former le Genie & à nous donner de belles Idées, de mesme que les Ecrits des bons Autheurs, sont capables de former un bon Style à ceux qui veulent bien écrire.

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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

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104. [Dont les Membres soient Grands.] Non pas en sorte qu’ils excedent la juste proportion : mais c’est à dire, que dans une belle Attitude les Membres du Corps les plus grands doivent plûtost paroistre que les petits : c’est pourquoy dans un autre endroit, il [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] défend autant que l’on pourra les Racourcis, parce qu’ils font paroistre les Membres petits, quoy que d’eux-mesmes ils soient grands.
104.
[Amples,] pour éviter la Maniere seiche & maigre, comme est ordinairement le Naturel, & comme l’ont imitée Lucas & Albert.

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169. [Fuyez encore les Lignes & les Contours égaux, qui font des Paralleles, ou d'autres Figures aiguës & Geometrales, comme des, &c.] Il entend parler principalement des Attitudes & des Membres agencez de sorte, qu'ils fassent ensemble les Figures Geometrales qu'il condamne.

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105. [Inégaux dans leur Position, en sorte que ceux de devant contrastent les autres qui vont en arriere, & soient tous également balancez sur leur centre.] Les mouvemens ne sont jamais naturels, si les Membres ne sont également balancez sur leur centre ; & ces Membres ne peuvent estre balancez sur leur centre dans une égalité de poids, qu'ils ne se contrastent les uns les autres. Un homme qui danse sur la corde, fait voir fort clairement cette verité. Le Corps est un poids balancé sur ses pieds, comme sur deux pivots ; & s’il n’y en a qu’un qui porte, comme il arrive le plus souvent, vous voyez que tout le poids est retiré dessus centralement, en sorte que si par exemple le bras avance, il faut de nécessité, ou que l’autre bras, ou que la jambe aille en arriere, ou que le Corps soit tant soit peu courbé du costé contraire, pour estre dans son Equilibre & dans une situation hors de contrainte. Il se peut faire, mais rarement, si ce n’est dans les Vieillards, que les deux pieds portent également ; & pour lors il n’y a qu’à distribuer la moitié du poids sur chaque pied. Vous userez de la mesme prudence, si l’un des pieds portoit les trois quarts du fardeau, & que l’autre portast le reste. Voila en general ce que l’on peut dire de la Balance & de la Ponderation du Corps : du reste, il y a quantité de choses tres-belles & tres-remarquables à dire ; & vous pourrez vous en satisfaire dans Leonard de Vincy ; il a fait merveille là-dessus, & l'on peut dire que la Ponderation est la plus belle & la plus saine partie de son Livre sur la Peinture. Elle commence au CLXXXI. Chapitre, & finit au CCLXXIII. Je vous conseille de voir encore Paul Lomasse dans son 6. l. chap. IIII. Del moto del Corpo humano, vous y trouverez des choses tres-utiles. Pour ce qui est du Contraste, je vous diray en general, que rien ne donne davantage la grace & la vie aux Figures.

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152. [De mesme que la Comédie, &c.] Annibal Carache ne croyoit pas qu'un Tableau pust estre bien, dans lequel on faisoit entrer plus de douze Figures : c'est l'Albane qui l'a dit à nostre Autheur, de qui je l'ay appris ; & la raison qu'il en apportoit, estoit premierement qu'il ne croyoit pas qu'on deust faire plus de trois grands Grouppes de Figures dans un Tableau ; & secondement que le Silence & la Majesté y estoient necessaires pour le rendre beau : ce qui ne se peut ny l'un ny l'autre dans une multitude & dans une foule de Figures. Que si neantmoins vous y estes contraint par le Sujet, comme seroit un Jugement universel, un Massacre des Innocens, une Bataille, &c. pour lors il faudroit disposer les choses par grandes Masses de Clair-Obscur & d'union de Couleurs, sans s'amuser à finir chaque chose en particulier indépendamment l'une de l'autre, comme font ceux qui ont un petit Genie, & dont l'esprit n'est pas capable d'embrasser un grand Dessein, ny une grande Composition.

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37. [La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art.] Voicy où échoüent presque tous les Peintres Flamans ; & la pluspart sçavent imiter la Nature pour le moins aussi bien que les Peintres des autres Nations ; mais ils en font un mauvais choix, soit parce qu’ils n’ont pas veu l’Antique, ou que le beau Naturel ne se trouve pas ordinairement dans leur païs. Et dans la vérité ce beau estant fort rare […], il est difficile d'en faire le choix, & de s'en former des idées qui puissent servir de modele.

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52. [Les beautez fuyantes & passageres] ne sont autres, que celles que nous remarquons dans la Nature pour tres-peu de temps, & qui ne sont pas fort attachées à leurs sujets ; telles sont les Passions de l'Ame. Il y a de ces sortes de beautez qui ne durent qu'un moment, comme les mines differentes que fera une assemblée à la veuë d'un spectacle impreveu & non commun ; quelque particularité d'une Passion violente, quelque action faite avec grace, un souris, une œillade, un mépris, une gravité, & mille autres choses semblables. On peut encore mettre au nombre des beautez passageres, les beaux nuages, tels qu'ils sont ordinairement apres la pluye ou apres le tonnere. 

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222. [Et de la Grace.] Il est assez difficile de dire ce que c’est que cette Grace de la Peinture : on la conçoit & on la sent bien mieux qu’on ne la peut expliquer. Elle vient des Lumieres d’une excellente Nature, qui ne se peuvent acquerir, par lesquelles nous donnons un certain tour aux choses qui les rendent agreables. Une Figure sera dessinée avec toutes ses Proportions, & aura toutes ses Parties regulieres, laquelle pour cela ne sera pas agreable, si toutes ces Parties ne sont mises ensemble d’une certaine maniere qui attire les yeux, & qui les tiennent comme immobiles. C’est pourquoy il y a difference entre la Beauté & la Grace, & il semble qu’Ovide les ait voulu distinguer, […] Et Suetone [ …]. Et combien voyons-nous de personnes belles qui nous plaisent beaucoup moins que d’autres qui n’ont pas de si beaux traits. C’est par cette Grace que Raphaël s’est rendu le plus celebre de tous les Italiens, de mesme qu’Apelle l’a esté de tous les Grecs.

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510. [Mettez-vous à desseigner d'apres les Antiques Grecques] parce qu'elles sont la Règle de Beauté, & qu'elles nous donnent le bon goust.

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39. [Dont le choix s’en doit faire selon le goust & la maniere des Anciens.] C’est à dire, selon les Statües, les Bas-reliefs, & selon les autres Ouvrages Antiques, tant des Grecs que des Romains. On appelle Antique ce qui a esté fait depuis Alexandre le Grand jusqu’à l’Empereur Phocas, sous l’Empire duquel les Arts furent ruïnez par la guerre. Ces Ouvrages Antiques ont toûjours esté depuis leur naissance, la Regle de la Beauté. Et en effet, leurs Auteurs ont pris un tel soin de les mettre dans la perfection où nous les voyons, qu’ils se servoient, non pas d’un seul Naturel, mais de plusieurs dont ils prenoient les parties les plus regulieres pour en faire un beau Tout […]

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74. [Où il faut disposer toute la Machine de votre Tableau.] Ce n’est pas sans raison ny par hazard que notre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] se sert du mot de Machine. Une Machine est un juste assemblage de plusieurs pieces pour produire un mesme effet. Et la disposition dans un Tableau n’est autre chose qu’un assemblage de plusieurs Parties, dont on doit prevoir l’accord & la justesse, pour produire un bel effet, comme vous verrez dans le 4. Precepte, qui est de l’Œconomie ; aussi l’appelle-t-on autrement Composition, qui veut dire la distribution & l’agencement des choses en general & en particulier.

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117. [Quoy que la Perspective ne puisse pas estre appellée une Regle certaine, &c.] Ce n’est pas pour rejetter la Perspective qu’il [ndr : C.-A. Dufresnoy] parle ainsi, puis qu’il la conseille dans le Vers, comme une chose absolument necessaire. […] Voicy donc de quelle maniere il faut l’entendre, quand il dit, que la Perspective n’est pas une Regle certaine. C’est à dire, purement d’elle-mesme, sans la prudence & sans la discretion. La pluspart de ceux qui la sçavent, en voulant la pratiquer trop regulierement, font bien souvent des choses qui choquent la veuë, quoy qu’elles soient dans les Regles. […] La Corniche du Palais Farnese, qui fait un si bel effet d’en bas, de prés n’a point ses justes mesures. Dans la Colomne Trajane nous voyons que les Figures les plus élevées sont plus grandes que celles d’en bas, & font un effet tout contraire à la Perspective, puis qu’elles augmentent à mesure qu’elles s’éloignent. Je sçay qu’il y a une Regle, qui donne le moyen de les faire de la sorte ; & quoy qu’elle soit dans quelques Livres de Perspective, elle n’est pas pour cela Regle de Perspective ; puis qu’on ne s’en sert que lors seulement qu’on le juge à propos : car si par exemple les Figures qui sont au haut de la Colomne Trajane, n’estoient que de la mesme grandeur de celles qui sont au bas, elles ne seroient pas pour cela contre la Perspective ; & ainsi l’on peut dire avec plus de raison, que c’est une Regle de Bienseance dans la Perspective, pour soulager la veuë, & pour luy rendre les objets plus agreables. C’est sur ce fondement general que dans la Perspective on peut ainsi dire établir des Regles de Bienseance, quand l’occasion s’en rencontre. […] Ce que les Illustres Autheurs de ces belles choses ont fait, non pas en mépris de la Geometrie & de la Perspective, mais pour la satisfaction des yeux, qui estoit la fin qu’ils se sont toûjours proposée dans leurs Ouvrages. Il faut donc sçavoir la Perspective comme une chose absolument necessaire, & dont un Peintre ne peut se passer, sans pourtant s’assujettir si fort à elle, que l’on en devienne esclave […]

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330. [Le Blanc tout pur avance ou recule indifferement, il s’approche avec du Noir, & s’éloigne sans luy.] Tout le monde convient, que le Blanc peut subsister sur le devant du Tableau, & y estre employé tout pur ; la question est donc de sçavoir s’il peut également subsister & estre placé de la mesme sorte sur le derriere, la Lumiere estant universelle, & les Figures supposées dans une campagne. Nostre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] conclud affirmativement ; & la raison qui appuye ce Precepte est, Que n’y ayant rien qui participe davantage de la Lumiere que le Blanc, & la Lumiere pouvant fort bien subsister dans le lointin (comme nous le voyons tous les jours au lever & au coucher du Soleil,) il s’ensuit que le Blanc y peut subsister aussi : En Peinture la Lumiere & le Blanc ne sont quasi que la mesme chose. Ajoûtez à cela que nous n’avons point de Couleur plus approchante de l’Air que le Blanc, & par consequent point de Couleur plus legere […]. Le Titien, Tintoret, Paul Veronese, & tous ceux qui ont le mieux entendu les Lumieres, l’ont observé de la sorte, & personne ne peut aller à l’encontre de ce Precepte, à moins que de renoncer au païsage, qui nous confirme parfaitement cette verité ; & nous voyons que tous les Grands Païsagistes ont suivy en cela le Titien, qui s’est toûjours servy de Couleurs brunes & terrestres sur le devant, & qui a reservé ses plus grands Clairs pour les lointins & les derrieres de ses Païsages. […] 
On peut objecter à cette opinion, Que le Blanc ne peut se tenir dans le lointin ; puisque l’on s’en sert ordinairement pour faire approcher les Objets sur le devant. Il est vray que l’on s’en sert, & mesme fort à propos, pour rendre les Objets plus sensibles par l’opposition du Brun qui le doit accompagner, & qui le retient comme malgré luy ; soit que ce Brun luy serve de fond, ou qu’il luy soit attaché. […]
Mais, il semble (direz-vous) que le Bleu est la Couleur la plus fuyante ; puisque le Ciel & les Montagnes les plus éloignées sont de cette Couleur. Il est bien vray que le Bleu est une Couleur des plus legeres & des plus douces : mais il est vray aussi qu'elle a d'autant plus toutes ces qualitez, qu’il y a de Blanc meslé dedans, comme l'exemple des lointins nous le fait connoistre. […]
Que si la Lumiere de vostre Tableau n’est point universelle, & que vous supposiez vos Figures dans une Chambre, pour lors souvenez-vous du Theorème, qui dit, que
Plus un Corps est proche de la Lumière, & nous est directement opposé, plus il est éclairé ; parce que la Lumiere s’affoiblit en s’éloignant de sa source. Vous pourrez encore éteindre vostre Blanc, si vous supposez l'Air estre un peu plus épais, & si vous prevoyez que cette supposition fera un bon effet dans l’œconomie de tout l’Ouvrage : mais que cela n'aille pas jusqu'à faire vos Figures d'une demie teinte si brune, qu'il semble qu'elles soient dans un vilain brouillard, ou qu'elles paroissent attachées à leur fonds. […]

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332. [Mais pour le Noir tout pur, il n’y a rien qui s’approche davantage.] […] C'est la couleur la plus pesante, la plus terrestre, la plus sensible […] le Noir fait toûjours bon effet sur le devant, quand il est mis fort à propos & avec prudence. Il faut donc tellement disposer les Corps que l'on veut tenir sur le devant du Tableau, que l'on n'y voye point ces sortes de trous, & que les Noirs y soient par Masses & confondus insensiblement. [...]
Ce qui donne le relief à la boule (me dira quelqu’un) est l’éclat ou le Blanc, qui est ce semble sur la partie la plus proche de nous ; & par consequent le Noir est fuyant.
[…] Le Brun que l’on mesle dans les tournans de la boule, les fait fuïr, en les confondant plûtost (pour ainsi dire) qu’en les noircissant. Et ne voyez-vous pas que les Reflets sont un artifice du Peintre, pour rendre les tournans plus legers, & que par ce moyen le plus grand Noir demeure vers le milieu de la boule, pour soûtenir le Blanc, & faire qu’elle nous trompe plus agreablement.
Ce Precept du Blanc & du Noir est de si grande consequence, qu’à moins d’estre exactement pratiqué, il est impossible qu’un Tableau fasse un grand effet : que les Masses en soient débroüillées, & que les Distances d’enfoncement s’y fassent remarquer du premier coup d’œil & sans peine. […]
L’effet d’un Tableau ne vient donc pas seulement du Clair-Obscur, mais encore de la nature des Couleurs. J’ay crû qu’il n’estoit pas hors de propos de dire icy les qualitez de celles dont on se sert ordinairement, & que l’on appelle Couleurs capitales ; parce qu’elles servent à faire la composition de toutes les autres, dont le nombre est infiny.
L’Occre de Rut est une Couleur des plus pesantes.
L’Occre-jaune ne l’est pas tant, parce qu’il est plus clair.
Et le Massicot est fort leger, parce que c’est un Jaune tres-clair & qui approche fort du Blanc.
L’Outremer, ou l’Azur, est une Couleur fort legere & fort douce.
Le Vermillon est entierement opposé à l’Outremer.
La Laque est un milieu entre l’Outremer & le Vermillon, encore est-elle plus douce que rude.
Le Brun-rouge est des plus terrestres & des plus sensibles.
Le Stil de grain est une Couleur indifferente, & qui par le mélange est fort susceptible des qualitez des autres Couleurs : Si vous y meslez du Brun-rouge, vous ferez une Couleur des plus terrestres ; mais si au contraire, vous le joignez avec le Blanc ou le Bleu, vous en aurez une Couleur des plus fuyantes.
La Terre verte est legere ; elle est un milieu entre l’Occre-jaune & l’Outremer.
La Terre d’ombre est extremement sensible & terrestre ; il n’y a que le noir extréme qui luy puisse disputer.
De tous les Noirs celuy-là est le plus terrestre qui s’éloigne le plus du Bleu.
Selon le Principe que nous avons estably du Blanc & du Noir, vous rendrez chacune de ces Couleurs que je viens de nommer, d’autant plus terrestre & plus pesante, que vous y joindrez du Noir, & d’autant plus legere que vous y meslerez de Blanc. […]

Quotation

382. [Que vos Couleurs soient vives, sans pourtant donner, comme on dit, dans la farine.] Donner dans la farine c’est une façon de parler parmy les Peintres, qui exprime parfaitement ce qu’elle veut dire, qui n’est autre chose que de peindre avec Couleurs claires & fades tout ensemble, lesquelles ne donnent non plus de vie aux Figures, que si effectivement elles estoient frottées de farine. Ceux qui font leurs Carnations fort blanches & leurs Ombres grises ou verdastres, tombent dans cette inconvenient. Les Couleurs rousses dans les Ombres des chairs les plus delicates, contribuent merveilleusement à les rendre vives, brillantes & naturelles : mais il en faut user avec la mesme prudence dont le Titien, Paul Ver. Rubens & Vandeik se sont servis.
Pour conserver les Couleurs fraisches, il faut peindre en mettant toûjours des Couleurs, & non pas en frottant apres les avoir couchées sur la toile ; & s’il se pouvoit mesme faire qu’on les mist justement dans leurs places, & que l’on n’y touchast point quand on les y a une fois placées, il seroit encore mieux ; parce que la fraischeur des Couleurs se ternit & se perd à force de les tourmenter en peignant.
Tous ceux qui ont bien colorié, avoient encore une autre Maxime pour maintenir les Couleurs fraisches, vives & fleuries ; c'estoit de se servir de Fonds blancs, sur lesquels ils peignoient, & souvent mesme au premier coup, sans rien retoucher, & sans y employer de nouvelles Couleurs. Rubens s'en servoit toûjours ; & j'ay veu des Tableaux de la main de ce grand Homme faits au premier coup, qui avoient une vivacité merveilleuse. La raison que ces excellens Coloristes avoient de se servir de ces sortes de Fonds, est que le Blanc conserve toûjours un éclat sous le transparant des Couleurs, lesquelles empeschent que l'air n'altere la blancheur du Fonds, de méme que cette blancheur repare le dommage qu'elles reçoivent de l'air ; de maniere que le Fonds & les Couleurs se prestent un mutuel secours, & se conservent l'un l'autre. C'est par cette raison que les Couleurs glacées ont une vivacité qui ne peut jamais estre imitée par les Couleurs les plus vives & les plus brillantes, dont à la maniere ordinaire & commune on couche simplement les differentes teintes, chacune dans leur place les unes apres les autres : tant il est vray que le Blanc avec les autres Couleurs fieres, dont on peint d'abord ce que l'on veut glacer, en sont comme la vie & l'éclat. Les Anciens ont asseurement trouvé que les Fonds blancs estoient beaucoup meilleurs que les autres : puisque nonobstant l'incommodité que leurs yeux recevoient de cette Couleur, ils ne laissoient pas de s'en servir, […] Je ne sçay d'où vient que l'on ne s'en sert pas aujourd'huy, si ce n'est qu'il y a peu de Peintres curieux de bien colorier, ou que l'ébauche commencée sur le Blanc ne se montre pas assez viste, & qu'il faut avoir une patience plus que Françoise, pour attendre qu'elle soit achevée, & que le Fond qui ternit par sa Blancheur l'éclat des autres Couleurs, soit entierement couvert, pour faire paroistre agreablement tout l'Ouvrage.

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382. [Que vos Couleurs soient vives, sans pourtant donner, comme on dit, dans la farine.] Donner dans la farine c’est une façon de parler parmy les Peintres, qui exprime parfaitement ce qu’elle veut dire, qui n’est autre chose que de peindre avec Couleurs claires & fades tout ensemble, lesquelles ne donnent non plus de vie aux Figures, que si effectivement elles estoient frottées de farine. Ceux qui font leurs Carnations fort blanches & leurs Ombres grises ou verdastres, tombent dans cette inconvenient. Les Couleurs rousses dans les Ombres des chairs les plus delicates, contribuent merveilleusement à les rendre vives, brillantes & naturelles : mais il en faut user avec la mesme prudence dont le Titien, Paul Ver. Rubens & Vandeik se sont servis.
Pour conserver les Couleurs fraisches, il faut peindre en mettant toûjours des Couleurs, & non pas en frottant apres les avoir couchées sur la toile ; & s’il se pouvoit mesme faire qu’on les mist justement dans leurs places, & que l’on n’y touchast point quand on les y a une fois placées, il seroit encore mieux ; parce que la fraischeur des Couleurs se ternit & se perd à force de les tourmenter en peignant.
Tous ceux qui ont bien colorié, avoient encore une autre Maxime pour maintenir les Couleurs fraisches, vives & fleuries ; c'estoit de se servir de Fonds blancs, sur lesquels ils peignoient, & souvent mesme au premier coup, sans rien retoucher, & sans y employer de nouvelles Couleurs. Rubens s'en servoit toûjours ; & j'ay veu des Tableaux de la main de ce grand Homme faits au premier coup, qui avoient une vivacité merveilleuse. La raison que ces excellens Coloristes avoient de se servir de ces sortes de Fonds, est que le Blanc conserve toûjours un éclat sous le transparant des Couleurs, lesquelles empeschent que l'air n'altere la blancheur du Fonds, de méme que cette blancheur repare le dommage qu'elles reçoivent de l'air ; de maniere que le Fonds & les Couleurs se prestent un mutuel secours, & se conservent l'un l'autre. C'est par cette raison que les Couleurs glacées ont une vivacité qui ne peut jamais estre imitée par les Couleurs les plus vives & les plus brillantes, dont à la maniere ordinaire & commune on couche simplement les differentes teintes, chacune dans leur place les unes apres les autres : tant il est vray que le Blanc avec les autres Couleurs fieres, dont on peint d'abord ce que l'on veut glacer, en sont comme la vie & l'éclat. Les Anciens ont asseurement trouvé que les Fonds blancs estoient beaucoup meilleurs que les autres : puisque nonobstant l'incommodité que leurs yeux recevoient de cette Couleur, ils ne laissoient pas de s'en servir, […] Je ne sçay d'où vient que l'on ne s'en sert pas aujourd'huy, si ce n'est qu'il y a peu de Peintres curieux de bien colorier, ou que l'ébauche commencée sur le Blanc ne se montre pas assez viste, & qu'il faut avoir une patience plus que Françoise, pour attendre qu'elle soit achevée, & que le Fond qui ternit par sa Blancheur l'éclat des autres Couleurs, soit entierement couvert, pour faire paroistre agreablement tout l'Ouvrage.

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37. [La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art.] Voicy où échoüent presque tous les Peintres Flamans ; & la pluspart sçavent imiter la Nature pour le moins aussi bien que les Peintres des autres Nations ; mais ils en font un mauvais choix, soit parce qu’ils n’ont pas veu l’Antique, ou que le beau Naturel ne se trouve pas ordinairement dans leur païs. Et dans la vérité ce beau estant fort rare […], il est difficile d'en faire le choix, & de s'en former des idées qui puissent servir de modele.

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256. [La Cromatique.] La troisième & derniere Partie de la Peinture s’appelle Cromatique, ou Coloris. Elle a pour objet la Couleur : c’est pourquoy les Lumieres & les Ombres y sont aussi comprises, qui ne sont autre chose que du Blanc & du Brun, & par consequent qui ont rang parmy les Couleurs. […] Disons donc, Que la Cromatique fait ses observations sur les Masses ou Corps des Couleurs, accompagnées de Lumieres & d’Ombres plus ou moins évidentes par degrez de diminution, selon les accidens, premierement du Corps lumineux, comme du Soleil ou d’un flambeau ; secondement du Corps diaphane, qui est entre nous & l’objet, comme l’Air pur ou épais, ou une vitre rouge, &c. 3. du Corps solide illuminé, comme une Statuë de marbre blanc, un arbre vert, un cheval noir, &c. 4. de la part de celuy qui regarde le Corps illuminé le voyant de loin ou de prés, directement en ange droit, ou de biais en angle obtus, de haut en bas, ou de bas en haut. Cette Partie dans la connoissance qu’elle a de la valeur des Couleurs, de l’amitié qu’elles ont ensemble, & de leur antipathie, comprend la Force, le Relief, la Fierté, & ce Precieux que l’on remarque dans les bons Tableaux. Le maniement des Couleurs & le travail dépendent encore de cette derniere Partie.

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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

Quotation

152. [De mesme que la Comédie, &c.] Annibal Carache ne croyoit pas qu'un Tableau pust estre bien, dans lequel on faisoit entrer plus de douze Figures : c'est l'Albane qui l'a dit à nostre Autheur, de qui je l'ay appris ; & la raison qu'il en apportoit, estoit premierement qu'il ne croyoit pas qu'on deust faire plus de trois grands Grouppes de Figures dans un Tableau ; & secondement que le Silence & la Majesté y estoient necessaires pour le rendre beau : ce qui ne se peut ny l'un ny l'autre dans une multitude & dans une foule de Figures. Que si neantmoins vous y estes contraint par le Sujet, comme seroit un Jugement universel, un Massacre des Innocens, une Bataille, &c. pour lors il faudroit disposer les choses par grandes Masses de Clair-Obscur & d'union de Couleurs, sans s'amuser à finir chaque chose en particulier indépendamment l'une de l'autre, comme font ceux qui ont un petit Genie, & dont l'esprit n'est pas capable d'embrasser un grand Dessein, ny une grande Composition.

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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

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286. [De la mesme façon que le Miroir convexe vous le montre.] Le Miroir convexe altere les Objets qui sont au milieu, de sorte qu’il semble les faire sortir hors de sa superficie. Le Peintre en usera de cette maniere à l’égard du Clair-Obscur de ses Figures, pour leur donner plus de relief & plus de force.

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256. [La Cromatique.] La troisième & derniere Partie de la Peinture s’appelle Cromatique, ou Coloris. Elle a pour objet la Couleur : c’est pourquoy les Lumieres & les Ombres y sont aussi comprises, qui ne sont autre chose que du Blanc & du Brun, & par consequent qui ont rang parmy les Couleurs. […] Disons donc, Que la Cromatique fait ses observations sur les Masses ou Corps des Couleurs, accompagnées de Lumieres & d’Ombres plus ou moins évidentes par degrez de diminution, selon les accidens, premierement du Corps lumineux, comme du Soleil ou d’un flambeau ; secondement du Corps diaphane, qui est entre nous & l’objet, comme l’Air pur ou épais, ou une vitre rouge, &c. 3. du Corps solide illuminé, comme une Statuë de marbre blanc, un arbre vert, un cheval noir, &c. 4. de la part de celuy qui regarde le Corps illuminé le voyant de loin ou de prés, directement en ange droit, ou de biais en angle obtus, de haut en bas, ou de bas en haut. Cette Partie dans la connoissance qu’elle a de la valeur des Couleurs, de l’amitié qu’elles ont ensemble, & de leur antipathie, comprend la Force, le Relief, la Fierté, & ce Precieux que l’on remarque dans les bons Tableaux. Le maniement des Couleurs & le travail dépendent encore de cette derniere Partie.

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74. [Où il faut disposer toute la Machine de votre Tableau.] Ce n’est pas sans raison ny par hazard que notre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] se sert du mot de Machine. Une Machine est un juste assemblage de plusieurs pieces pour produire un mesme effet. Et la disposition dans un Tableau n’est autre chose qu’un assemblage de plusieurs Parties, dont on doit prevoir l’accord & la justesse, pour produire un bel effet, comme vous verrez dans le 4. Precepte, qui est de l’Œconomie ; aussi l’appelle-t-on autrement Composition, qui veut dire la distribution & l’agencement des choses en general & en particulier.

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61. [Veu que les plus belles choses ne se peuvent souvent exprimer faute de termes.] J’ay [ndr : Roger de Piles] appris de la bouche de Monsieur du Fresnoy, qu’il avoit plusieurs fois oüi dire au Guide, Qu’on ne pouvoit donner de Preceptes des plus belles choses, & que les connoissances en estoient si cachées, qu’il n’y avoit point de maniere de parler qui les pût découvrir. Cela revient assez à ce que dit Quint. {Declam. 19.} Les choses incroyables n'ont point de paroles pour estre exprimées, il y en a quelques-unes qui sont trop grandes & trop relevées, pour pouvoir estre comprises dans les discours des hommes. D'où vient que les Connoisseurs, quand ils admirent un beau Tableau, semblent y estre collez ; & quand ils en reviennent, vous diriez qu'ils auroient perdu l'usage de la parole. {Liv. 2. Sat. 7.} Pausiaca torpes insane Tabella. Dit Horace. {L. 10. Ep. 22} Et Symmachus dit, Que la grandeur de l'étonnement ne permet pas que l'on donne des loüanges & des applaudissemens. Les Italiens disent Opera da stupire, pour dire qu'une chose est fort belle. 

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61. [Veu que les plus belles choses ne se peuvent souvent exprimer faute de termes.] J’ay [ndr : Roger de Piles] appris de la bouche de Monsieur du Fresnoy, qu’il avoit plusieurs fois oüi dire au Guide, Qu’on ne pouvoit donner de Preceptes des plus belles choses, & que les connoissances en estoient si cachées, qu’il n’y avoit point de maniere de parler qui les pût découvrir. Cela revient assez à ce que dit Quint. {Declam. 19.} Les choses incroyables n'ont point de paroles pour estre exprimées, il y en a quelques-unes qui sont trop grandes & trop relevées, pour pouvoir estre comprises dans les discours des hommes. D'où vient que les Connoisseurs, quand ils admirent un beau Tableau, semblent y estre collez ; & quand ils en reviennent, vous diriez qu'ils auroient perdu l'usage de la parole. {Liv. 2. Sat. 7.} Pausiaca torpes insane Tabella. Dit Horace. {L. 10. Ep. 22} Et Symmachus dit, Que la grandeur de l'étonnement ne permet pas que l'on donne des loüanges & des applaudissemens. Les Italiens disent Opera da stupire, pour dire qu'une chose est fort belle. 

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CONTOUR. On appelle contour, les extrêmités d’une figure, ou les lignes qui l’entourent & qui la terminent en tout sens : il ne se dit que des figures. 
Les
contours pour avoir de la grace, doivent être arrondis, & bien prononcés, c’est-à-dire, dessinés avec science & avec justesse. Du Fresnoy recommande qu’ils soient polis, grands, coulants, sans cavités, ondoyans, semblables à la flâme ou au serpent. 

. . . .
Ignis flammantis ad instar, 
Serpenti undantes flexu. . . . . .

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105. [Inégaux dans leur Position, en sorte que ceux de devant contrastent les autres qui vont en arriere, & soient tous également balancez sur leur centre.] Les mouvemens ne sont jamais naturels, si les Membres ne sont également balancez sur leur centre ; & ces Membres ne peuvent estre balancez sur leur centre dans une égalité de poids, qu'ils ne se contrastent les uns les autres. Un homme qui danse sur la corde, fait voir fort clairement cette verité. Le Corps est un poids balancé sur ses pieds, comme sur deux pivots ; & s’il n’y en a qu’un qui porte, comme il arrive le plus souvent, vous voyez que tout le poids est retiré dessus centralement, en sorte que si par exemple le bras avance, il faut de nécessité, ou que l’autre bras, ou que la jambe aille en arriere, ou que le Corps soit tant soit peu courbé du costé contraire, pour estre dans son Equilibre & dans une situation hors de contrainte. Il se peut faire, mais rarement, si ce n’est dans les Vieillards, que les deux pieds portent également ; & pour lors il n’y a qu’à distribuer la moitié du poids sur chaque pied. Vous userez de la mesme prudence, si l’un des pieds portoit les trois quarts du fardeau, & que l’autre portast le reste. Voila en general ce que l’on peut dire de la Balance & de la Ponderation du Corps : du reste, il y a quantité de choses tres-belles & tres-remarquables à dire ; & vous pourrez vous en satisfaire dans Leonard de Vincy ; il a fait merveille là-dessus, & l'on peut dire que la Ponderation est la plus belle & la plus saine partie de son Livre sur la Peinture. Elle commence au CLXXXI. Chapitre, & finit au CCLXXIII. Je vous conseille de voir encore Paul Lomasse dans son 6. l. chap. IIII. Del moto del Corpo humano, vous y trouverez des choses tres-utiles. Pour ce qui est du Contraste, je vous diray en general, que rien ne donne davantage la grace & la vie aux Figures.

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221. [Que l’on considere les Lieux où l’on met la Scene du Tableau, &c.] C’est ce que Monsieur de Chambray appelle, Faire les choses selon le Costûme. Voyez ce qu’il en dit dans l’explication de ce mot dans le Livre qu’il a fait de la Perfection de la Peinture. Ce n’est pas assez que dans le Tableau il ne se trouve rien de contraire au Lieu où l’Action que l’on represente s’est passée : il faut encore le faire reconnoistre par quelque industrie, & que l’esprit du Spectateur ne travaille pas à découvrir […]

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256. [La Cromatique.] La troisième & derniere Partie de la Peinture s’appelle Cromatique, ou Coloris. Elle a pour objet la Couleur : c’est pourquoy les Lumieres & les Ombres y sont aussi comprises, qui ne sont autre chose que du Blanc & du Brun, & par consequent qui ont rang parmy les Couleurs. […] Disons donc, Que la Cromatique fait ses observations sur les Masses ou Corps des Couleurs, accompagnées de Lumieres & d’Ombres plus ou moins évidentes par degrez de diminution, selon les accidens, premierement du Corps lumineux, comme du Soleil ou d’un flambeau ; secondement du Corps diaphane, qui est entre nous & l’objet, comme l’Air pur ou épais, ou une vitre rouge, &c. 3. du Corps solide illuminé, comme une Statuë de marbre blanc, un arbre vert, un cheval noir, &c. 4. de la part de celuy qui regarde le Corps illuminé le voyant de loin ou de prés, directement en ange droit, ou de biais en angle obtus, de haut en bas, ou de bas en haut. Cette Partie dans la connoissance qu’elle a de la valeur des Couleurs, de l’amitié qu’elles ont ensemble, & de leur antipathie, comprend la Force, le Relief, la Fierté, & ce Precieux que l’on remarque dans les bons Tableaux. Le maniement des Couleurs & le travail dépendent encore de cette derniere Partie.

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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

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332. [Mais pour le Noir tout pur, il n’y a rien qui s’approche davantage.] […] C'est la couleur la plus pesante, la plus terrestre, la plus sensible […] le Noir fait toûjours bon effet sur le devant, quand il est mis fort à propos & avec prudence. Il faut donc tellement disposer les Corps que l'on veut tenir sur le devant du Tableau, que l'on n'y voye point ces sortes de trous, & que les Noirs y soient par Masses & confondus insensiblement. [...]
Ce qui donne le relief à la boule (me dira quelqu’un) est l’éclat ou le Blanc, qui est ce semble sur la partie la plus proche de nous ; & par consequent le Noir est fuyant.
[…] Le Brun que l’on mesle dans les tournans de la boule, les fait fuïr, en les confondant plûtost (pour ainsi dire) qu’en les noircissant. Et ne voyez-vous pas que les Reflets sont un artifice du Peintre, pour rendre les tournans plus legers, & que par ce moyen le plus grand Noir demeure vers le milieu de la boule, pour soûtenir le Blanc, & faire qu’elle nous trompe plus agreablement.
Ce Precept du Blanc & du Noir est de si grande consequence, qu’à moins d’estre exactement pratiqué, il est impossible qu’un Tableau fasse un grand effet : que les Masses en soient débroüillées, & que les Distances d’enfoncement s’y fassent remarquer du premier coup d’œil & sans peine. […]
L’effet d’un Tableau ne vient donc pas seulement du Clair-Obscur, mais encore de la nature des Couleurs. J’ay crû qu’il n’estoit pas hors de propos de dire icy les qualitez de celles dont on se sert ordinairement, & que l’on appelle Couleurs capitales ; parce qu’elles servent à faire la composition de toutes les autres, dont le nombre est infiny.
L’Occre de Rut est une Couleur des plus pesantes.
L’Occre-jaune ne l’est pas tant, parce qu’il est plus clair.
Et le Massicot est fort leger, parce que c’est un Jaune tres-clair & qui approche fort du Blanc.
L’Outremer, ou l’Azur, est une Couleur fort legere & fort douce.
Le Vermillon est entierement opposé à l’Outremer.
La Laque est un milieu entre l’Outremer & le Vermillon, encore est-elle plus douce que rude.
Le Brun-rouge est des plus terrestres & des plus sensibles.
Le Stil de grain est une Couleur indifferente, & qui par le mélange est fort susceptible des qualitez des autres Couleurs : Si vous y meslez du Brun-rouge, vous ferez une Couleur des plus terrestres ; mais si au contraire, vous le joignez avec le Blanc ou le Bleu, vous en aurez une Couleur des plus fuyantes.
La Terre verte est legere ; elle est un milieu entre l’Occre-jaune & l’Outremer.
La Terre d’ombre est extremement sensible & terrestre ; il n’y a que le noir extréme qui luy puisse disputer.
De tous les Noirs celuy-là est le plus terrestre qui s’éloigne le plus du Bleu.
Selon le Principe que nous avons estably du Blanc & du Noir, vous rendrez chacune de ces Couleurs que je viens de nommer, d’autant plus terrestre & plus pesante, que vous y joindrez du Noir, & d’autant plus legere que vous y meslerez de Blanc. […]

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361. [Que jamais deux extremitez contraires, &c.] Le Sens de la veuë a cela de commun avec tous les autres, qu’il abhorre les extremitez contraires. Et de mesme que les mains qui ont grand froid, souffrent beaucoup lors qu’on les approche tout d’un coup du feu ; ainsi les yeux qui trouvent un extreme Blanc auprés d’un extreme Noir, ou un bel Azur auprés d’un Vermillon ardent, ne sçauroient regarder ces extremitez qu’avec peine, quoy qu’ils y soient toûjours attirez par l’éclat des deux contraires.
Ce Precepte oblige de sçavoir les Couleurs qui ont amitié ensemble, & celles qui sont incompatibles ; ce que l’on pourra aisément découvrir en mélant ensemble les Couleurs dont on veut faire épreuve : & si par ce mélange elles font une Couleur douce & qui ne soit point desagreable aux yeux, c’est une marque qu’il y a de l’union & de la sympathie entr’elles ; si au contraire la Couleur qui sera produite du mélange des deux autres, est rude à la veuë, il faut conclure qu’il y a de la contrarieté & de l’antipathie entre ces deux Couleurs. Le Vert par exemple est une Couleur agreable, qui peut venir du Bleu & du Jaune mélez ensemble, & par consequent le Bleu & le Jaune sont deux Couleurs qui sympathisent. Et tout au contraire le mélange du Bleu & du Vermillon ont une antipathie ensemble ; & ainsi des autres couleurs, dont vous pouvez faire essay, & vous éclaircir une fois pour toutes. […] L’on peut neantmoins passer par dessus ce Precepte, quand on n’a qu’une ou deux Figures à traiter, & que parmy un grand nombre on en veut faire remarquer quelqu’une, qui est des principales du Sujet, & qui autrement ne pourroit se faire remarquer par dessus les autres. Titien dans le Tableau qu’il a fait du Triomphe de Bacchus, ayant placé Ariadne sur l’un des costez du Tableau, & ne pouvant pour cette raison la faire remarquer par les éclats de la lumiere qu’il a voulu conserver dans le milieu, il luy a donné une écharpe de Vermillon sur une Draperie bleuë, tant pour la détacher de son fonds qui est déjà une mer bleuë, qu’à cause que c’est une des principales Figures du Sujet, sur laquelle il veut que l’œil soit attiré. Paul Veronese dans sa Noce de Cana, parce que le Christ, qui est la Principale Figure du Sujet, est un peu enfoncé dans le Tableau, & qu’il n’a pû le faire remarquer par le brillant du Clair-Obscur, il l’a vestu de Bleu & de Vermillon, pour faire que la veuë se portast sur cette Figure.
Les Couleurs ennemies se pourront d’autant plus allier, que vous y meslerez d’autres Couleurs qui auront de la sympathie l’une avec l’autre, & qui s’accorderont avec celles que vous voudrez, pour ainsi dire, reconcilier.

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365. [C’est travailler en vain que de, &c.] Il a dit ailleurs ; Cherchez tout ce qui aide vostre Art & qui luy convient, fuyez tout ce qui luy repugne. C’est le Precepte LIX. Si le Peintre veut arriver à sa fin, qui est de tromper la veüe, il doit faire choix d’une Nature qui s’accorde à la foiblesse de ses Couleurs ; puisque ses Couleurs ne peuvent pas s’accorder à toute sorte de Nature. Ce Precepte doit estre particulierement considerable à ceux qui font des Païsages.

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382. [Que vos Couleurs soient vives, sans pourtant donner, comme on dit, dans la farine.] Donner dans la farine c’est une façon de parler parmy les Peintres, qui exprime parfaitement ce qu’elle veut dire, qui n’est autre chose que de peindre avec Couleurs claires & fades tout ensemble, lesquelles ne donnent non plus de vie aux Figures, que si effectivement elles estoient frottées de farine. Ceux qui font leurs Carnations fort blanches & leurs Ombres grises ou verdastres, tombent dans cette inconvenient. Les Couleurs rousses dans les Ombres des chairs les plus delicates, contribuent merveilleusement à les rendre vives, brillantes & naturelles : mais il en faut user avec la mesme prudence dont le Titien, Paul Ver. Rubens & Vandeik se sont servis.
Pour conserver les Couleurs fraisches, il faut peindre en mettant toûjours des Couleurs, & non pas en frottant apres les avoir couchées sur la toile ; & s’il se pouvoit mesme faire qu’on les mist justement dans leurs places, & que l’on n’y touchast point quand on les y a une fois placées, il seroit encore mieux ; parce que la fraischeur des Couleurs se ternit & se perd à force de les tourmenter en peignant.
Tous ceux qui ont bien colorié, avoient encore une autre Maxime pour maintenir les Couleurs fraisches, vives & fleuries ; c'estoit de se servir de Fonds blancs, sur lesquels ils peignoient, & souvent mesme au premier coup, sans rien retoucher, & sans y employer de nouvelles Couleurs. Rubens s'en servoit toûjours ; & j'ay veu des Tableaux de la main de ce grand Homme faits au premier coup, qui avoient une vivacité merveilleuse. La raison que ces excellens Coloristes avoient de se servir de ces sortes de Fonds, est que le Blanc conserve toûjours un éclat sous le transparant des Couleurs, lesquelles empeschent que l'air n'altere la blancheur du Fonds, de méme que cette blancheur repare le dommage qu'elles reçoivent de l'air ; de maniere que le Fonds & les Couleurs se prestent un mutuel secours, & se conservent l'un l'autre. C'est par cette raison que les Couleurs glacées ont une vivacité qui ne peut jamais estre imitée par les Couleurs les plus vives & les plus brillantes, dont à la maniere ordinaire & commune on couche simplement les differentes teintes, chacune dans leur place les unes apres les autres : tant il est vray que le Blanc avec les autres Couleurs fieres, dont on peint d'abord ce que l'on veut glacer, en sont comme la vie & l'éclat. Les Anciens ont asseurement trouvé que les Fonds blancs estoient beaucoup meilleurs que les autres : puisque nonobstant l'incommodité que leurs yeux recevoient de cette Couleur, ils ne laissoient pas de s'en servir, […] Je ne sçay d'où vient que l'on ne s'en sert pas aujourd'huy, si ce n'est qu'il y a peu de Peintres curieux de bien colorier, ou que l'ébauche commencée sur le Blanc ne se montre pas assez viste, & qu'il faut avoir une patience plus que Françoise, pour attendre qu'elle soit achevée, & que le Fond qui ternit par sa Blancheur l'éclat des autres Couleurs, soit entierement couvert, pour faire paroistre agreablement tout l'Ouvrage.

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332. [Mais pour le Noir tout pur, il n’y a rien qui s’approche davantage.] […] C'est la couleur la plus pesante, la plus terrestre, la plus sensible […] le Noir fait toûjours bon effet sur le devant, quand il est mis fort à propos & avec prudence. Il faut donc tellement disposer les Corps que l'on veut tenir sur le devant du Tableau, que l'on n'y voye point ces sortes de trous, & que les Noirs y soient par Masses & confondus insensiblement. [...]
Ce qui donne le relief à la boule (me dira quelqu’un) est l’éclat ou le Blanc, qui est ce semble sur la partie la plus proche de nous ; & par consequent le Noir est fuyant.
[…] Le Brun que l’on mesle dans les tournans de la boule, les fait fuïr, en les confondant plûtost (pour ainsi dire) qu’en les noircissant. Et ne voyez-vous pas que les Reflets sont un artifice du Peintre, pour rendre les tournans plus legers, & que par ce moyen le plus grand Noir demeure vers le milieu de la boule, pour soûtenir le Blanc, & faire qu’elle nous trompe plus agreablement.
Ce Precept du Blanc & du Noir est de si grande consequence, qu’à moins d’estre exactement pratiqué, il est impossible qu’un Tableau fasse un grand effet : que les Masses en soient débroüillées, & que les Distances d’enfoncement s’y fassent remarquer du premier coup d’œil & sans peine. […]
L’effet d’un Tableau ne vient donc pas seulement du Clair-Obscur, mais encore de la nature des Couleurs. J’ay crû qu’il n’estoit pas hors de propos de dire icy les qualitez de celles dont on se sert ordinairement, & que l’on appelle Couleurs capitales ; parce qu’elles servent à faire la composition de toutes les autres, dont le nombre est infiny.
L’Occre de Rut est une Couleur des plus pesantes.
L’Occre-jaune ne l’est pas tant, parce qu’il est plus clair.
Et le Massicot est fort leger, parce que c’est un Jaune tres-clair & qui approche fort du Blanc.
L’Outremer, ou l’Azur, est une Couleur fort legere & fort douce.
Le Vermillon est entierement opposé à l’Outremer.
La Laque est un milieu entre l’Outremer & le Vermillon, encore est-elle plus douce que rude.
Le Brun-rouge est des plus terrestres & des plus sensibles.
Le Stil de grain est une Couleur indifferente, & qui par le mélange est fort susceptible des qualitez des autres Couleurs : Si vous y meslez du Brun-rouge, vous ferez une Couleur des plus terrestres ; mais si au contraire, vous le joignez avec le Blanc ou le Bleu, vous en aurez une Couleur des plus fuyantes.
La Terre verte est legere ; elle est un milieu entre l’Occre-jaune & l’Outremer.
La Terre d’ombre est extremement sensible & terrestre ; il n’y a que le noir extréme qui luy puisse disputer.
De tous les Noirs celuy-là est le plus terrestre qui s’éloigne le plus du Bleu.
Selon le Principe que nous avons estably du Blanc & du Noir, vous rendrez chacune de ces Couleurs que je viens de nommer, d’autant plus terrestre & plus pesante, que vous y joindrez du Noir, & d’autant plus legere que vous y meslerez de Blanc. […]

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329. [La Grappe de Raisin.] Il est assez évident que le Titien par cette comparaison aussi judicieuse que familiere, a pretendu dire que l’on doit ramasser les Objets & les disposer de telle sorte, qu’ils composent un Tout, dont plusieurs Parties contiguës puissent estre éclairées, plusieurs ombrées, & d’autres de Couleurs rompuës, pour estre dans les Tournans ; de mesme que dans une Grappe de Raisin, plusieurs grains qui en font les parties, se trouvent dans le jour, plusieurs dans l’ombre, & d’autres dans la demie teinte, pour estre dans les Parties fuyantes. Le Tintoret dit un jour à Rubens, qu’il avoit oüi dire au Titien, Que dans tous ses plus grands Ouvrages, la Grappe de Raisin estoit son meilleur guide & sa principale Regle.

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Pour ce qui est des Couleurs rompuës ou composées, on doit juger de leur force par celle des Couleurs qui les composent. Tous ceux qui ont bien entendu l'accord des Couleurs, ne les ont pas employées toutes pures dans leurs Draperies, sinon dans quelque Figure sur la premiere ligne du Tableau : mais ils se sont servis de Couleurs rompuës & composées, dont ils ont fait une pour les yeux, en mélant celles qui ont quelque sympathie les unes avec les autres, pour en faire un Tout qui ayt de l'union avec les Couleurs qui luy sont voisines. […]

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Couleurs rompuës. Les Couleurs sont rompües lorsqu’elles ne sont pas employées toutes simples & pures, mais qu’on en mesle deux ou plusieurs ensemble pour en affoiblir & éteindre une trop vive ; Comme quand pour diminuer de la vivacité de la Laque, on y mesle un peu de terre verte ; ou bien, quand pour oster de l’éclat du Vermillon, on y mesle du brun rouge, soit en détrempant les Couleurs sur la palette, soit après qu’elles sont couchées sur la toile & en travaillant. Quand une draperie que est d’un jaune clair se trouve ombrée d’une laque obscure, on dit d’ordinaire que cette draperie est jaune rompuë de rouge. C’est pourtant mieux dit qu’elle est jaune ombrée de laque, si les deux couleurs sont separées : car le mot rompu ne se prend proprement que lors que la couleur n’est pas pure, mais meslée avec une autre. Enfin une couleur rompuë, parmy les Peintres, est celle que l’on esteint, & dont l’on diminuë la force ; ce qui sert beaucoup pour l’union & l’accord qui doit estre dans toutes celles qui composent un Tableau. Le Titien, Paul Veronese, & les autres Lombards s’en sont heureusement servis, comme l’a fort bien remarqué M. de Pile sur la poëme du sieur du Fresnoy. Les Italiens nomment cela Rottura de colori.

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…] Il y a une chose de tres-grande consequence à observer dans l’Œconomie de tout l'Ouvrage, c'est que d'abord l'on reconnoisse la qualité du Sujet, & que le Tableau du premier coup d'œil en inspire la Passion principale : par exemple, si le Sujet que vous avez entrepris de traitter, est de joye, il faut que tout ce qui entrera dans votre Tableau contribuë à cette Passion, en sorte que ceux qui le verront en soient aussi-tost touchez. Si c’est un Sujet lugubre, tout y ressentira la tristesse, & ainsi des autres Passions & qualitez des Sujets.

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129. [Que la principale Figure du Sujet, &c.] L’un des plus grands vices que puisse avoir un Tableau, c’est de ne pas donner à connoistre de prime-abord le Sujet qu’il represente : & dans la verité rien n’embroüille davantage, que d’en éteindre la Figure principale, par l’opposition de quelques autres, qui se presentent d’abord à la veuë, & qui brillent beaucoup plus. […] Un Peintre est comme un Orateur, il faut qu’il dispose les choses en sorte que tout cede à son principal Sujet : & si les autres Figures qui ne font que l’accompagner & qui n’y sont qu’accessoires, occupent la principale place, & qu’elles se fassent remarquer, ou par la beauté de leurs Couleurs, ou par l’éclat de la Lumière dont elles sont frappées, elles arresteront tout court la veuë, & ne luy permettront pas d’aller plus loin, qu’apres beaucoup de temps, pour chercher enfin ce qu’elle n’a pas trouvé d’abord. La Figure Principale dans un Tableau, est comme un Roy parmy ses Courtisans, que l’on doit reconnoistre au premier coup d’œil, & qui doit ternir l’éclat de tous ceux qui l’accompagnent. Les Peintres qui en usent autrement, qui la mettent dans l’ombre, ou qui l’enfoncent trop avant dans le Tableau, font justement comme ceux qui en racontant une Histoire, s’engagent imprudemment dans une digression si longue, qu’ils sont contraints de finir par là, & de conclure par toute autre chose que par leur Sujet.  

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Ce Precept du Blanc & du Noir est de si grande consequence, qu’à moins d’estre exactement pratiqué, il est impossible qu’un Tableau fasse un grand effet : que les Masses en soient débroüillées, & que les Distances d’enfoncement s’y fassent remarquer du premier coup d’œil & sans peine. […]

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329. [La Grappe de Raisin.] Il est assez évident que le Titien par cette comparaison aussi judicieuse que familiere, a pretendu dire que l’on doit ramasser les Objets & les disposer de telle sorte, qu’ils composent un Tout, dont plusieurs Parties contiguës puissent estre éclairées, plusieurs ombrées, & d’autres de Couleurs rompuës, pour estre dans les Tournans ; de mesme que dans une Grappe de Raisin, plusieurs grains qui en font les parties, se trouvent dans le jour, plusieurs dans l’ombre, & d’autres dans la demie teinte, pour estre dans les Parties fuyantes. Le Tintoret dit un jour à Rubens, qu’il avoit oüi dire au Titien, Que dans tous ses plus grands Ouvrages, la Grappe de Raisin estoit son meilleur guide & sa principale Regle.

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263. [Sa Sœur ] C’est à dire, le Dessein, qui est la seconde Partie de la Peinture, laquelle ne consistant qu’en lignes, a tout-à-fait besoin de la Cromatique pour paroistre ; c’est pourquoy nostre Auteur appelle cette derniere Partie, Lena Sororis, que j’ay traduit en termes plus honnestes de la sorte : On l’accusoit de produire sa Sœur, & de nous engager adroitement à l’aimer.

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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

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509. [Pour bien faire, &c.] Nostre Autheur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] ne parle point icy des premiers commencemens du Dessein, comme du maniement du crayon, du juste rapport que doit avoir la Copie avec son Original, &c. Il suppose, avant que de commencer ses études, que l'on doit avoir une facilité dans la main, pour imiter les beaux Desseins, les beaux Tableaux, & la Ronde bosse ; que l'on doit enfin s'estre fait un Clef du Dessein, pour entrer chez Minerve, où toutes les belles choses se trouvent en abondance, & s'offrent à nous, pour en profiter selon nos soins & nostre Genie.
509.
[Vous commencerez par la Geometrie.] Parce que c’est le fondement de la Perspective, sans laquelle vous ne pouvez rien faire en Peinture. La Geometrie est encore tres-utile pour l’Architecture & pour tout ce qui en dépend. Elle est specialement necessaire aux Sculpteurs.

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112. [Selon la connoissance qu'en donne l’Anatomie.] Cette Partie n'est guere connuë aujourd'huy parmy nos Peintres ; j'en ay fait voir l'utilité & la necessité dans la Preface d'un petit Abregé que j'en ay fait, & que Monsieur Tortebat a mis en lumiere. Je sçay qu'il y en a qui se font un monstre de cette Science, & qui la croyent inutile, ou parce qu'ils ont l'esprit fort petit, ou parce qu'ils n'ont jamais fait de reflexion sur le besoin qu'ils en ont, & sur son importance, se contentant d'une routine à quoy ils sont accoûtumez : mais de quelque maniere que ce soit, il est certain que quiconque est capable d'avoir cette pensée, ne sera jamais capable d'estre un grand Dessinateur.

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435. [Aussi bien que les choses paroissent estre faites avec Facilité.] Cette facilité attire d’autant plus nos yeux & nos esprits, qu’il est à presumer qu’un beau travail qui nous paroist facile, vient d’une main sçavante & consommée. […] Mais il est impossible d’avoir cette Facilité, sans posseder parfaitement toutes les Regles de l’Art, & s’en estre fait un habitude : car la Facilité consiste à ne faire precisément que l’Ouvrage qu’il faut, & à mettre chaque chose dans sa place avec promptitude : ce qui ne se peut sans les Regles, qui sont des moyens assurez pour vous conduire, & pour terminer vos Ouvrages avec plaisir. Il est donc certain, contre l’opinion de plusieurs, que les Regles donnent de la Facilité, de la Tranquillité & de la promptitude dans les esprits les plus tardifs, & que ces mesmes Regles augmentent & dirigent cette Facilité dans ceux qui l’ont déja receuë d’une heureuse naissance.
D’où il s’ensuit que l’on peut considerer la Facilité de deux façons, ou simplement, comme une diligence & une promptitude d’esprit & de main, ou comme une disposition dans l’esprit de lever promptement toutes les difficultez qui se peuvent former dans l’Ouvrage. La premiere vient d’un temperament actif & plein de feu, & l’autre d’une veritable Science & d’une possession des Regles infaillibles ; celle-là est agreable, mais elle n’est pas toûjours sans inquietude, parce qu’elle fait égarer souvent ; & celle-cy au contraire fait agir avec un repos d’esprit & une tranquillité merveilleuse : car elle nous asseure de la bonté de nostre Ouvrage : c’est beaucoup que d’avoir la premiere ; mais c’est le comble de la perfection de les avoir l’une & l’autre, telle que les ont possedées Rubens & Vandeik, excepté la Partie du Dessein, qu’ils ont trop negligée. […]
Remarquez, s’il vous plaît, que la Facilité & la Diligence, dont je viens de parler, ne consistent pas à faire ce qu’on appelle des traits hardis, & à donner des coups de pinceau libres, s’ils ne font un grand effet d’une distance éloignée : Cette sorte de liberté est plûtost d’un Maistre à écrire que d’un Peintre. Je dis bien davantage, il est presque impossible que les choses peintes paroissent vrayes & naturelles, quand on y remarque ces sortes de traits hardis : & tous ceux qui ont le plus approché de la Nature, ne se sont pas servis de cette Manière de peindre. Tous ces cheveux filez & ces coups de pinceau qui forment des hachures, sont à la verité admirables : mais ils ne trompent pas la veuë.

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74. [Où il faut disposer toute la Machine de votre Tableau.] Ce n’est pas sans raison ny par hazard que notre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] se sert du mot de Machine. Une Machine est un juste assemblage de plusieurs pieces pour produire un mesme effet. Et la disposition dans un Tableau n’est autre chose qu’un assemblage de plusieurs Parties, dont on doit prevoir l’accord & la justesse, pour produire un bel effet, comme vous verrez dans le 4. Precepte, qui est de l’Œconomie ; aussi l’appelle-t-on autrement Composition, qui veut dire la distribution & l’agencement des choses en general & en particulier.

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78. [Il est fort à propos en cherchant, &c.] Voicy le plus important Precepte de tous ceux de la Peinture. Il appartient proprement au Peintre seul, & tous les autres sont empruntez, de belles Lettres, de la Medecine, des Mathematiques, ou enfin des autres Arts : car il suffit d’avoir de l’esprit & des Lettres, pour faire une tres belle Invention : Pour dessiner, il faut de l’Anatomie ; un Mathematicien mettra fort bien les bastimens & autres choses en Perspective, & les autres Arts apporteront de leur costé ce qui est necessaire pour la matiere d’un beau Tableau : Mais pour l’œconomie du Tout-ensemble, il n’y a que le Peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du Peintre est de tromper agreablement les yeux : ce qu’il ne fera jamais, si cette Partie lui manque. Un Tableau peut faire un mauvais effet, lequel sera d’une sçavante Invention, d’un Dessein correct, & qui aura les Couleurs les plus belles & les plus fines : Et au contraire, on peut en voir d’autres mal Inventez, mal Dessinez, & peints de Couleurs les plus communes, qui feront un tres-bon effet, & qui tromperont beaucoup davantage. […] 
Ce Precepte est proprement l’usage & l’application de tous les autres : c’est pourquoy il demande beaucoup de Jugement. Il faut donc tellement prevoir les choses, que vostre Tableau soit peint dans vostre teste devant que de l’estre sur la toile. […] Il est certain que ceux qui ont cette prevoyance, travaillent avec un plaisir & une facilité incroyable ; & que les autres au contraire, ne font que changer et rechanger leur Ouvrage, qui ne leur laisse au bout du conte que du chagrin. 
On peut inferer de ce que je viens de dire, que l'Invention & la Disposition sont deux Parties differentes. En effet, quoy que la derniere dépende de l'autre, & qu'elle y soit communement comprise, il faut cependant bien se garder de les confondre : L'Invention trouve simplement les choses, & en fait un choix convenable à l'Histoire que l'on traite ; & la Disposition les distribuë chacune à sa place quand elles sont inventées, & accommode les Figures & les Grouppes en particulier, & le Tout-ensemble du Tableau en general ; en sorte que cette Œconomie produit le mesme effet pour les yeux, qu'un Concert de Musique pour les oreilles.

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74. [Où il faut disposer toute la Machine de votre Tableau.] Ce n’est pas sans raison ny par hazard que notre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] se sert du mot de Machine. Une Machine est un juste assemblage de plusieurs pieces pour produire un mesme effet. Et la disposition dans un Tableau n’est autre chose qu’un assemblage de plusieurs Parties, dont on doit prevoir l’accord & la justesse, pour produire un bel effet, comme vous verrez dans le 4. Precepte, qui est de l’Œconomie ; aussi l’appelle-t-on autrement Composition, qui veut dire la distribution & l’agencement des choses en general & en particulier.

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200. [Sans y estre trop adherans & collez.] […] En Peinture les Draperies, de quelque nature qu’elles soient, sont d’une utilité merveilleuse, ou pour lier les Couleurs & les Grouppes, ou pour se donner un Fond tel qu’on le souhaite pour unir ou pour détacher, soit encore pour faire naistre des Reflets avantageux, ou pour remplir les Vuides ; soit enfin pour mille autres utilitez, qui aydent à tromper la veuë, & qui ne sont aucunement necessaires aux Sculpteurs, puisque leur Ouvrage est toûjours de relief.

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361. [Que jamais deux extremitez contraires, &c.] Le Sens de la veuë a cela de commun avec tous les autres, qu’il abhorre les extremitez contraires. Et de mesme que les mains qui ont grand froid, souffrent beaucoup lors qu’on les approche tout d’un coup du feu ; ainsi les yeux qui trouvent un extreme Blanc auprés d’un extreme Noir, ou un bel Azur auprés d’un Vermillon ardent, ne sçauroient regarder ces extremitez qu’avec peine, quoy qu’ils y soient toûjours attirez par l’éclat des deux contraires.

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74. [Où il faut disposer toute la Machine de votre Tableau.] Ce n’est pas sans raison ny par hazard que notre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] se sert du mot de Machine. Une Machine est un juste assemblage de plusieurs pieces pour produire un mesme effet. Et la disposition dans un Tableau n’est autre chose qu’un assemblage de plusieurs Parties, dont on doit prevoir l’accord & la justesse, pour produire un bel effet, comme vous verrez dans le 4. Precepte, qui est de l’Œconomie ; aussi l’appelle-t-on autrement Composition, qui veut dire la distribution & l’agencement des choses en general & en particulier.

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78. [Il est fort à propos en cherchant, &c.] Voicy le plus important Precepte de tous ceux de la Peinture. Il appartient proprement au Peintre seul, & tous les autres sont empruntez, de belles Lettres, de la Medecine, des Mathematiques, ou enfin des autres Arts : car il suffit d’avoir de l’esprit & des Lettres, pour faire une tres belle Invention : Pour dessiner, il faut de l’Anatomie ; un Mathematicien mettra fort bien les bastimens & autres choses en Perspective, & les autres Arts apporteront de leur costé ce qui est necessaire pour la matiere d’un beau Tableau : Mais pour l’œconomie du Tout-ensemble, il n’y a que le Peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du Peintre est de tromper agreablement les yeux : ce qu’il ne fera jamais, si cette Partie lui manque. Un Tableau peut faire un mauvais effet, lequel sera d’une sçavante Invention, d’un Dessein correct, & qui aura les Couleurs les plus belles & les plus fines : Et au contraire, on peut en voir d’autres mal Inventez, mal Dessinez, & peints de Couleurs les plus communes, qui feront un tres-bon effet, & qui tromperont beaucoup davantage. […] 
Ce Precepte est proprement l’usage & l’application de tous les autres : c’est pourquoy il demande beaucoup de Jugement. Il faut donc tellement prevoir les choses, que vostre Tableau soit peint dans vostre teste devant que de l’estre sur la toile. […] Il est certain que ceux qui ont cette prevoyance, travaillent avec un plaisir & une facilité incroyable ; & que les autres au contraire, ne font que changer et rechanger leur Ouvrage, qui ne leur laisse au bout du conte que du chagrin. 
On peut inferer de ce que je viens de dire, que l'Invention & la Disposition sont deux Parties differentes. En effet, quoy que la derniere dépende de l'autre, & qu'elle y soit communement comprise, il faut cependant bien se garder de les confondre : L'Invention trouve simplement les choses, & en fait un choix convenable à l'Histoire que l'on traite ; & la Disposition les distribuë chacune à sa place quand elles sont inventées, & accommode les Figures & les Grouppes en particulier, & le Tout-ensemble du Tableau en general ; en sorte que cette Œconomie produit le mesme effet pour les yeux, qu'un Concert de Musique pour les oreilles.

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…] Il y a une chose de tres-grande consequence à observer dans l’Œconomie de tout l'Ouvrage, c'est que d'abord l'on reconnoisse la qualité du Sujet, & que le Tableau du premier coup d'œil en inspire la Passion principale : par exemple, si le Sujet que vous avez entrepris de traitter, est de joye, il faut que tout ce qui entrera dans votre Tableau contribuë à cette Passion, en sorte que ceux qui le verront en soient aussi-tost touchez. Si c’est un Sujet lugubre, tout y ressentira la tristesse, & ainsi des autres Passions & qualitez des Sujets.

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330. [Le Blanc tout pur avance ou recule indifferement, il s’approche avec du Noir, & s’éloigne sans luy.] Tout le monde convient, que le Blanc peut subsister sur le devant du Tableau, & y estre employé tout pur ; la question est donc de sçavoir s’il peut également subsister & estre placé de la mesme sorte sur le derriere, la Lumiere estant universelle, & les Figures supposées dans une campagne. Nostre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] conclud affirmativement ; & la raison qui appuye ce Precepte est, Que n’y ayant rien qui participe davantage de la Lumiere que le Blanc, & la Lumiere pouvant fort bien subsister dans le lointin (comme nous le voyons tous les jours au lever & au coucher du Soleil,) il s’ensuit que le Blanc y peut subsister aussi : En Peinture la Lumiere & le Blanc ne sont quasi que la mesme chose. Ajoûtez à cela que nous n’avons point de Couleur plus approchante de l’Air que le Blanc, & par consequent point de Couleur plus legere […]. Le Titien, Tintoret, Paul Veronese, & tous ceux qui ont le mieux entendu les Lumieres, l’ont observé de la sorte, & personne ne peut aller à l’encontre de ce Precepte, à moins que de renoncer au païsage, qui nous confirme parfaitement cette verité ; & nous voyons que tous les Grands Païsagistes ont suivy en cela le Titien, qui s’est toûjours servy de Couleurs brunes & terrestres sur le devant, & qui a reservé ses plus grands Clairs pour les lointins & les derrieres de ses Païsages. […] 
On peut objecter à cette opinion, Que le Blanc ne peut se tenir dans le lointin ; puisque l’on s’en sert ordinairement pour faire approcher les Objets sur le devant. Il est vray que l’on s’en sert, & mesme fort à propos, pour rendre les Objets plus sensibles par l’opposition du Brun qui le doit accompagner, & qui le retient comme malgré luy ; soit que ce Brun luy serve de fond, ou qu’il luy soit attaché. […]
Mais, il semble (direz-vous) que le Bleu est la Couleur la plus fuyante ; puisque le Ciel & les Montagnes les plus éloignées sont de cette Couleur. Il est bien vray que le Bleu est une Couleur des plus legeres & des plus douces : mais il est vray aussi qu'elle a d'autant plus toutes ces qualitez, qu’il y a de Blanc meslé dedans, comme l'exemple des lointins nous le fait connoistre. […]
Que si la Lumiere de vostre Tableau n’est point universelle, & que vous supposiez vos Figures dans une Chambre, pour lors souvenez-vous du Theorème, qui dit, que
Plus un Corps est proche de la Lumière, & nous est directement opposé, plus il est éclairé ; parce que la Lumiere s’affoiblit en s’éloignant de sa source. Vous pourrez encore éteindre vostre Blanc, si vous supposez l'Air estre un peu plus épais, & si vous prevoyez que cette supposition fera un bon effet dans l’œconomie de tout l’Ouvrage : mais que cela n'aille pas jusqu'à faire vos Figures d'une demie teinte si brune, qu'il semble qu'elles soient dans un vilain brouillard, ou qu'elles paroissent attachées à leur fonds. […]

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442. [Et que vous n’ayez present dans l’esprit l'effet de vostre Ouvrage.] Si vous voulez avoir du plaisir en peignant, il faut avoir tellement pensé à l'œconomie de vostre Ouvrage, qu'il soit entierement fait & disposé dans vostre teste, avant qu'il soit commencé sur la toile : il faut, dis-je, prévoir l'effet des Grouppes, le Fond, & le Clair-Obscur de chaque chose, l'Harmonie des Couleurs, & l'intelligence de tout le Sujet, de sorte que ce que vous mettrez sur la toile ne soit qu’une Copie de ce que vous avez dans l'esprit. Si vous vous servez de cette conduite, vous n'aurez pas la peine de changer & rechanger tant de fois.

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74. [Où il faut disposer toute la Machine de votre Tableau.] Ce n’est pas sans raison ny par hazard que notre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] se sert du mot de Machine. Une Machine est un juste assemblage de plusieurs pieces pour produire un mesme effet. Et la disposition dans un Tableau n’est autre chose qu’un assemblage de plusieurs Parties, dont on doit prevoir l’accord & la justesse, pour produire un bel effet, comme vous verrez dans le 4. Precepte, qui est de l’Œconomie ; aussi l’appelle-t-on autrement Composition, qui veut dire la distribution & l’agencement des choses en general & en particulier.

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78. [Il est fort à propos en cherchant, &c.] Voicy le plus important Precepte de tous ceux de la Peinture. Il appartient proprement au Peintre seul, & tous les autres sont empruntez, de belles Lettres, de la Medecine, des Mathematiques, ou enfin des autres Arts : car il suffit d’avoir de l’esprit & des Lettres, pour faire une tres belle Invention : Pour dessiner, il faut de l’Anatomie ; un Mathematicien mettra fort bien les bastimens & autres choses en Perspective, & les autres Arts apporteront de leur costé ce qui est necessaire pour la matiere d’un beau Tableau : Mais pour l’œconomie du Tout-ensemble, il n’y a que le Peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du Peintre est de tromper agreablement les yeux : ce qu’il ne fera jamais, si cette Partie lui manque. Un Tableau peut faire un mauvais effet, lequel sera d’une sçavante Invention, d’un Dessein correct, & qui aura les Couleurs les plus belles & les plus fines : Et au contraire, on peut en voir d’autres mal Inventez, mal Dessinez, & peints de Couleurs les plus communes, qui feront un tres-bon effet, & qui tromperont beaucoup davantage. […] 
Ce Precepte est proprement l’usage & l’application de tous les autres : c’est pourquoy il demande beaucoup de Jugement. Il faut donc tellement prevoir les choses, que vostre Tableau soit peint dans vostre teste devant que de l’estre sur la toile. […] Il est certain que ceux qui ont cette prevoyance, travaillent avec un plaisir & une facilité incroyable ; & que les autres au contraire, ne font que changer et rechanger leur Ouvrage, qui ne leur laisse au bout du conte que du chagrin. 
On peut inferer de ce que je viens de dire, que l'Invention & la Disposition sont deux Parties differentes. En effet, quoy que la derniere dépende de l'autre, & qu'elle y soit communement comprise, il faut cependant bien se garder de les confondre : L'Invention trouve simplement les choses, & en fait un choix convenable à l'Histoire que l'on traite ; & la Disposition les distribuë chacune à sa place quand elles sont inventées, & accommode les Figures & les Grouppes en particulier, & le Tout-ensemble du Tableau en general ; en sorte que cette Œconomie produit le mesme effet pour les yeux, qu'un Concert de Musique pour les oreilles.

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219. [Il sera tres-expedient de faire un Modele des choses, dont le Naturel est difficile à tenir, & dont nous ne pouvons pas disposer comme il nous plaist ] Comme des Grouppes de plusieurs Figures, des Attitudes difficiles à tenir long-temps, des Figures en l'air, en Plat-fond, ou élevées beaucoup au dessus de la veuë, & des Animaux mesmes dont on ne dispose pas aisément. Par ce Precepte l'on voit assez la necessité qu'a un Peintre de sçavoir Modeler, & d'avoir plusieurs Modeles de cire maniables. Paul Veronese en avoit un si bon nombre, avec une si grande quantité d'Etoffes différentes, qu'il en mettoit toute une Histoire ensemble sur un Plan dégradé pour grande & pour diversifiée qu'elle fust. Tintoret en usoit ainsi, & Michelange, au rapport de Jean Baptiste Armenini, s'en est servy pour toutes les Figures de son Jugement. Ce n'est pas que je conseille à personne, quand on voudra faire quelque chose de bien considerable, de finir d'apres ces sortes de Modeles : mais ils serviront beaucoup, & seront d'un grand avantage pour voir les Masses des grandes Lumières & des grandes Ombres, & l'effet du Tout-ensemble. Du reste vous devez avoir un Manequin à peu prés grand comme Nature pour chaque Figure en particulier, sans manquer pour cela de voir le Naturel, & de l'appeller comme un témoin qui doit confirmer la chose à vous premièrement, puis aux Spectateurs, comme elle est dans la vérité. Vous pourrez vous servir de ces Modeles avec plaisir, si vous les mettez sur un Plan degradé à proportion des Figures, qui sera comme une table faite exprés, que vous pourrez hausser & rabaisser selon vostre commodité, & si vous regardez vos Figures par un trou ambulatoire, qui servira de Point de veuë & de Point de distance, quand vous l'aurez une fois arresté. Ce mesme trou vous servira encore pour voir vos Figures en Plat-fond, & disposées sur une grille de fil de fer, ou soûtenües en l'air par des petits filets élevez à discretion, ou de l'une & l'autre maniere tout ensemble. Vous joindrez à vos Figures tout ce qu'il vous plaira, pourveu que le tout leur soit proportionné, & qu'enfin vous vous imaginiez vous-mesme n'estre que de leur grandeur : Ainsi l'on verra dans tout ce que vous ferez plus de vérité, vostre Ouvrage vous donnera un plaisir incroyable, & vous éviterez quantité de doutes & de difficultez qui arrestent bien souvent, & principalement pour ce qui est de la Perspective lineale que vous y trouverez indubitablement : pourveu que vous vous souveniez de tout proportionner à la grandeur de vos Figures, & specialement les Points de veuë & de distance : mais pour ce qui est de la Perspective aërée, ne s'y trouvant pas, le Jugement y doit suppléer. {*Ridolfi dans sa Vie.} *Le Tintoret avoit fait des Chambres d'ais & de cartons proportionnées à ses Modeles, avec des portes & des fenestres, par où il distribuoit sur ses Figures des Lumieres artificielles autant qu'il jugeoit à propos ; & il passoit assez souvent une partie de la nuit à considerer & à remarquer l'effet de ses Compositions : Ses Modeles estoient de deux pieds de haut.

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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

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332. [Mais pour le Noir tout pur, il n’y a rien qui s’approche davantage.] […] C'est la couleur la plus pesante, la plus terrestre, la plus sensible […] le Noir fait toûjours bon effet sur le devant, quand il est mis fort à propos & avec prudence. Il faut donc tellement disposer les Corps que l'on veut tenir sur le devant du Tableau, que l'on n'y voye point ces sortes de trous, & que les Noirs y soient par Masses & confondus insensiblement. [...]
Ce qui donne le relief à la boule (me dira quelqu’un) est l’éclat ou le Blanc, qui est ce semble sur la partie la plus proche de nous ; & par consequent le Noir est fuyant.
[…] Le Brun que l’on mesle dans les tournans de la boule, les fait fuïr, en les confondant plûtost (pour ainsi dire) qu’en les noircissant. Et ne voyez-vous pas que les Reflets sont un artifice du Peintre, pour rendre les tournans plus legers, & que par ce moyen le plus grand Noir demeure vers le milieu de la boule, pour soûtenir le Blanc, & faire qu’elle nous trompe plus agreablement.
Ce Precept du Blanc & du Noir est de si grande consequence, qu’à moins d’estre exactement pratiqué, il est impossible qu’un Tableau fasse un grand effet : que les Masses en soient débroüillées, & que les Distances d’enfoncement s’y fassent remarquer du premier coup d’œil & sans peine. […]
L’effet d’un Tableau ne vient donc pas seulement du Clair-Obscur, mais encore de la nature des Couleurs. J’ay crû qu’il n’estoit pas hors de propos de dire icy les qualitez de celles dont on se sert ordinairement, & que l’on appelle Couleurs capitales ; parce qu’elles servent à faire la composition de toutes les autres, dont le nombre est infiny.
L’Occre de Rut est une Couleur des plus pesantes.
L’Occre-jaune ne l’est pas tant, parce qu’il est plus clair.
Et le Massicot est fort leger, parce que c’est un Jaune tres-clair & qui approche fort du Blanc.
L’Outremer, ou l’Azur, est une Couleur fort legere & fort douce.
Le Vermillon est entierement opposé à l’Outremer.
La Laque est un milieu entre l’Outremer & le Vermillon, encore est-elle plus douce que rude.
Le Brun-rouge est des plus terrestres & des plus sensibles.
Le Stil de grain est une Couleur indifferente, & qui par le mélange est fort susceptible des qualitez des autres Couleurs : Si vous y meslez du Brun-rouge, vous ferez une Couleur des plus terrestres ; mais si au contraire, vous le joignez avec le Blanc ou le Bleu, vous en aurez une Couleur des plus fuyantes.
La Terre verte est legere ; elle est un milieu entre l’Occre-jaune & l’Outremer.
La Terre d’ombre est extremement sensible & terrestre ; il n’y a que le noir extréme qui luy puisse disputer.
De tous les Noirs celuy-là est le plus terrestre qui s’éloigne le plus du Bleu.
Selon le Principe que nous avons estably du Blanc & du Noir, vous rendrez chacune de ces Couleurs que je viens de nommer, d’autant plus terrestre & plus pesante, que vous y joindrez du Noir, & d’autant plus legere que vous y meslerez de Blanc. […]

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442. [Et que vous n’ayez present dans l’esprit l'effet de vostre Ouvrage.] Si vous voulez avoir du plaisir en peignant, il faut avoir tellement pensé à l'œconomie de vostre Ouvrage, qu'il soit entierement fait & disposé dans vostre teste, avant qu'il soit commencé sur la toile : il faut, dis-je, prévoir l'effet des Grouppes, le Fond, & le Clair-Obscur de chaque chose, l'Harmonie des Couleurs, & l'intelligence de tout le Sujet, de sorte que ce que vous mettrez sur la toile ne soit qu’une Copie de ce que vous avez dans l'esprit. Si vous vous servez de cette conduite, vous n'aurez pas la peine de changer & rechanger tant de fois.

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Le peintre en effet est l’homme de tous les talens, c’est un poëte, un historien, un fidèle imitateur, ou plutôt un rival de la nature ; ne sçait-on pas que c’est elle seule qui forme les peintres ainsi que les poëtes ? Ils montent, si l’on en croit un (a) moderne, également sur le Parnasse ; leurs arts dépendent du génie, ils ont pour objet commun d’émouvoir les passions & de plaire. Tous deux sont dans l’obligation de représenter des images plus riches, plus riantes, plus belles que celles que l’on voit ordinairement, c’est par ce moyen que l’on irrite plus vivement les passions, & que par le plaisir qu’elles procurent, le spectateur participe de l’enthousiasme qui les a fait naître. Son art est une (b) poësie, une expression (c) muette, qui secondée des couleurs, parle aux yeux, à l’esprit & au cœur. Qui peut douter qu’un tableau ne soit un vrai poëme ?
(a) Reflexions critiques sur la poesie & sur la peinture, par l’Abbé du Bos. Tom. 2 p. 27.
(b) Ut pictura poësis erit. Hor. de arte poet.
(c) Muta poësis. D. Fresnoy. De arte graphica.

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145. [Que l’un des costez du Tableau, &c.] Cette espece de Symetrie, quand elle ne paroist point affectée, remplit agreablement le Tableau, le tient comme dans l’équilibre, & plaist infiniment aux yeux, qui en embrassent l’ouvrage avec plus de repos.

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73. [Qui soit plein de sel.] Aliquid salis, Quelque chose d’ingenieux, de fin, de piquant, d’extraordinaire, d’un goust relevé & qui soit propre à instruire & à éclaircir les esprits. Il faut que les Peintres fassent comme les Orateurs (dit Ciceron) qu’ils instruisent, qu’ils divertissent, & qu’ils touchent : & c’est proprement ce que veut dire ce mot de Sel.

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442. [Et que vous n’ayez present dans l’esprit l'effet de vostre Ouvrage.] Si vous voulez avoir du plaisir en peignant, il faut avoir tellement pensé à l'œconomie de vostre Ouvrage, qu'il soit entierement fait & disposé dans vostre teste, avant qu'il soit commencé sur la toile : il faut, dis-je, prévoir l'effet des Grouppes, le Fond, & le Clair-Obscur de chaque chose, l'Harmonie des Couleurs, & l'intelligence de tout le Sujet, de sorte que ce que vous mettrez sur la toile ne soit qu’une Copie de ce que vous avez dans l'esprit. Si vous vous servez de cette conduite, vous n'aurez pas la peine de changer & rechanger tant de fois.

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188. [Et tout ce qui fait connoistre les Pensées & les Inventions des Grecs ] comme les bons Livres, tels que sont Homere & Pausanias. Les Estampes que nous voyons des choses Antiques peuvent contribuer infiniment à nous former le Genie & à nous donner de belles Idées, de mesme que les Ecrits des bons Autheurs, sont capables de former un bon Style à ceux qui veulent bien écrire.

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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

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61. [Veu que les plus belles choses ne se peuvent souvent exprimer faute de termes.] J’ay [ndr : Roger de Piles] appris de la bouche de Monsieur du Fresnoy, qu’il avoit plusieurs fois oüi dire au Guide, Qu’on ne pouvoit donner de Preceptes des plus belles choses, & que les connoissances en estoient si cachées, qu’il n’y avoit point de maniere de parler qui les pût découvrir. Cela revient assez à ce que dit Quint. {Declam. 19.} Les choses incroyables n'ont point de paroles pour estre exprimées, il y en a quelques-unes qui sont trop grandes & trop relevées, pour pouvoir estre comprises dans les discours des hommes. D'où vient que les Connoisseurs, quand ils admirent un beau Tableau, semblent y estre collez ; & quand ils en reviennent, vous diriez qu'ils auroient perdu l'usage de la parole. {Liv. 2. Sat. 7.} Pausiaca torpes insane Tabella. Dit Horace. {L. 10. Ep. 22} Et Symmachus dit, Que la grandeur de l'étonnement ne permet pas que l'on donne des loüanges & des applaudissemens. Les Italiens disent Opera da stupire, pour dire qu'une chose est fort belle. 

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EXTREMITÉS. Les extrêmités d’un tableau, sont les parties qui le terminent.
Ces
extrêmités doivent être remarquables.
Sint tabulae fines ac certo limite totum
Includatur opus, visis nec plura figuris 
Luminibus mendax simulet promittere tela.
Les
extrêmités des figures sont la tête, les pieds, les mains, les épaules, les coudes, les genoux, & les autres emmanchemens des membres. 
Ces
extrêmités doivent être plus travaillées & plus recherchées que tout le reste.
Les
extrêmités des jointures doivent être rarement cachées ; si elles étoient couvertes d’une draperie, il est de la science de les marquer par des plis : les pieds doivent toujours être vûs. 
Prœcipua extrêmis raro internodia membris
Abdita sint : sed summa pedum vestigianumquam. 
Du Fresnoy.

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78. [Il est fort à propos en cherchant, &c.] Voicy le plus important Precepte de tous ceux de la Peinture. Il appartient proprement au Peintre seul, & tous les autres sont empruntez, de belles Lettres, de la Medecine, des Mathematiques, ou enfin des autres Arts : car il suffit d’avoir de l’esprit & des Lettres, pour faire une tres belle Invention : Pour dessiner, il faut de l’Anatomie ; un Mathematicien mettra fort bien les bastimens & autres choses en Perspective, & les autres Arts apporteront de leur costé ce qui est necessaire pour la matiere d’un beau Tableau : Mais pour l’œconomie du Tout-ensemble, il n’y a que le Peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du Peintre est de tromper agreablement les yeux : ce qu’il ne fera jamais, si cette Partie lui manque. Un Tableau peut faire un mauvais effet, lequel sera d’une sçavante Invention, d’un Dessein correct, & qui aura les Couleurs les plus belles & les plus fines : Et au contraire, on peut en voir d’autres mal Inventez, mal Dessinez, & peints de Couleurs les plus communes, qui feront un tres-bon effet, & qui tromperont beaucoup davantage. […] 
Ce Precepte est proprement l’usage & l’application de tous les autres : c’est pourquoy il demande beaucoup de Jugement. Il faut donc tellement prevoir les choses, que vostre Tableau soit peint dans vostre teste devant que de l’estre sur la toile. […] Il est certain que ceux qui ont cette prevoyance, travaillent avec un plaisir & une facilité incroyable ; & que les autres au contraire, ne font que changer et rechanger leur Ouvrage, qui ne leur laisse au bout du conte que du chagrin. 
On peut inferer de ce que je viens de dire, que l'Invention & la Disposition sont deux Parties differentes. En effet, quoy que la derniere dépende de l'autre, & qu'elle y soit communement comprise, il faut cependant bien se garder de les confondre : L'Invention trouve simplement les choses, & en fait un choix convenable à l'Histoire que l'on traite ; & la Disposition les distribuë chacune à sa place quand elles sont inventées, & accommode les Figures & les Grouppes en particulier, & le Tout-ensemble du Tableau en general ; en sorte que cette Œconomie produit le mesme effet pour les yeux, qu'un Concert de Musique pour les oreilles.

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435. [Aussi bien que les choses paroissent estre faites avec Facilité.] Cette facilité attire d’autant plus nos yeux & nos esprits, qu’il est à presumer qu’un beau travail qui nous paroist facile, vient d’une main sçavante & consommée. […] Mais il est impossible d’avoir cette Facilité, sans posseder parfaitement toutes les Regles de l’Art, & s’en estre fait un habitude : car la Facilité consiste à ne faire precisément que l’Ouvrage qu’il faut, & à mettre chaque chose dans sa place avec promptitude : ce qui ne se peut sans les Regles, qui sont des moyens assurez pour vous conduire, & pour terminer vos Ouvrages avec plaisir. Il est donc certain, contre l’opinion de plusieurs, que les Regles donnent de la Facilité, de la Tranquillité & de la promptitude dans les esprits les plus tardifs, & que ces mesmes Regles augmentent & dirigent cette Facilité dans ceux qui l’ont déja receuë d’une heureuse naissance.
D’où il s’ensuit que l’on peut considerer la Facilité de deux façons, ou simplement, comme une diligence & une promptitude d’esprit & de main, ou comme une disposition dans l’esprit de lever promptement toutes les difficultez qui se peuvent former dans l’Ouvrage. La premiere vient d’un temperament actif & plein de feu, & l’autre d’une veritable Science & d’une possession des Regles infaillibles ; celle-là est agreable, mais elle n’est pas toûjours sans inquietude, parce qu’elle fait égarer souvent ; & celle-cy au contraire fait agir avec un repos d’esprit & une tranquillité merveilleuse : car elle nous asseure de la bonté de nostre Ouvrage : c’est beaucoup que d’avoir la premiere ; mais c’est le comble de la perfection de les avoir l’une & l’autre, telle que les ont possedées Rubens & Vandeik, excepté la Partie du Dessein, qu’ils ont trop negligée. […]
Remarquez, s’il vous plaît, que la Facilité & la Diligence, dont je viens de parler, ne consistent pas à faire ce qu’on appelle des traits hardis, & à donner des coups de pinceau libres, s’ils ne font un grand effet d’une distance éloignée : Cette sorte de liberté est plûtost d’un Maistre à écrire que d’un Peintre. Je dis bien davantage, il est presque impossible que les choses peintes paroissent vrayes & naturelles, quand on y remarque ces sortes de traits hardis : & tous ceux qui ont le plus approché de la Nature, ne se sont pas servis de cette Manière de peindre. Tous ces cheveux filez & ces coups de pinceau qui forment des hachures, sont à la verité admirables : mais ils ne trompent pas la veuë.

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256. [La Cromatique.] La troisième & derniere Partie de la Peinture s’appelle Cromatique, ou Coloris. Elle a pour objet la Couleur : c’est pourquoy les Lumieres & les Ombres y sont aussi comprises, qui ne sont autre chose que du Blanc & du Brun, & par consequent qui ont rang parmy les Couleurs. […] Disons donc, Que la Cromatique fait ses observations sur les Masses ou Corps des Couleurs, accompagnées de Lumieres & d’Ombres plus ou moins évidentes par degrez de diminution, selon les accidens, premierement du Corps lumineux, comme du Soleil ou d’un flambeau ; secondement du Corps diaphane, qui est entre nous & l’objet, comme l’Air pur ou épais, ou une vitre rouge, &c. 3. du Corps solide illuminé, comme une Statuë de marbre blanc, un arbre vert, un cheval noir, &c. 4. de la part de celuy qui regarde le Corps illuminé le voyant de loin ou de prés, directement en ange droit, ou de biais en angle obtus, de haut en bas, ou de bas en haut. Cette Partie dans la connoissance qu’elle a de la valeur des Couleurs, de l’amitié qu’elles ont ensemble, & de leur antipathie, comprend la Force, le Relief, la Fierté, & ce Precieux que l’on remarque dans les bons Tableaux. Le maniement des Couleurs & le travail dépendent encore de cette derniere Partie.

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83. [Donnez vous de garde que ce qui ne fait rien au Sujet, &c.] Rien n’affadit tant la composition d’un Tableau que les Figures qui ne font rien au Sujet : on les peut appeler fort plaisamment les Figures à loüer.  

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[...]
PRINCIPALE [figure] On appelle figure
principale celle qui est le sujet d’un tableau. Cette figure doit tenir la premiere place dans une composition, & ne doit être éteinte, ni même obscurcie par aucune autre figure. Elle doit être plus touchée, plus terminée que toutes les autres. Elle doit se faire remarquer, dit M. de Piles, comme un Roi au milieu de la Cour. 

Prima figurarum, seu Princeps dramatis, ultrò
Prosiliat mediâ in tabulâ, sub lumine primo,
Pulchrior ante alias, reliquis nec operta figuris. Du Fresnoy

In medio, reliquas inter Spectanda figuras, Contemplantum oculos Princeps persona moretur. 
finibus extremis, longinquâ in parte tabellæ
Abjice vulgares, ingloria corpora, formas. 
Marsy.

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129. [Que la principale Figure du Sujet, &c.] L’un des plus grands vices que puisse avoir un Tableau, c’est de ne pas donner à connoistre de prime-abord le Sujet qu’il represente : & dans la verité rien n’embroüille davantage, que d’en éteindre la Figure principale, par l’opposition de quelques autres, qui se presentent d’abord à la veuë, & qui brillent beaucoup plus. […] Un Peintre est comme un Orateur, il faut qu’il dispose les choses en sorte que tout cede à son principal Sujet : & si les autres Figures qui ne font que l’accompagner & qui n’y sont qu’accessoires, occupent la principale place, & qu’elles se fassent remarquer, ou par la beauté de leurs Couleurs, ou par l’éclat de la Lumière dont elles sont frappées, elles arresteront tout court la veuë, & ne luy permettront pas d’aller plus loin, qu’apres beaucoup de temps, pour chercher enfin ce qu’elle n’a pas trouvé d’abord. La Figure Principale dans un Tableau, est comme un Roy parmy ses Courtisans, que l’on doit reconnoistre au premier coup d’œil, & qui doit ternir l’éclat de tous ceux qui l’accompagnent. Les Peintres qui en usent autrement, qui la mettent dans l’ombre, ou qui l’enfoncent trop avant dans le Tableau, font justement comme ceux qui en racontant une Histoire, s’engagent imprudemment dans une digression si longue, qu’ils sont contraints de finir par là, & de conclure par toute autre chose que par leur Sujet.  

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382. [Que vos Couleurs soient vives, sans pourtant donner, comme on dit, dans la farine.] Donner dans la farine c’est une façon de parler parmy les Peintres, qui exprime parfaitement ce qu’elle veut dire, qui n’est autre chose que de peindre avec Couleurs claires & fades tout ensemble, lesquelles ne donnent non plus de vie aux Figures, que si effectivement elles estoient frottées de farine. Ceux qui font leurs Carnations fort blanches & leurs Ombres grises ou verdastres, tombent dans cette inconvenient. Les Couleurs rousses dans les Ombres des chairs les plus delicates, contribuent merveilleusement à les rendre vives, brillantes & naturelles : mais il en faut user avec la mesme prudence dont le Titien, Paul Ver. Rubens & Vandeik se sont servis.
Pour conserver les Couleurs fraisches, il faut peindre en mettant toûjours des Couleurs, & non pas en frottant apres les avoir couchées sur la toile ; & s’il se pouvoit mesme faire qu’on les mist justement dans leurs places, & que l’on n’y touchast point quand on les y a une fois placées, il seroit encore mieux ; parce que la fraischeur des Couleurs se ternit & se perd à force de les tourmenter en peignant.
Tous ceux qui ont bien colorié, avoient encore une autre Maxime pour maintenir les Couleurs fraisches, vives & fleuries ; c'estoit de se servir de Fonds blancs, sur lesquels ils peignoient, & souvent mesme au premier coup, sans rien retoucher, & sans y employer de nouvelles Couleurs. Rubens s'en servoit toûjours ; & j'ay veu des Tableaux de la main de ce grand Homme faits au premier coup, qui avoient une vivacité merveilleuse. La raison que ces excellens Coloristes avoient de se servir de ces sortes de Fonds, est que le Blanc conserve toûjours un éclat sous le transparant des Couleurs, lesquelles empeschent que l'air n'altere la blancheur du Fonds, de méme que cette blancheur repare le dommage qu'elles reçoivent de l'air ; de maniere que le Fonds & les Couleurs se prestent un mutuel secours, & se conservent l'un l'autre. C'est par cette raison que les Couleurs glacées ont une vivacité qui ne peut jamais estre imitée par les Couleurs les plus vives & les plus brillantes, dont à la maniere ordinaire & commune on couche simplement les differentes teintes, chacune dans leur place les unes apres les autres : tant il est vray que le Blanc avec les autres Couleurs fieres, dont on peint d'abord ce que l'on veut glacer, en sont comme la vie & l'éclat. Les Anciens ont asseurement trouvé que les Fonds blancs estoient beaucoup meilleurs que les autres : puisque nonobstant l'incommodité que leurs yeux recevoient de cette Couleur, ils ne laissoient pas de s'en servir, […] Je ne sçay d'où vient que l'on ne s'en sert pas aujourd'huy, si ce n'est qu'il y a peu de Peintres curieux de bien colorier, ou que l'ébauche commencée sur le Blanc ne se montre pas assez viste, & qu'il faut avoir une patience plus que Françoise, pour attendre qu'elle soit achevée, & que le Fond qui ternit par sa Blancheur l'éclat des autres Couleurs, soit entierement couvert, pour faire paroistre agreablement tout l'Ouvrage.

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256. [La Cromatique.] La troisième & derniere Partie de la Peinture s’appelle Cromatique, ou Coloris. Elle a pour objet la Couleur : c’est pourquoy les Lumieres & les Ombres y sont aussi comprises, qui ne sont autre chose que du Blanc & du Brun, & par consequent qui ont rang parmy les Couleurs. […] Disons donc, Que la Cromatique fait ses observations sur les Masses ou Corps des Couleurs, accompagnées de Lumieres & d’Ombres plus ou moins évidentes par degrez de diminution, selon les accidens, premierement du Corps lumineux, comme du Soleil ou d’un flambeau ; secondement du Corps diaphane, qui est entre nous & l’objet, comme l’Air pur ou épais, ou une vitre rouge, &c. 3. du Corps solide illuminé, comme une Statuë de marbre blanc, un arbre vert, un cheval noir, &c. 4. de la part de celuy qui regarde le Corps illuminé le voyant de loin ou de prés, directement en ange droit, ou de biais en angle obtus, de haut en bas, ou de bas en haut. Cette Partie dans la connoissance qu’elle a de la valeur des Couleurs, de l’amitié qu’elles ont ensemble, & de leur antipathie, comprend la Force, le Relief, la Fierté, & ce Precieux que l’on remarque dans les bons Tableaux. Le maniement des Couleurs & le travail dépendent encore de cette derniere Partie.

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286. [De la mesme façon que le Miroir convexe vous le montre.] Le Miroir convexe altere les Objets qui sont au milieu, de sorte qu’il semble les faire sortir hors de sa superficie. Le Peintre en usera de cette maniere à l’égard du Clair-Obscur de ses Figures, pour leur donner plus de relief & plus de force.

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382. [Que vos Couleurs soient vives, sans pourtant donner, comme on dit, dans la farine.] Donner dans la farine c’est une façon de parler parmy les Peintres, qui exprime parfaitement ce qu’elle veut dire, qui n’est autre chose que de peindre avec Couleurs claires & fades tout ensemble, lesquelles ne donnent non plus de vie aux Figures, que si effectivement elles estoient frottées de farine. Ceux qui font leurs Carnations fort blanches & leurs Ombres grises ou verdastres, tombent dans cette inconvenient. Les Couleurs rousses dans les Ombres des chairs les plus delicates, contribuent merveilleusement à les rendre vives, brillantes & naturelles : mais il en faut user avec la mesme prudence dont le Titien, Paul Ver. Rubens & Vandeik se sont servis.
Pour conserver les Couleurs fraisches, il faut peindre en mettant toûjours des Couleurs, & non pas en frottant apres les avoir couchées sur la toile ; & s’il se pouvoit mesme faire qu’on les mist justement dans leurs places, & que l’on n’y touchast point quand on les y a une fois placées, il seroit encore mieux ; parce que la fraischeur des Couleurs se ternit & se perd à force de les tourmenter en peignant.
Tous ceux qui ont bien colorié, avoient encore une autre Maxime pour maintenir les Couleurs fraisches, vives & fleuries ; c'estoit de se servir de Fonds blancs, sur lesquels ils peignoient, & souvent mesme au premier coup, sans rien retoucher, & sans y employer de nouvelles Couleurs. Rubens s'en servoit toûjours ; & j'ay veu des Tableaux de la main de ce grand Homme faits au premier coup, qui avoient une vivacité merveilleuse. La raison que ces excellens Coloristes avoient de se servir de ces sortes de Fonds, est que le Blanc conserve toûjours un éclat sous le transparant des Couleurs, lesquelles empeschent que l'air n'altere la blancheur du Fonds, de méme que cette blancheur repare le dommage qu'elles reçoivent de l'air ; de maniere que le Fonds & les Couleurs se prestent un mutuel secours, & se conservent l'un l'autre. C'est par cette raison que les Couleurs glacées ont une vivacité qui ne peut jamais estre imitée par les Couleurs les plus vives & les plus brillantes, dont à la maniere ordinaire & commune on couche simplement les differentes teintes, chacune dans leur place les unes apres les autres : tant il est vray que le Blanc avec les autres Couleurs fieres, dont on peint d'abord ce que l'on veut glacer, en sont comme la vie & l'éclat. Les Anciens ont asseurement trouvé que les Fonds blancs estoient beaucoup meilleurs que les autres : puisque nonobstant l'incommodité que leurs yeux recevoient de cette Couleur, ils ne laissoient pas de s'en servir, […] Je ne sçay d'où vient que l'on ne s'en sert pas aujourd'huy, si ce n'est qu'il y a peu de Peintres curieux de bien colorier, ou que l'ébauche commencée sur le Blanc ne se montre pas assez viste, & qu'il faut avoir une patience plus que Françoise, pour attendre qu'elle soit achevée, & que le Fond qui ternit par sa Blancheur l'éclat des autres Couleurs, soit entierement couvert, pour faire paroistre agreablement tout l'Ouvrage.

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1. [La Peinture & la Poësie sont deux Sœurs qui se ressemblent si fort en toutes choses.] Elles tendent toutes deux à mesme fin, qui est l’Imitation. Toutes deux excitent nos passions ; & nous nous laissons tromper volontairement, mais agreablement par l’une & par l’autre ; nos yeux & nos esprits y sont si fort attachez, que nous voulons nous persuader que les Corps peints respirent, & que les fictions sont des veritez. Toutes deux sont occupées par les belles actions des Heros, & travaillent à les éterniser. Toutes deux enfin sont appuyées sur les forces de l’Imagination, & se servent des licences qu’Apollon leur donne également, & que leur Genie leur inspire. {Horace} Pictoribus atque Poëtis Quidlibet audendi semper fuit aequa potestas. L’avantage que la Peinture a pardessus la Poësie, est, Que parmy cette grande diversité de Langues, elle se fait entendre de toutes les Nations de la Terre ; & qu’elle est necessaire à tous les autres Arts, à cause du besoin qu’ils ont de figures demonstratives, qui donnent bien souvent plus d’intelligence que tous les discours du monde.

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152. [De mesme que la Comédie, &c.] Annibal Carache ne croyoit pas qu'un Tableau pust estre bien, dans lequel on faisoit entrer plus de douze Figures : c'est l'Albane qui l'a dit à nostre Autheur, de qui je l'ay appris ; & la raison qu'il en apportoit, estoit premierement qu'il ne croyoit pas qu'on deust faire plus de trois grands Grouppes de Figures dans un Tableau ; & secondement que le Silence & la Majesté y estoient necessaires pour le rendre beau : ce qui ne se peut ny l'un ny l'autre dans une multitude & dans une foule de Figures. Que si neantmoins vous y estes contraint par le Sujet, comme seroit un Jugement universel, un Massacre des Innocens, une Bataille, &c. pour lors il faudroit disposer les choses par grandes Masses de Clair-Obscur & d'union de Couleurs, sans s'amuser à finir chaque chose en particulier indépendamment l'une de l'autre, comme font ceux qui ont un petit Genie, & dont l'esprit n'est pas capable d'embrasser un grand Dessein, ny une grande Composition.

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188. [Et tout ce qui fait connoistre les Pensées & les Inventions des Grecs ] comme les bons Livres, tels que sont Homere & Pausanias. Les Estampes que nous voyons des choses Antiques peuvent contribuer infiniment à nous former le Genie & à nous donner de belles Idées, de mesme que les Ecrits des bons Autheurs, sont capables de former un bon Style à ceux qui veulent bien écrire.

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233. [C'est où consiste la plus grande difficulté] pour deux raisons ; & parce qu'il en faut faire une grande étude, tant sur les belles Antiques & sur les beaux Tableaux, que sur la Nature ; & parce que cette Partie dépend presque entierement du Genie, & qu’elle semble estre purement un don du Ciel, que nous avons receu dés nostre naissance […] neantmoins il est à mon avis necessaire que les uns & les autres apprennent parfaitement le Caractère de chaque Passion.
Toutes les actions de l’Appetit sensitif sont appellées Passions, dautant qu’elles agitent l’Ame, & que le Corps y patit & s’y altere sensiblement : Ce sont ces diverses agitations & ces differens mouvemens de tout le Corps en general, & de chacune de ses Parties en particulier, que nostre Excellent Peintre doit connoistre, dont il doit faire son estude, & se former une parfaite Idée. Mais il sera fort à propos de sçavoir d’abord que les Philosophes en admettent onze ; l’Amour, la Haine, le Desir, la Fuïte, la Joye, la Tristesse, l’Esperance, le Desespoir, la Hardiesse, la Crainte, & la Colere. Les Peintres les multiplient non seulement par leurs differens degrez, mais encore par leurs differentes especes : car ils feront par exemple six personnes dans le mesme degré de Crainte, qui exprimeront cette Passion tous differemment ; & c’est cette diversité d’especes qui fait faire la distinction des Peintres qui sont veritablement habiles, d’avec ceux qu’on appelle Manieristes, & qui repetent jusqu’à cinq ou six fois dans un mesme Tableau les mesmes Airs de teste. […] 

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Or de dire, comme il faut que ces Parties soient disposées pour exprimer les differentes Passions, c’est ce qui est impossible, & dont on ne peut donner de Regles bien precises, tant à cause que le travail en seroit infiny, que parce que chacun en doit user selon son Genie & selon l’étude qu’il en a dû faire. Souvenez-vous seulement de prendre garde que les Actions de vos Figures soient toutes naturelles. […] car il y en a qui s’imaginent avoir donné bien de la vie à leurs Figures, quand ils leur ont fait faire des Actions violentes & exagerées, que l’on peut appeler des Contorsions du Corps plûtost que des Passions de l’Ame ; & se donnent ainsi bien souvent de la peine, pour trouver quelque sorte de Passion où il n’en faut point du tout.
Joignez à tout ce que j’ay dit des Passions, Qu’il faut extremement avoir égard à la qualité des personnes passionnées : la Joye d’un Roy ne doit pas estre comme celle d’un valet, & la Fierté d’un Soldat ne doit pas ressembler à celle d’un Capitaine. C’est dans ces differences que consiste tout le fin & tout le delicat des passions. Paul Lomasse a écrit fort amplement sur chaque Passion en particulier dans son 2. Livre : mais prenez garde à ne vous y point trop arrester, & à ne point forcer vostre Genie.

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432.  [Cherchez tout ce qui aide vôtre Art & qui luy convient, fuyez tout ce qui luy repugne.] Ce Precepte est admirable : il faut que le Peintre l'aye toûjours present dans l'esprit & dans la memoire ; c'est luy qui resout les difficultez que les Regles font naître, c'est luy qui délie les mains & qui aide l'entendement, c'est luy enfin qui met le Peintre en liberté, puis qu'il luy apprend, qu'il ne doit point s'assujettir servilement & en esclave aux Regles de son Art ; mais que les Regles de son Art luy doivent estre sujettes, en ne l'empeschant point de suivre son Genie qui les passe.

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Tout devient palettes & pinceaux entre les mains d'un enfant doüé du génie de la Peinture. Ils fait connoître aux autres pour ce qu'il est, quand lui-même ne le sçait pas encore. Les Annalistes de la Peinture rapportent une infinité de faits qui confirment ce que j'avance. La plûpart des grands Peintres ne sont pas nez dans les atteliers. Très-peu sont des fils de Peintres, qui, suivant l'usage ordinaire, auroient été élevez dans la profession de leurs peres. Parmi les Artisans illustres qui font tant d'honneur aux deux derniers siècles, le seul Raphaël, autant qu'il m'en souvient, fut le fils d'un Peintre. Le pere du Georgeon & celui du Titien, ne manierent jamais ni pinceaux ni cizeaux, Leonard De Vinci, & Paul Veronése, n'eurent point de Peintres pour peres. Les parens de Michel-Ange vivoient, comme on dit, noblement, c'est-à-dire, sans exercer aucune profession lucrative. André Del Sarte étoit fils d'un Tailleur, & Le Tintoret d'un Tinturier. Le pere des Caraches, n'étoit pas d'une profession où l'on manie le craïon. Michel-Ange De Caravage étoit fils d'un Masson, & Le Correge fils d'un Laboureur. Le Guide étoit fils d'un Musicien, Le Dominiquin d'un Cordonnier, & L'Albane d'un Marchand de Soïe. Lanfranc étoit un enfant trouvé, à qui son génie enseigna la peinture, à peu près comme le génie de M Pascal lui enseigna les Mathématiques. Le pere de Rubens, qui étoit dans la Magistrature d'Anvers, n'avoit ni attelier ni boutique dans sa maison. Le pere de Vandick n'étoit ni Peintre ni Sculpteur. Du Fresnoy, dont nous avons un poëme sur la Peinture, qui a mérité d'être traduit & commenté par M. De Piles, & dont nous avons aussi des tableaux au-dessus du médiocre, avoit étudié pour être Médecin. Les peres des quatre meilleurs Peintres François du dernier siècle, Le Valentin, Le Sueur, Le Poussin & Le Brun, n'étoient pas des peintres. C'est le génie de ces grands hommes qui les a été chercher, pour ainsi dire, dans la maison de leurs parens, afin de les conduire sur le Parnasse. Les Peintres montent sur le Parnasse, aussi-bien que les Poëtes.

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509. [Pour bien faire, &c.] Nostre Autheur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] ne parle point icy des premiers commencemens du Dessein, comme du maniement du crayon, du juste rapport que doit avoir la Copie avec son Original, &c. Il suppose, avant que de commencer ses études, que l'on doit avoir une facilité dans la main, pour imiter les beaux Desseins, les beaux Tableaux, & la Ronde bosse ; que l'on doit enfin s'estre fait un Clef du Dessein, pour entrer chez Minerve, où toutes les belles choses se trouvent en abondance, & s'offrent à nous, pour en profiter selon nos soins & nostre Genie.
509.
[Vous commencerez par la Geometrie.] Parce que c’est le fondement de la Perspective, sans laquelle vous ne pouvez rien faire en Peinture. La Geometrie est encore tres-utile pour l’Architecture & pour tout ce qui en dépend. Elle est specialement necessaire aux Sculpteurs.

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GEOMETRIE. La Geometrie, dit M. de Piles, est le fondement de la perspective & de l’architecture pittoresque. Elle sert aussi pour trouver les justes proportions des membres & des figures. Mais il faut prendre garde de pousser l’exactitude de trop loin, & l’esprit Geométrique peut tout gâter dans la Peinture comme dans la Poësie ; on doit éviter toute affection, des contours trop égaux, des lignes paralléles, & tout ce qui a l’air de figures Geométrales, comme des quarrés & des triangles ; enfin tout arrangement méthodique, d’où résulte, dit du Fresnoy, une ingrate symétrie.
Sive parallelos plures simul, & vel acutas, 
Vel Geometrales (ut quadra triangula) formas :
Ingratamque parisognorum ex ordine quandam
Simmetriam.

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GROUPE, GROUPER. On appelle groupe, l’amas de plusieurs choses accouplées, & assemblées en peloton. 
Groupe de figures,  groupe d’animaux, groupe d’arbres, de fleurs & de fruits : ces choses font groupe avec ces autres. 
Les Italiens disent
groppo, qui pourroit bien être dérivé du mot latin globus.
Des figures bien
groupées, bien agroupées, ingénieusement groupées. Des membres qui se groupent, & qui se contrastent. 
Il peut y avoir plusieurs
groupes dans un tableau. 
Annibal Carrache ne vouloit pas qu’il y en eût plus de trois grands. 
les
groupes dit du Fresnoy, doivent être détachés les uns des autres, & séparés par des vuides, pour éviter la confusion. 
Agglomerata
simul sint membra, ipsœque figuræ
Stipentur, circumque globos locus usque vacabit.
Ne mâle dispersis dum visus ubique figuris
Dividitur, cunctisque operis, fervente tumultu,
Partibus implicitis, crepitans consusio surgat.
Mr l’Abbé de M... dit dans son Poëme de la Peinture :
Acenda tabellis
Turba figurarum nimio confusa tumultu,
Indiscreta locis, ubi concurrentia passim
Corpora corporibus, quasi mutua bella lacessunt,
Et malè contiguis sibi frangunt artubus artus.
Sit procul iste fragor, placido sed in œquore telœ
Serpat amena quies, & docta silentia regnent.

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105. [Inégaux dans leur Position, en sorte que ceux de devant contrastent les autres qui vont en arriere, & soient tous également balancez sur leur centre.] Les mouvemens ne sont jamais naturels, si les Membres ne sont également balancez sur leur centre ; & ces Membres ne peuvent estre balancez sur leur centre dans une égalité de poids, qu'ils ne se contrastent les uns les autres. Un homme qui danse sur la corde, fait voir fort clairement cette verité. Le Corps est un poids balancé sur ses pieds, comme sur deux pivots ; & s’il n’y en a qu’un qui porte, comme il arrive le plus souvent, vous voyez que tout le poids est retiré dessus centralement, en sorte que si par exemple le bras avance, il faut de nécessité, ou que l’autre bras, ou que la jambe aille en arriere, ou que le Corps soit tant soit peu courbé du costé contraire, pour estre dans son Equilibre & dans une situation hors de contrainte. Il se peut faire, mais rarement, si ce n’est dans les Vieillards, que les deux pieds portent également ; & pour lors il n’y a qu’à distribuer la moitié du poids sur chaque pied. Vous userez de la mesme prudence, si l’un des pieds portoit les trois quarts du fardeau, & que l’autre portast le reste. Voila en general ce que l’on peut dire de la Balance & de la Ponderation du Corps : du reste, il y a quantité de choses tres-belles & tres-remarquables à dire ; & vous pourrez vous en satisfaire dans Leonard de Vincy ; il a fait merveille là-dessus, & l'on peut dire que la Ponderation est la plus belle & la plus saine partie de son Livre sur la Peinture. Elle commence au CLXXXI. Chapitre, & finit au CCLXXIII. Je vous conseille de voir encore Paul Lomasse dans son 6. l. chap. IIII. Del moto del Corpo humano, vous y trouverez des choses tres-utiles. Pour ce qui est du Contraste, je vous diray en general, que rien ne donne davantage la grace & la vie aux Figures.

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107. [Les Parties doivent avoir leurs Contours en Ondes, & ressembler en cela à la flâme ou au serpent.] La raison de cela vient de l'action des muscles, […]. Les Contours qui sont en ondes donnent non seulement de la grace aux Parties, mais aussi à tout le Corps, lors qu'il n'est soûtenu que sur une jambe, comme nous le voyons dans les Figures d'Antinoüs, de Meleagre, de la Venus de Medicis, de celle du Vatican, & de deux autres de Borgheze, de la Flore, de la Déesse Vesta, des deux Bacchus de Borgheze, & de celuy de Lodovise, & enfin de la plus grande partie des Figures Antiques qui sont debout, & qui posent davantage sur un pied que sur l'autre. Outre que les Figures & leurs Membres doivent presque toûjours avoir naturellement une forme flamboyante & serpentive, ces sortes de Contours ont un je ne sçay quoy de vif & de remuant, qui tient beaucoup de l'activité du feu & du serpent.

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222. [Et de la Grace.] Il est assez difficile de dire ce que c’est que cette Grace de la Peinture : on la conçoit & on la sent bien mieux qu’on ne la peut expliquer. Elle vient des Lumieres d’une excellente Nature, qui ne se peuvent acquerir, par lesquelles nous donnons un certain tour aux choses qui les rendent agreables. Une Figure sera dessinée avec toutes ses Proportions, & aura toutes ses Parties regulieres, laquelle pour cela ne sera pas agreable, si toutes ces Parties ne sont mises ensemble d’une certaine maniere qui attire les yeux, & qui les tiennent comme immobiles. C’est pourquoy il y a difference entre la Beauté & la Grace, & il semble qu’Ovide les ait voulu distinguer, […] Et Suetone [ …]. Et combien voyons-nous de personnes belles qui nous plaisent beaucoup moins que d’autres qui n’ont pas de si beaux traits. C’est par cette Grace que Raphaël s’est rendu le plus celebre de tous les Italiens, de mesme qu’Apelle l’a esté de tous les Grecs.

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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

Quotation

329. [La Grappe de Raisin.] Il est assez évident que le Titien par cette comparaison aussi judicieuse que familiere, a pretendu dire que l’on doit ramasser les Objets & les disposer de telle sorte, qu’ils composent un Tout, dont plusieurs Parties contiguës puissent estre éclairées, plusieurs ombrées, & d’autres de Couleurs rompuës, pour estre dans les Tournans ; de mesme que dans une Grappe de Raisin, plusieurs grains qui en font les parties, se trouvent dans le jour, plusieurs dans l’ombre, & d’autres dans la demie teinte, pour estre dans les Parties fuyantes. Le Tintoret dit un jour à Rubens, qu’il avoit oüi dire au Titien, Que dans tous ses plus grands Ouvrages, la Grappe de Raisin estoit son meilleur guide & sa principale Regle.

Quotation

GRAPPE de raisin, terme de Peinture, dont on se sert pour exprimer l’effet des grands groupes d’ombres & de lumiéres : c’est ainsi que le Titien disoit que dans la distribution des jours & des ombres, il prenoit pour régle la grappe de raisin, c’est-à-dire, qu’il tâchoit de disposer les objets, de telle maniere que les grandes lumieres se trouvassent ensemble & que les grandes ombres fussent pareillement liées entr’elles, comme on le voit dans la grappe de raisin, dont les grains du côté de la lumiere font une masse de clair, & les grains du côté opposé, font une masse d’ombre. Cette comparaison familiere a passé en proverbe chez les Peintres, qui ont depuis appellé ces grands groupes séparés d’ombres & de lumieres, la grappe de raisin.
Fertur Titianus ubique
Lucis & umbrarum normam appellasse racemum. 
Du Fresnoy

Quotation

132. [Que les Membres soient agrouppez de mesme que les Figures, c'est à dire, &c.] Je ne sçaurois vous mieux comparer un Grouppe de Figures, qu'à un Concert de Voix, lesquelles toutes ensemble se soûtenant par leurs différen- tes Parties, font un Accord qui remplit & qui flatte agreablement l'oreille : mais si vous venez à les separer, & qu'elles se fassent entendre aussi haut l'une que l'autre, elles vous étourdiront tellement, que vous croirez avoir les oreilles déchirées. Il en est de mesme des Figures : si vous les assemblez en sorte que les unes soûtiennent & servent à faire paroistre les autres, & que toutes ensemble s'accordent & ne fassent qu'un Tout, vos yeux seront pleinement satisfaits ; que si au contraire vous les separez, vos yeux souffriront pour les voir toutes ensemble dispersées, ou chacune en particulier ; toutes ensemble, parce que les rayons visuels sont multipliez par la multiplicité des Objets ; chacune en particulier, parce que si vous en voulez regarder une, toutes celles qui sont autour fraperont & attireront vostre veuë, qui peine extremement dans cette sorte de separation & de diversité d'Objets. L'œil par exemple est satisfait à la veuë d'un raisin, & se trouve fort embarassé, s’il se veut porter tout d'un coup sur tous les grains ensemble, qui en seront détachez sur une table. Il faut avoir le mesme égard pour les Membres : ils se grouppent & se contrastent de mesme que les Figures. Peu de Peintres ont bien pris garde à ce Precepte, qui est un fondement tres-solide pour l'harmonie du Tableau.

Quotation

152. [De mesme que la Comédie, &c.] Annibal Carache ne croyoit pas qu'un Tableau pust estre bien, dans lequel on faisoit entrer plus de douze Figures : c'est l'Albane qui l'a dit à nostre Autheur, de qui je l'ay appris ; & la raison qu'il en apportoit, estoit premierement qu'il ne croyoit pas qu'on deust faire plus de trois grands Grouppes de Figures dans un Tableau ; & secondement que le Silence & la Majesté y estoient necessaires pour le rendre beau : ce qui ne se peut ny l'un ny l'autre dans une multitude & dans une foule de Figures. Que si neantmoins vous y estes contraint par le Sujet, comme seroit un Jugement universel, un Massacre des Innocens, une Bataille, &c. pour lors il faudroit disposer les choses par grandes Masses de Clair-Obscur & d'union de Couleurs, sans s'amuser à finir chaque chose en particulier indépendamment l'une de l'autre, comme font ceux qui ont un petit Genie, & dont l'esprit n'est pas capable d'embrasser un grand Dessein, ny une grande Composition.

Quotation

282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

Quotation

GROUPE, GROUPER. On appelle groupe, l’amas de plusieurs choses accouplées, & assemblées en peloton. 
Groupe de figures,  groupe d’animaux, groupe d’arbres, de fleurs & de fruits : ces choses font groupe avec ces autres. 
Les Italiens disent
groppo, qui pourroit bien être dérivé du mot latin globus.
Des figures bien
groupées, bien agroupées, ingénieusement groupées. Des membres qui se groupent, & qui se contrastent. 
Il peut y avoir plusieurs
groupes dans un tableau. 
Annibal Carrache ne vouloit pas qu’il y en eût plus de trois grands. 
les
groupes dit du Fresnoy, doivent être détachés les uns des autres, & séparés par des vuides, pour éviter la confusion. 
Agglomerata
simul sint membra, ipsœque figuræ
Stipentur, circumque globos locus usque vacabit.
Ne mâle dispersis dum visus ubique figuris
Dividitur, cunctisque operis, fervente tumultu,
Partibus implicitis, crepitans consusio surgat.
Mr l’Abbé de M... dit dans son Poëme de la Peinture :
Acenda tabellis
Turba figurarum nimio confusa tumultu,
Indiscreta locis, ubi concurrentia passim
Corpora corporibus, quasi mutua bella lacessunt,
Et malè contiguis sibi frangunt artubus artus.
Sit procul iste fragor, placido sed in œquore telœ
Serpat amena quies, & docta silentia regnent.

Quotation

GROUPE, GROUPER. On appelle groupe, l’amas de plusieurs choses accouplées, & assemblées en peloton. 
Groupe de figures,  groupe d’animaux, groupe d’arbres, de fleurs & de fruits : ces choses font groupe avec ces autres. 
Les Italiens disent
groppo, qui pourroit bien être dérivé du mot latin globus.
Des figures bien
groupées, bien agroupées, ingénieusement groupées. Des membres qui se groupent, & qui se contrastent. 
Il peut y avoir plusieurs
groupes dans un tableau. 
Annibal Carrache ne vouloit pas qu’il y en eût plus de trois grands. 
les
groupes dit du Fresnoy, doivent être détachés les uns des autres, & séparés par des vuides, pour éviter la confusion. 
Agglomerata
simul sint membra, ipsœque figuræ
Stipentur, circumque globos locus usque vacabit.
Ne mâle dispersis dum visus ubique figuris
Dividitur, cunctisque operis, fervente tumultu,
Partibus implicitis, crepitans consusio surgat.
Mr l’Abbé de M... dit dans son Poëme de la Peinture :
Acenda tabellis
Turba figurarum nimio confusa tumultu,
Indiscreta locis, ubi concurrentia passim
Corpora corporibus, quasi mutua bella lacessunt,
Et malè contiguis sibi frangunt artubus artus.
Sit procul iste fragor, placido sed in œquore telœ
Serpat amena quies, & docta silentia regnent.

Quotation

GROUPE, GROUPER. On appelle groupe, l’amas de plusieurs choses accouplées, & assemblées en peloton. 
Groupe de figures,  groupe d’animaux, groupe d’arbres, de fleurs & de fruits : ces choses font groupe avec ces autres. 
Les Italiens disent
groppo, qui pourroit bien être dérivé du mot latin globus.
Des figures bien
groupées, bien agroupées, ingénieusement groupées. Des membres qui se groupent, & qui se contrastent. 
Il peut y avoir plusieurs
groupes dans un tableau. 
Annibal Carrache ne vouloit pas qu’il y en eût plus de trois grands. 
les
groupes dit du Fresnoy, doivent être détachés les uns des autres, & séparés par des vuides, pour éviter la confusion. 
Agglomerata
simul sint membra, ipsœque figuræ
Stipentur, circumque globos locus usque vacabit.
Ne mâle dispersis dum visus ubique figuris
Dividitur, cunctisque operis, fervente tumultu,
Partibus implicitis, crepitans consusio surgat.
Mr l’Abbé de M... dit dans son Poëme de la Peinture :
Acenda tabellis
Turba figurarum nimio confusa tumultu,
Indiscreta locis, ubi concurrentia passim
Corpora corporibus, quasi mutua bella lacessunt,
Et malè contiguis sibi frangunt artubus artus.
Sit procul iste fragor, placido sed in œquore telœ
Serpat amena quies, & docta silentia regnent.

Quotation

132. [Que les Membres soient agrouppez de mesme que les Figures, c'est à dire, &c.] Je ne sçaurois vous mieux comparer un Grouppe de Figures, qu'à un Concert de Voix, lesquelles toutes ensemble se soûtenant par leurs différen- tes Parties, font un Accord qui remplit & qui flatte agreablement l'oreille : mais si vous venez à les separer, & qu'elles se fassent entendre aussi haut l'une que l'autre, elles vous étourdiront tellement, que vous croirez avoir les oreilles déchirées. Il en est de mesme des Figures : si vous les assemblez en sorte que les unes soûtiennent & servent à faire paroistre les autres, & que toutes ensemble s'accordent & ne fassent qu'un Tout, vos yeux seront pleinement satisfaits ; que si au contraire vous les separez, vos yeux souffriront pour les voir toutes ensemble dispersées, ou chacune en particulier ; toutes ensemble, parce que les rayons visuels sont multipliez par la multiplicité des Objets ; chacune en particulier, parce que si vous en voulez regarder une, toutes celles qui sont autour fraperont & attireront vostre veuë, qui peine extremement dans cette sorte de separation & de diversité d'Objets. L'œil par exemple est satisfait à la veuë d'un raisin, & se trouve fort embarassé, s’il se veut porter tout d'un coup sur tous les grains ensemble, qui en seront détachez sur une table. Il faut avoir le mesme égard pour les Membres : ils se grouppent & se contrastent de mesme que les Figures. Peu de Peintres ont bien pris garde à ce Precepte, qui est un fondement tres-solide pour l'harmonie du Tableau.

Quotation

37. [La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art.] Voicy où échoüent presque tous les Peintres Flamans ; & la pluspart sçavent imiter la Nature pour le moins aussi bien que les Peintres des autres Nations ; mais ils en font un mauvais choix, soit parce qu’ils n’ont pas veu l’Antique, ou que le beau Naturel ne se trouve pas ordinairement dans leur païs. Et dans la vérité ce beau estant fort rare […], il est difficile d'en faire le choix, & de s'en former des idées qui puissent servir de modele.

Quotation

1. [La Peinture & la Poësie sont deux Sœurs qui se ressemblent si fort en toutes choses.] Elles tendent toutes deux à mesme fin, qui est l’Imitation. Toutes deux excitent nos passions ; & nous nous laissons tromper volontairement, mais agreablement par l’une & par l’autre ; nos yeux & nos esprits y sont si fort attachez, que nous voulons nous persuader que les Corps peints respirent, & que les fictions sont des veritez. Toutes deux sont occupées par les belles actions des Heros, & travaillent à les éterniser. Toutes deux enfin sont appuyées sur les forces de l’Imagination, & se servent des licences qu’Apollon leur donne également, & que leur Genie leur inspire. {Horace} Pictoribus atque Poëtis Quidlibet audendi semper fuit aequa potestas. L’avantage que la Peinture a pardessus la Poësie, est, Que parmy cette grande diversité de Langues, elle se fait entendre de toutes les Nations de la Terre ; & qu’elle est necessaire à tous les autres Arts, à cause du besoin qu’ils ont de figures demonstratives, qui donnent bien souvent plus d’intelligence que tous les discours du monde.

Quotation

Un jeune homme ne sçauroit faire dans l'art de la Peinture tout le progrès dont il est capable, si sa main ne se perfectionne pas en même-temps que son imagination. Il ne suffit pas aux Peintres de concevoir des idées nobles, d'imaginer les compositions les plus élegantes, & de trouver les expressions les plus pathétiques, il faut encore que leur main ait été renduë docile à se fléchir avec précision en cent manieres differentes, pour se trouver capable de tirer avec justesse la ligne que l'imagination lui demande. Nous ne sçaurions faire rien de bien, dit Du Fresnoi, dans son Poëme de la Peinture, si notre main n'est pas capable de mettre sur la toile les beautez que notre esprit produit. [...] Le génie a, pour ainsi dire, les bras liez dans un Artisan, dont la main n'est pas dénoüée. Il en est de l'œil comme de la main. Il faut que l'œil d'un Peintre soit accoutumé de bonne heure à juger par une operation sûre & facile en même-temps, quel effet doit faire un certain mêlange, ou bien une certaine opposition de couleur, quel effet doit faire une figure d'une certaine hauteur dans un Grouppe ; & quel effet un certain Grouppe fera dans le tableau, après que le tableau sera colorié. Si l'imagination n'a pas à sa disposition une main & un œil capables de la seconder à son gré, il ne résulte des plus belles idées qu'enfante l'imagination, qu'un tableau grossier, & que dédaigne l'Artisan même qui l'a peint, tant il trouve l'œuvre de sa main au-dessous de l'œuvre de son esprit.
L'étude nécessaire pour perfectionner l'œil & la main, ne se fait point en donnant quelques heures distraites à un travail interrompu. Cette étude demande une attention entiere & une perséverance continuée durant plusieurs années. […] 
Le seul tems de la vie qui soit bien propre à faire acquerir leur perfection à l'œil et à la main, est le tems où nos organes, tant intérieurs qu'extérieurs, achevent.


Quotation

1. [La Peinture & la Poësie sont deux Sœurs qui se ressemblent si fort en toutes choses.] Elles tendent toutes deux à mesme fin, qui est l’Imitation. Toutes deux excitent nos passions ; & nous nous laissons tromper volontairement, mais agreablement par l’une & par l’autre ; nos yeux & nos esprits y sont si fort attachez, que nous voulons nous persuader que les Corps peints respirent, & que les fictions sont des veritez. Toutes deux sont occupées par les belles actions des Heros, & travaillent à les éterniser. Toutes deux enfin sont appuyées sur les forces de l’Imagination, & se servent des licences qu’Apollon leur donne également, & que leur Genie leur inspire. {Horace} Pictoribus atque Poëtis Quidlibet audendi semper fuit aequa potestas. L’avantage que la Peinture a pardessus la Poësie, est, Que parmy cette grande diversité de Langues, elle se fait entendre de toutes les Nations de la Terre ; & qu’elle est necessaire à tous les autres Arts, à cause du besoin qu’ils ont de figures demonstratives, qui donnent bien souvent plus d’intelligence que tous les discours du monde.

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37. [La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art.] Voicy où échoüent presque tous les Peintres Flamans ; & la pluspart sçavent imiter la Nature pour le moins aussi bien que les Peintres des autres Nations ; mais ils en font un mauvais choix, soit parce qu’ils n’ont pas veu l’Antique, ou que le beau Naturel ne se trouve pas ordinairement dans leur païs. Et dans la vérité ce beau estant fort rare […], il est difficile d'en faire le choix, & de s'en former des idées qui puissent servir de modele.

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73. [Qui soit plein de sel.] Aliquid salis, Quelque chose d’ingenieux, de fin, de piquant, d’extraordinaire, d’un goust relevé & qui soit propre à instruire & à éclaircir les esprits. Il faut que les Peintres fassent comme les Orateurs (dit Ciceron) qu’ils instruisent, qu’ils divertissent, & qu’ils touchent : & c’est proprement ce que veut dire ce mot de Sel.

Quotation

73. [Qui soit plein de sel.] Aliquid salis, Quelque chose d’ingenieux, de fin, de piquant, d’extraordinaire, d’un goust relevé & qui soit propre à instruire & à éclaircir les esprits. Il faut que les Peintres fassent comme les Orateurs (dit Ciceron) qu’ils instruisent, qu’ils divertissent, & qu’ils touchent : & c’est proprement ce que veut dire ce mot de Sel.

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76. [C’est une Muse qui estant pourveuë des autres avantages de ses Sœurs, &c.] L’on prend ordinairement les Attributs des Muses pour les Muses elles-mesmes ; & c’est dans ce sens-là que l’Invention est appelée une Muse. Les Auteurs attribuent à chacune des Muses en particulier les Sciences qu’elles ont inventées, & en general, les belles Lettres ; parce qu’elles contiennent presque toutes les autres. Ces Sciences sont les avantages dont parle nostre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy], & dont il voudroit qu’un Peintre fust suffisamment pourveu.

Quotation

78. [Il est fort à propos en cherchant, &c.] Voicy le plus important Precepte de tous ceux de la Peinture. Il appartient proprement au Peintre seul, & tous les autres sont empruntez, de belles Lettres, de la Medecine, des Mathematiques, ou enfin des autres Arts : car il suffit d’avoir de l’esprit & des Lettres, pour faire une tres belle Invention : Pour dessiner, il faut de l’Anatomie ; un Mathematicien mettra fort bien les bastimens & autres choses en Perspective, & les autres Arts apporteront de leur costé ce qui est necessaire pour la matiere d’un beau Tableau : Mais pour l’œconomie du Tout-ensemble, il n’y a que le Peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du Peintre est de tromper agreablement les yeux : ce qu’il ne fera jamais, si cette Partie lui manque. Un Tableau peut faire un mauvais effet, lequel sera d’une sçavante Invention, d’un Dessein correct, & qui aura les Couleurs les plus belles & les plus fines : Et au contraire, on peut en voir d’autres mal Inventez, mal Dessinez, & peints de Couleurs les plus communes, qui feront un tres-bon effet, & qui tromperont beaucoup davantage. […] 
Ce Precepte est proprement l’usage & l’application de tous les autres : c’est pourquoy il demande beaucoup de Jugement. Il faut donc tellement prevoir les choses, que vostre Tableau soit peint dans vostre teste devant que de l’estre sur la toile. […] Il est certain que ceux qui ont cette prevoyance, travaillent avec un plaisir & une facilité incroyable ; & que les autres au contraire, ne font que changer et rechanger leur Ouvrage, qui ne leur laisse au bout du conte que du chagrin. 
On peut inferer de ce que je viens de dire, que l'Invention & la Disposition sont deux Parties differentes. En effet, quoy que la derniere dépende de l'autre, & qu'elle y soit communement comprise, il faut cependant bien se garder de les confondre : L'Invention trouve simplement les choses, & en fait un choix convenable à l'Histoire que l'on traite ; & la Disposition les distribuë chacune à sa place quand elles sont inventées, & accommode les Figures & les Grouppes en particulier, & le Tout-ensemble du Tableau en general ; en sorte que cette Œconomie produit le mesme effet pour les yeux, qu'un Concert de Musique pour les oreilles.

Quotation

107. [Les Parties doivent avoir leurs Contours en Ondes, & ressembler en cela à la flâme ou au serpent.] La raison de cela vient de l'action des muscles, […]. Les Contours qui sont en ondes donnent non seulement de la grace aux Parties, mais aussi à tout le Corps, lors qu'il n'est soûtenu que sur une jambe, comme nous le voyons dans les Figures d'Antinoüs, de Meleagre, de la Venus de Medicis, de celle du Vatican, & de deux autres de Borgheze, de la Flore, de la Déesse Vesta, des deux Bacchus de Borgheze, & de celuy de Lodovise, & enfin de la plus grande partie des Figures Antiques qui sont debout, & qui posent davantage sur un pied que sur l'autre. Outre que les Figures & leurs Membres doivent presque toûjours avoir naturellement une forme flamboyante & serpentive, ces sortes de Contours ont un je ne sçay quoy de vif & de remuant, qui tient beaucoup de l'activité du feu & du serpent.

Quotation

78. [Il est fort à propos en cherchant, &c.] Voicy le plus important Precepte de tous ceux de la Peinture. Il appartient proprement au Peintre seul, & tous les autres sont empruntez, de belles Lettres, de la Medecine, des Mathematiques, ou enfin des autres Arts : car il suffit d’avoir de l’esprit & des Lettres, pour faire une tres belle Invention : Pour dessiner, il faut de l’Anatomie ; un Mathematicien mettra fort bien les bastimens & autres choses en Perspective, & les autres Arts apporteront de leur costé ce qui est necessaire pour la matiere d’un beau Tableau : Mais pour l’œconomie du Tout-ensemble, il n’y a que le Peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du Peintre est de tromper agreablement les yeux : ce qu’il ne fera jamais, si cette Partie lui manque. Un Tableau peut faire un mauvais effet, lequel sera d’une sçavante Invention, d’un Dessein correct, & qui aura les Couleurs les plus belles & les plus fines : Et au contraire, on peut en voir d’autres mal Inventez, mal Dessinez, & peints de Couleurs les plus communes, qui feront un tres-bon effet, & qui tromperont beaucoup davantage. […] 
Ce Precepte est proprement l’usage & l’application de tous les autres : c’est pourquoy il demande beaucoup de Jugement. Il faut donc tellement prevoir les choses, que vostre Tableau soit peint dans vostre teste devant que de l’estre sur la toile. […] Il est certain que ceux qui ont cette prevoyance, travaillent avec un plaisir & une facilité incroyable ; & que les autres au contraire, ne font que changer et rechanger leur Ouvrage, qui ne leur laisse au bout du conte que du chagrin. 
On peut inferer de ce que je viens de dire, que l'Invention & la Disposition sont deux Parties differentes. En effet, quoy que la derniere dépende de l'autre, & qu'elle y soit communement comprise, il faut cependant bien se garder de les confondre : L'Invention trouve simplement les choses, & en fait un choix convenable à l'Histoire que l'on traite ; & la Disposition les distribuë chacune à sa place quand elles sont inventées, & accommode les Figures & les Grouppes en particulier, & le Tout-ensemble du Tableau en general ; en sorte que cette Œconomie produit le mesme effet pour les yeux, qu'un Concert de Musique pour les oreilles.

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513. [Et ensuite, lors que le Jugement se sera fortifié, & sera, etc.]. On a besoin d'avoir l'esprit formé & le jugement mur, pour faire l'application de ses Regles sur les bons Tableaux, & pour n'en prendre que le bon : […]

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432.  [Cherchez tout ce qui aide vôtre Art & qui luy convient, fuyez tout ce qui luy repugne.] Ce Precepte est admirable : il faut que le Peintre l'aye toûjours present dans l'esprit & dans la memoire ; c'est luy qui resout les difficultez que les Regles font naître, c'est luy qui délie les mains & qui aide l'entendement, c'est luy enfin qui met le Peintre en liberté, puis qu'il luy apprend, qu'il ne doit point s'assujettir servilement & en esclave aux Regles de son Art ; mais que les Regles de son Art luy doivent estre sujettes, en ne l'empeschant point de suivre son Genie qui les passe.

Quotation

177. [Ne soyez pas si fort attaché à la Nature, &c.] Ce Precepte est contre deux sortes de Peintres. Premierement contre ceux qui sont tellement attachez à la Nature, qu’ils ne peuvent rien sans elle, qui la copient comme ils la croyent voir, sans y rien adjoûter ny en retrancher la moindre chose, soit pour le Nud, ou pour les Draperies ; Et secondement il est contre ceux qui peignent toutes choses de Pratique, sans pouvoir s’assujettir à rien retoucher ny examiner sur le Naturel. Ces derniers sont proprement des Libertins de Peinture, comme il y en a de Religion, lesquels n’ont pas d’autre Loy que l’impetuosité de leurs inclinations, qu’ils ne veulent pas vaincre, de mesme que les Libertins de Peinture n’ont point d’autre Modele, que la boutade d’un Genie mal reglé, qui les emporte. Quoy que ces deux sortes de Peintres soient & l’un & l’autre dans des extremitez vitieuses, toutefois les premiers me semblent moins insupportables ; parce que s’ils n’imitent pas la Nature accompagnée de toutes ses beautez & de toutes ses graces, au moins imitent-ils une Nature qui nous est connuë, & que nous voyons tous les jours : au lieu que les autres nous en font voir une toute sauvage, que nous ne connoissons point, & qui semble estre d’une creation toute nouvelle.

Quotation

1. [La Peinture & la Poësie sont deux Sœurs qui se ressemblent si fort en toutes choses.] Elles tendent toutes deux à mesme fin, qui est l’Imitation. Toutes deux excitent nos passions ; & nous nous laissons tromper volontairement, mais agreablement par l’une & par l’autre ; nos yeux & nos esprits y sont si fort attachez, que nous voulons nous persuader que les Corps peints respirent, & que les fictions sont des veritez. Toutes deux sont occupées par les belles actions des Heros, & travaillent à les éterniser. Toutes deux enfin sont appuyées sur les forces de l’Imagination, & se servent des licences qu’Apollon leur donne également, & que leur Genie leur inspire. {Horace} Pictoribus atque Poëtis Quidlibet audendi semper fuit aequa potestas. L’avantage que la Peinture a pardessus la Poësie, est, Que parmy cette grande diversité de Langues, elle se fait entendre de toutes les Nations de la Terre ; & qu’elle est necessaire à tous les autres Arts, à cause du besoin qu’ils ont de figures demonstratives, qui donnent bien souvent plus d’intelligence que tous les discours du monde.

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81. [Que vos Compositions soient conformes au, &c.] Il faut prendre garde que les licences des Peintres soient plûtost pour orner l’Histoire que pour la corrompre. Et si Horace permet aux Peintres & aux Poëtes de tout oser, ce n’est pas pour faire des choses hors de la vraye-semblance […] Traitez donc les Sujets de vos Tableaux avec toute la fidélité possible ; & vous servez hardiment de vos licences, pourveu qu'elles soient ingenieuses, & non pas immoderées & extravagantes. 

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330. [Le Blanc tout pur avance ou recule indifferement, il s’approche avec du Noir, & s’éloigne sans luy.] Tout le monde convient, que le Blanc peut subsister sur le devant du Tableau, & y estre employé tout pur ; la question est donc de sçavoir s’il peut également subsister & estre placé de la mesme sorte sur le derriere, la Lumiere estant universelle, & les Figures supposées dans une campagne. Nostre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] conclud affirmativement ; & la raison qui appuye ce Precepte est, Que n’y ayant rien qui participe davantage de la Lumiere que le Blanc, & la Lumiere pouvant fort bien subsister dans le lointin (comme nous le voyons tous les jours au lever & au coucher du Soleil,) il s’ensuit que le Blanc y peut subsister aussi : En Peinture la Lumiere & le Blanc ne sont quasi que la mesme chose. Ajoûtez à cela que nous n’avons point de Couleur plus approchante de l’Air que le Blanc, & par consequent point de Couleur plus legere […]. Le Titien, Tintoret, Paul Veronese, & tous ceux qui ont le mieux entendu les Lumieres, l’ont observé de la sorte, & personne ne peut aller à l’encontre de ce Precepte, à moins que de renoncer au païsage, qui nous confirme parfaitement cette verité ; & nous voyons que tous les Grands Païsagistes ont suivy en cela le Titien, qui s’est toûjours servy de Couleurs brunes & terrestres sur le devant, & qui a reservé ses plus grands Clairs pour les lointins & les derrieres de ses Païsages. […] 
On peut objecter à cette opinion, Que le Blanc ne peut se tenir dans le lointin ; puisque l’on s’en sert ordinairement pour faire approcher les Objets sur le devant. Il est vray que l’on s’en sert, & mesme fort à propos, pour rendre les Objets plus sensibles par l’opposition du Brun qui le doit accompagner, & qui le retient comme malgré luy ; soit que ce Brun luy serve de fond, ou qu’il luy soit attaché. […]
Mais, il semble (direz-vous) que le Bleu est la Couleur la plus fuyante ; puisque le Ciel & les Montagnes les plus éloignées sont de cette Couleur. Il est bien vray que le Bleu est une Couleur des plus legeres & des plus douces : mais il est vray aussi qu'elle a d'autant plus toutes ces qualitez, qu’il y a de Blanc meslé dedans, comme l'exemple des lointins nous le fait connoistre. […]
Que si la Lumiere de vostre Tableau n’est point universelle, & que vous supposiez vos Figures dans une Chambre, pour lors souvenez-vous du Theorème, qui dit, que
Plus un Corps est proche de la Lumière, & nous est directement opposé, plus il est éclairé ; parce que la Lumiere s’affoiblit en s’éloignant de sa source. Vous pourrez encore éteindre vostre Blanc, si vous supposez l'Air estre un peu plus épais, & si vous prevoyez que cette supposition fera un bon effet dans l’œconomie de tout l’Ouvrage : mais que cela n'aille pas jusqu'à faire vos Figures d'une demie teinte si brune, qu'il semble qu'elles soient dans un vilain brouillard, ou qu'elles paroissent attachées à leur fonds. […]

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330. [Le Blanc tout pur avance ou recule indifferement, il s’approche avec du Noir, & s’éloigne sans luy.] Tout le monde convient, que le Blanc peut subsister sur le devant du Tableau, & y estre employé tout pur ; la question est donc de sçavoir s’il peut également subsister & estre placé de la mesme sorte sur le derriere, la Lumiere estant universelle, & les Figures supposées dans une campagne. Nostre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] conclud affirmativement ; & la raison qui appuye ce Precepte est, Que n’y ayant rien qui participe davantage de la Lumiere que le Blanc, & la Lumiere pouvant fort bien subsister dans le lointin (comme nous le voyons tous les jours au lever & au coucher du Soleil,) il s’ensuit que le Blanc y peut subsister aussi : En Peinture la Lumiere & le Blanc ne sont quasi que la mesme chose. Ajoûtez à cela que nous n’avons point de Couleur plus approchante de l’Air que le Blanc, & par consequent point de Couleur plus legere […]. Le Titien, Tintoret, Paul Veronese, & tous ceux qui ont le mieux entendu les Lumieres, l’ont observé de la sorte, & personne ne peut aller à l’encontre de ce Precepte, à moins que de renoncer au païsage, qui nous confirme parfaitement cette verité ; & nous voyons que tous les Grands Païsagistes ont suivy en cela le Titien, qui s’est toûjours servy de Couleurs brunes & terrestres sur le devant, & qui a reservé ses plus grands Clairs pour les lointins & les derrieres de ses Païsages. […] 
On peut objecter à cette opinion, Que le Blanc ne peut se tenir dans le lointin ; puisque l’on s’en sert ordinairement pour faire approcher les Objets sur le devant. Il est vray que l’on s’en sert, & mesme fort à propos, pour rendre les Objets plus sensibles par l’opposition du Brun qui le doit accompagner, & qui le retient comme malgré luy ; soit que ce Brun luy serve de fond, ou qu’il luy soit attaché. […]
Mais, il semble (direz-vous) que le Bleu est la Couleur la plus fuyante ; puisque le Ciel & les Montagnes les plus éloignées sont de cette Couleur. Il est bien vray que le Bleu est une Couleur des plus legeres & des plus douces : mais il est vray aussi qu'elle a d'autant plus toutes ces qualitez, qu’il y a de Blanc meslé dedans, comme l'exemple des lointins nous le fait connoistre. […]
Que si la Lumiere de vostre Tableau n’est point universelle, & que vous supposiez vos Figures dans une Chambre, pour lors souvenez-vous du Theorème, qui dit, que
Plus un Corps est proche de la Lumière, & nous est directement opposé, plus il est éclairé ; parce que la Lumiere s’affoiblit en s’éloignant de sa source. Vous pourrez encore éteindre vostre Blanc, si vous supposez l'Air estre un peu plus épais, & si vous prevoyez que cette supposition fera un bon effet dans l’œconomie de tout l’Ouvrage : mais que cela n'aille pas jusqu'à faire vos Figures d'une demie teinte si brune, qu'il semble qu'elles soient dans un vilain brouillard, ou qu'elles paroissent attachées à leur fonds. […]

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256. [La Cromatique.] La troisième & derniere Partie de la Peinture s’appelle Cromatique, ou Coloris. Elle a pour objet la Couleur : c’est pourquoy les Lumieres & les Ombres y sont aussi comprises, qui ne sont autre chose que du Blanc & du Brun, & par consequent qui ont rang parmy les Couleurs. […] Disons donc, Que la Cromatique fait ses observations sur les Masses ou Corps des Couleurs, accompagnées de Lumieres & d’Ombres plus ou moins évidentes par degrez de diminution, selon les accidens, premierement du Corps lumineux, comme du Soleil ou d’un flambeau ; secondement du Corps diaphane, qui est entre nous & l’objet, comme l’Air pur ou épais, ou une vitre rouge, &c. 3. du Corps solide illuminé, comme une Statuë de marbre blanc, un arbre vert, un cheval noir, &c. 4. de la part de celuy qui regarde le Corps illuminé le voyant de loin ou de prés, directement en ange droit, ou de biais en angle obtus, de haut en bas, ou de bas en haut. Cette Partie dans la connoissance qu’elle a de la valeur des Couleurs, de l’amitié qu’elles ont ensemble, & de leur antipathie, comprend la Force, le Relief, la Fierté, & ce Precieux que l’on remarque dans les bons Tableaux. Le maniement des Couleurs & le travail dépendent encore de cette derniere Partie.

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74. [Où il faut disposer toute la Machine de votre Tableau.] Ce n’est pas sans raison ny par hazard que notre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] se sert du mot de Machine. Une Machine est un juste assemblage de plusieurs pieces pour produire un mesme effet. Et la disposition dans un Tableau n’est autre chose qu’un assemblage de plusieurs Parties, dont on doit prevoir l’accord & la justesse, pour produire un bel effet, comme vous verrez dans le 4. Precepte, qui est de l’Œconomie ; aussi l’appelle-t-on autrement Composition, qui veut dire la distribution & l’agencement des choses en general & en particulier.

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Un jeune homme ne sçauroit faire dans l'art de la Peinture tout le progrès dont il est capable, si sa main ne se perfectionne pas en même-temps que son imagination. Il ne suffit pas aux Peintres de concevoir des idées nobles, d'imaginer les compositions les plus élegantes, & de trouver les expressions les plus pathétiques, il faut encore que leur main ait été renduë docile à se fléchir avec précision en cent manieres differentes, pour se trouver capable de tirer avec justesse la ligne que l'imagination lui demande. Nous ne sçaurions faire rien de bien, dit Du Fresnoi, dans son Poëme de la Peinture, si notre main n'est pas capable de mettre sur la toile les beautez que notre esprit produit. [...] Le génie a, pour ainsi dire, les bras liez dans un Artisan, dont la main n'est pas dénoüée. Il en est de l'œil comme de la main. Il faut que l'œil d'un Peintre soit accoutumé de bonne heure à juger par une operation sûre & facile en même-temps, quel effet doit faire un certain mêlange, ou bien une certaine opposition de couleur, quel effet doit faire une figure d'une certaine hauteur dans un Grouppe ; & quel effet un certain Grouppe fera dans le tableau, après que le tableau sera colorié. Si l'imagination n'a pas à sa disposition une main & un œil capables de la seconder à son gré, il ne résulte des plus belles idées qu'enfante l'imagination, qu'un tableau grossier, & que dédaigne l'Artisan même qui l'a peint, tant il trouve l'œuvre de sa main au-dessous de l'œuvre de son esprit.
L'étude nécessaire pour perfectionner l'œil & la main, ne se fait point en donnant quelques heures distraites à un travail interrompu. Cette étude demande une attention entiere & une perséverance continuée durant plusieurs années. […] 
Le seul tems de la vie qui soit bien propre à faire acquerir leur perfection à l'œil et à la main, est le tems où nos organes, tant intérieurs qu'extérieurs, achevent.


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104. [Dont les Membres soient Grands.] Non pas en sorte qu’ils excedent la juste proportion : mais c’est à dire, que dans une belle Attitude les Membres du Corps les plus grands doivent plûtost paroistre que les petits : c’est pourquoy dans un autre endroit, il [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] défend autant que l’on pourra les Racourcis, parce qu’ils font paroistre les Membres petits, quoy que d’eux-mesmes ils soient grands.
104.
[Amples,] pour éviter la Maniere seiche & maigre, comme est ordinairement le Naturel, & comme l’ont imitée Lucas & Albert.

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233. [C'est où consiste la plus grande difficulté] pour deux raisons ; & parce qu'il en faut faire une grande étude, tant sur les belles Antiques & sur les beaux Tableaux, que sur la Nature ; & parce que cette Partie dépend presque entierement du Genie, & qu’elle semble estre purement un don du Ciel, que nous avons receu dés nostre naissance […] neantmoins il est à mon avis necessaire que les uns & les autres apprennent parfaitement le Caractère de chaque Passion.
Toutes les actions de l’Appetit sensitif sont appellées Passions, dautant qu’elles agitent l’Ame, & que le Corps y patit & s’y altere sensiblement : Ce sont ces diverses agitations & ces differens mouvemens de tout le Corps en general, & de chacune de ses Parties en particulier, que nostre Excellent Peintre doit connoistre, dont il doit faire son estude, & se former une parfaite Idée. Mais il sera fort à propos de sçavoir d’abord que les Philosophes en admettent onze ; l’Amour, la Haine, le Desir, la Fuïte, la Joye, la Tristesse, l’Esperance, le Desespoir, la Hardiesse, la Crainte, & la Colere. Les Peintres les multiplient non seulement par leurs differens degrez, mais encore par leurs differentes especes : car ils feront par exemple six personnes dans le mesme degré de Crainte, qui exprimeront cette Passion tous differemment ; & c’est cette diversité d’especes qui fait faire la distinction des Peintres qui sont veritablement habiles, d’avec ceux qu’on appelle Manieristes, & qui repetent jusqu’à cinq ou six fois dans un mesme Tableau les mesmes Airs de teste. […] 

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219. [Il sera tres-expedient de faire un Modele des choses, dont le Naturel est difficile à tenir, & dont nous ne pouvons pas disposer comme il nous plaist ] Comme des Grouppes de plusieurs Figures, des Attitudes difficiles à tenir long-temps, des Figures en l'air, en Plat-fond, ou élevées beaucoup au dessus de la veuë, & des Animaux mesmes dont on ne dispose pas aisément. Par ce Precepte l'on voit assez la necessité qu'a un Peintre de sçavoir Modeler, & d'avoir plusieurs Modeles de cire maniables. Paul Veronese en avoit un si bon nombre, avec une si grande quantité d'Etoffes différentes, qu'il en mettoit toute une Histoire ensemble sur un Plan dégradé pour grande & pour diversifiée qu'elle fust. Tintoret en usoit ainsi, & Michelange, au rapport de Jean Baptiste Armenini, s'en est servy pour toutes les Figures de son Jugement. Ce n'est pas que je conseille à personne, quand on voudra faire quelque chose de bien considerable, de finir d'apres ces sortes de Modeles : mais ils serviront beaucoup, & seront d'un grand avantage pour voir les Masses des grandes Lumières & des grandes Ombres, & l'effet du Tout-ensemble. Du reste vous devez avoir un Manequin à peu prés grand comme Nature pour chaque Figure en particulier, sans manquer pour cela de voir le Naturel, & de l'appeller comme un témoin qui doit confirmer la chose à vous premièrement, puis aux Spectateurs, comme elle est dans la vérité. Vous pourrez vous servir de ces Modeles avec plaisir, si vous les mettez sur un Plan degradé à proportion des Figures, qui sera comme une table faite exprés, que vous pourrez hausser & rabaisser selon vostre commodité, & si vous regardez vos Figures par un trou ambulatoire, qui servira de Point de veuë & de Point de distance, quand vous l'aurez une fois arresté. Ce mesme trou vous servira encore pour voir vos Figures en Plat-fond, & disposées sur une grille de fil de fer, ou soûtenües en l'air par des petits filets élevez à discretion, ou de l'une & l'autre maniere tout ensemble. Vous joindrez à vos Figures tout ce qu'il vous plaira, pourveu que le tout leur soit proportionné, & qu'enfin vous vous imaginiez vous-mesme n'estre que de leur grandeur : Ainsi l'on verra dans tout ce que vous ferez plus de vérité, vostre Ouvrage vous donnera un plaisir incroyable, & vous éviterez quantité de doutes & de difficultez qui arrestent bien souvent, & principalement pour ce qui est de la Perspective lineale que vous y trouverez indubitablement : pourveu que vous vous souveniez de tout proportionner à la grandeur de vos Figures, & specialement les Points de veuë & de distance : mais pour ce qui est de la Perspective aërée, ne s'y trouvant pas, le Jugement y doit suppléer. {*Ridolfi dans sa Vie.} *Le Tintoret avoit fait des Chambres d'ais & de cartons proportionnées à ses Modeles, avec des portes & des fenestres, par où il distribuoit sur ses Figures des Lumieres artificielles autant qu'il jugeoit à propos ; & il passoit assez souvent une partie de la nuit à considerer & à remarquer l'effet de ses Compositions : Ses Modeles estoient de deux pieds de haut.

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152. [De mesme que la Comédie, &c.] Annibal Carache ne croyoit pas qu'un Tableau pust estre bien, dans lequel on faisoit entrer plus de douze Figures : c'est l'Albane qui l'a dit à nostre Autheur, de qui je l'ay appris ; & la raison qu'il en apportoit, estoit premierement qu'il ne croyoit pas qu'on deust faire plus de trois grands Grouppes de Figures dans un Tableau ; & secondement que le Silence & la Majesté y estoient necessaires pour le rendre beau : ce qui ne se peut ny l'un ny l'autre dans une multitude & dans une foule de Figures. Que si neantmoins vous y estes contraint par le Sujet, comme seroit un Jugement universel, un Massacre des Innocens, une Bataille, &c. pour lors il faudroit disposer les choses par grandes Masses de Clair-Obscur & d'union de Couleurs, sans s'amuser à finir chaque chose en particulier indépendamment l'une de l'autre, comme font ceux qui ont un petit Genie, & dont l'esprit n'est pas capable d'embrasser un grand Dessein, ny une grande Composition.

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332. [Mais pour le Noir tout pur, il n’y a rien qui s’approche davantage.] […] C'est la couleur la plus pesante, la plus terrestre, la plus sensible […] le Noir fait toûjours bon effet sur le devant, quand il est mis fort à propos & avec prudence. Il faut donc tellement disposer les Corps que l'on veut tenir sur le devant du Tableau, que l'on n'y voye point ces sortes de trous, & que les Noirs y soient par Masses & confondus insensiblement. [...]
Ce qui donne le relief à la boule (me dira quelqu’un) est l’éclat ou le Blanc, qui est ce semble sur la partie la plus proche de nous ; & par consequent le Noir est fuyant.
[…] Le Brun que l’on mesle dans les tournans de la boule, les fait fuïr, en les confondant plûtost (pour ainsi dire) qu’en les noircissant. Et ne voyez-vous pas que les Reflets sont un artifice du Peintre, pour rendre les tournans plus legers, & que par ce moyen le plus grand Noir demeure vers le milieu de la boule, pour soûtenir le Blanc, & faire qu’elle nous trompe plus agreablement.
Ce Precept du Blanc & du Noir est de si grande consequence, qu’à moins d’estre exactement pratiqué, il est impossible qu’un Tableau fasse un grand effet : que les Masses en soient débroüillées, & que les Distances d’enfoncement s’y fassent remarquer du premier coup d’œil & sans peine. […]
L’effet d’un Tableau ne vient donc pas seulement du Clair-Obscur, mais encore de la nature des Couleurs. J’ay crû qu’il n’estoit pas hors de propos de dire icy les qualitez de celles dont on se sert ordinairement, & que l’on appelle Couleurs capitales ; parce qu’elles servent à faire la composition de toutes les autres, dont le nombre est infiny.
L’Occre de Rut est une Couleur des plus pesantes.
L’Occre-jaune ne l’est pas tant, parce qu’il est plus clair.
Et le Massicot est fort leger, parce que c’est un Jaune tres-clair & qui approche fort du Blanc.
L’Outremer, ou l’Azur, est une Couleur fort legere & fort douce.
Le Vermillon est entierement opposé à l’Outremer.
La Laque est un milieu entre l’Outremer & le Vermillon, encore est-elle plus douce que rude.
Le Brun-rouge est des plus terrestres & des plus sensibles.
Le Stil de grain est une Couleur indifferente, & qui par le mélange est fort susceptible des qualitez des autres Couleurs : Si vous y meslez du Brun-rouge, vous ferez une Couleur des plus terrestres ; mais si au contraire, vous le joignez avec le Blanc ou le Bleu, vous en aurez une Couleur des plus fuyantes.
La Terre verte est legere ; elle est un milieu entre l’Occre-jaune & l’Outremer.
La Terre d’ombre est extremement sensible & terrestre ; il n’y a que le noir extréme qui luy puisse disputer.
De tous les Noirs celuy-là est le plus terrestre qui s’éloigne le plus du Bleu.
Selon le Principe que nous avons estably du Blanc & du Noir, vous rendrez chacune de ces Couleurs que je viens de nommer, d’autant plus terrestre & plus pesante, que vous y joindrez du Noir, & d’autant plus legere que vous y meslerez de Blanc. […]

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388. [Le Miroir vous apprendra, &c.] Le Peintre doit avoir principalement égard aux Masses & à l’effet du Tout-ensemble. Le Miroir éloigne les objets, & par consequent il n’en fait voir que les Masses, dans lesquelles toutes les petites parties sont confonduës. […] 
Puisque le Miroir est la Regle & le maistre des Peintres, en leur faisant voir leurs défauts par l’éloignement & la distance où il chasse les Objets, concluez que le Tableau qui ne fait pas un bon effet de loin, ne peut pas estre bien, & qu’il ne faut jamais finir son Tableau, qu’auparavant on n’ait examiné d’une distance assez considerable, ou avec un Miroir, si les Masses du Clair-Obscur & les corps des Couleurs sont bien distribuez. Le Georgion & le Correge se servoient de cette methode.

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361. [Que jamais deux extremitez contraires, &c.] Le Sens de la veuë a cela de commun avec tous les autres, qu’il abhorre les extremitez contraires. Et de mesme que les mains qui ont grand froid, souffrent beaucoup lors qu’on les approche tout d’un coup du feu ; ainsi les yeux qui trouvent un extreme Blanc auprés d’un extreme Noir, ou un bel Azur auprés d’un Vermillon ardent, ne sçauroient regarder ces extremitez qu’avec peine, quoy qu’ils y soient toûjours attirez par l’éclat des deux contraires.
Ce Precepte oblige de sçavoir les Couleurs qui ont amitié ensemble, & celles qui sont incompatibles ; ce que l’on pourra aisément découvrir en mélant ensemble les Couleurs dont on veut faire épreuve : & si par ce mélange elles font une Couleur douce & qui ne soit point desagreable aux yeux, c’est une marque qu’il y a de l’union & de la sympathie entr’elles ; si au contraire la Couleur qui sera produite du mélange des deux autres, est rude à la veuë, il faut conclure qu’il y a de la contrarieté & de l’antipathie entre ces deux Couleurs. Le Vert par exemple est une Couleur agreable, qui peut venir du Bleu & du Jaune mélez ensemble, & par consequent le Bleu & le Jaune sont deux Couleurs qui sympathisent. Et tout au contraire le mélange du Bleu & du Vermillon ont une antipathie ensemble ; & ainsi des autres couleurs, dont vous pouvez faire essay, & vous éclaircir une fois pour toutes. […] L’on peut neantmoins passer par dessus ce Precepte, quand on n’a qu’une ou deux Figures à traiter, & que parmy un grand nombre on en veut faire remarquer quelqu’une, qui est des principales du Sujet, & qui autrement ne pourroit se faire remarquer par dessus les autres. Titien dans le Tableau qu’il a fait du Triomphe de Bacchus, ayant placé Ariadne sur l’un des costez du Tableau, & ne pouvant pour cette raison la faire remarquer par les éclats de la lumiere qu’il a voulu conserver dans le milieu, il luy a donné une écharpe de Vermillon sur une Draperie bleuë, tant pour la détacher de son fonds qui est déjà une mer bleuë, qu’à cause que c’est une des principales Figures du Sujet, sur laquelle il veut que l’œil soit attiré. Paul Veronese dans sa Noce de Cana, parce que le Christ, qui est la Principale Figure du Sujet, est un peu enfoncé dans le Tableau, & qu’il n’a pû le faire remarquer par le brillant du Clair-Obscur, il l’a vestu de Bleu & de Vermillon, pour faire que la veuë se portast sur cette Figure.
Les Couleurs ennemies se pourront d’autant plus allier, que vous y meslerez d’autres Couleurs qui auront de la sympathie l’une avec l’autre, & qui s’accorderont avec celles que vous voudrez, pour ainsi dire, reconcilier.

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114. [Accord des Parties avec leur Tout.] & estre bien ensemble, c’est la mesme chose. Il [ndr : C.-A. Du Fresnoy] entend icy parler de la justesse des Proportions & de l'harmonie qu'elles font les unes avec les autres. Plusieurs Auteurs celebres en ont traité à fonds, entr’autres Paul Lomasse, dont le premier Livre ne parle d’aucune autre chose, mais il y a tant de subdivisions, qu’il faut avoir bonne teste pour ne s’en pas rebuter. Voicy celles que nostre Auteur a remarquées en general sur les plus belles Antiques : je les croy d’autant meilleures, qu’elles sont conformes à celles que donne Vitruve dans son 3. liv. chap. I. & qu’il dit les avoir apprises des Ouvriers mesmes, puisque dans la Preface de son 7. liv. il fait gloire d’avoir appris des autres, & notamment des Peintres & des Architectes.
Mesures du Corps Humain.
Les Anciens ont pour l’ordinaire donné huit testes à leurs Figures, quoy que quelques-unes n’en ayent que sept. Mais l’on divise la Figure ordinairement en † dix faces, sçavoir depuis le sommet de la Teste jusqu’à la plante des Pieds, en la maniere qui s’ensuit. {† Cela dépend de l’âge & de la qualité des personnes : L’Apollon & la Venus de Medicis ont plus de dix faces.} […] 

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286. [De la mesme façon que le Miroir convexe vous le montre.] Le Miroir convexe altere les Objets qui sont au milieu, de sorte qu’il semble les faire sortir hors de sa superficie. Le Peintre en usera de cette maniere à l’égard du Clair-Obscur de ses Figures, pour leur donner plus de relief & plus de force.

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290. [Et que celles qui tournent, sont de Couleurs rompuës, comme estant moins distinguées & plus proches des bords.] Il faut que le Peintre imite encore le Miroir convexe en cecy, & qu'aux bords de son Tableau il n'y mette rien de petillant, ny en Couleur, ny en Lumiere. Il y a deux raisons pour cela : la premiere est, que d'abord l'œil se porte ordinairement au milieu de l'Objet qui se presente à luy, & que par consequent il faut qu'il y trouve le Principal Objet, pour estre satisfait : Et l'autre raison est, que les bords estant chargez d'ouvrage fort & petillant, ils attirent les yeux qui sont comme en inquietude de ne voir pas une continuité de cet Ouvrage, qui est tout d'un coup interrompu par les bords du Tableau : au lieu que ces bords estant legers d'ouvrage, l'œil demeure au centre du Tableau, & l'embrasse plus agreablement : C'est pour cette mesme raison que dans une grande Composition de Figures, celles qui estant sur le devant seront coupées par la base du Tableau, feront toûjours un mauvais effet.

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388. [Le Miroir vous apprendra, &c.] Le Peintre doit avoir principalement égard aux Masses & à l’effet du Tout-ensemble. Le Miroir éloigne les objets, & par consequent il n’en fait voir que les Masses, dans lesquelles toutes les petites parties sont confonduës. […] 
Puisque le Miroir est la Regle & le maistre des Peintres, en leur faisant voir leurs défauts par l’éloignement & la distance où il chasse les Objets, concluez que le Tableau qui ne fait pas un bon effet de loin, ne peut pas estre bien, & qu’il ne faut jamais finir son Tableau, qu’auparavant on n’ait examiné d’une distance assez considerable, ou avec un Miroir, si les Masses du Clair-Obscur & les corps des Couleurs sont bien distribuez. Le Georgion & le Correge se servoient de cette methode.

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37. [La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art.] Voicy où échoüent presque tous les Peintres Flamans ; & la pluspart sçavent imiter la Nature pour le moins aussi bien que les Peintres des autres Nations ; mais ils en font un mauvais choix, soit parce qu’ils n’ont pas veu l’Antique, ou que le beau Naturel ne se trouve pas ordinairement dans leur païs. Et dans la vérité ce beau estant fort rare […], il est difficile d'en faire le choix, & de s'en former des idées qui puissent servir de modele.

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219. [Il sera tres-expedient de faire un Modele des choses, dont le Naturel est difficile à tenir, & dont nous ne pouvons pas disposer comme il nous plaist ] Comme des Grouppes de plusieurs Figures, des Attitudes difficiles à tenir long-temps, des Figures en l'air, en Plat-fond, ou élevées beaucoup au dessus de la veuë, & des Animaux mesmes dont on ne dispose pas aisément. Par ce Precepte l'on voit assez la necessité qu'a un Peintre de sçavoir Modeler, & d'avoir plusieurs Modeles de cire maniables. Paul Veronese en avoit un si bon nombre, avec une si grande quantité d'Etoffes différentes, qu'il en mettoit toute une Histoire ensemble sur un Plan dégradé pour grande & pour diversifiée qu'elle fust. Tintoret en usoit ainsi, & Michelange, au rapport de Jean Baptiste Armenini, s'en est servy pour toutes les Figures de son Jugement. Ce n'est pas que je conseille à personne, quand on voudra faire quelque chose de bien considerable, de finir d'apres ces sortes de Modeles : mais ils serviront beaucoup, & seront d'un grand avantage pour voir les Masses des grandes Lumières & des grandes Ombres, & l'effet du Tout-ensemble. Du reste vous devez avoir un Manequin à peu prés grand comme Nature pour chaque Figure en particulier, sans manquer pour cela de voir le Naturel, & de l'appeller comme un témoin qui doit confirmer la chose à vous premièrement, puis aux Spectateurs, comme elle est dans la vérité. Vous pourrez vous servir de ces Modeles avec plaisir, si vous les mettez sur un Plan degradé à proportion des Figures, qui sera comme une table faite exprés, que vous pourrez hausser & rabaisser selon vostre commodité, & si vous regardez vos Figures par un trou ambulatoire, qui servira de Point de veuë & de Point de distance, quand vous l'aurez une fois arresté. Ce mesme trou vous servira encore pour voir vos Figures en Plat-fond, & disposées sur une grille de fil de fer, ou soûtenües en l'air par des petits filets élevez à discretion, ou de l'une & l'autre maniere tout ensemble. Vous joindrez à vos Figures tout ce qu'il vous plaira, pourveu que le tout leur soit proportionné, & qu'enfin vous vous imaginiez vous-mesme n'estre que de leur grandeur : Ainsi l'on verra dans tout ce que vous ferez plus de vérité, vostre Ouvrage vous donnera un plaisir incroyable, & vous éviterez quantité de doutes & de difficultez qui arrestent bien souvent, & principalement pour ce qui est de la Perspective lineale que vous y trouverez indubitablement : pourveu que vous vous souveniez de tout proportionner à la grandeur de vos Figures, & specialement les Points de veuë & de distance : mais pour ce qui est de la Perspective aërée, ne s'y trouvant pas, le Jugement y doit suppléer. {*Ridolfi dans sa Vie.} *Le Tintoret avoit fait des Chambres d'ais & de cartons proportionnées à ses Modeles, avec des portes & des fenestres, par où il distribuoit sur ses Figures des Lumieres artificielles autant qu'il jugeoit à propos ; & il passoit assez souvent une partie de la nuit à considerer & à remarquer l'effet de ses Compositions : Ses Modeles estoient de deux pieds de haut.

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105. [Inégaux dans leur Position, en sorte que ceux de devant contrastent les autres qui vont en arriere, & soient tous également balancez sur leur centre.] Les mouvemens ne sont jamais naturels, si les Membres ne sont également balancez sur leur centre ; & ces Membres ne peuvent estre balancez sur leur centre dans une égalité de poids, qu'ils ne se contrastent les uns les autres. Un homme qui danse sur la corde, fait voir fort clairement cette verité. Le Corps est un poids balancé sur ses pieds, comme sur deux pivots ; & s’il n’y en a qu’un qui porte, comme il arrive le plus souvent, vous voyez que tout le poids est retiré dessus centralement, en sorte que si par exemple le bras avance, il faut de nécessité, ou que l’autre bras, ou que la jambe aille en arriere, ou que le Corps soit tant soit peu courbé du costé contraire, pour estre dans son Equilibre & dans une situation hors de contrainte. Il se peut faire, mais rarement, si ce n’est dans les Vieillards, que les deux pieds portent également ; & pour lors il n’y a qu’à distribuer la moitié du poids sur chaque pied. Vous userez de la mesme prudence, si l’un des pieds portoit les trois quarts du fardeau, & que l’autre portast le reste. Voila en general ce que l’on peut dire de la Balance & de la Ponderation du Corps : du reste, il y a quantité de choses tres-belles & tres-remarquables à dire ; & vous pourrez vous en satisfaire dans Leonard de Vincy ; il a fait merveille là-dessus, & l'on peut dire que la Ponderation est la plus belle & la plus saine partie de son Livre sur la Peinture. Elle commence au CLXXXI. Chapitre, & finit au CCLXXIII. Je vous conseille de voir encore Paul Lomasse dans son 6. l. chap. IIII. Del moto del Corpo humano, vous y trouverez des choses tres-utiles. Pour ce qui est du Contraste, je vous diray en general, que rien ne donne davantage la grace & la vie aux Figures.

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107. [Les Parties doivent avoir leurs Contours en Ondes, & ressembler en cela à la flâme ou au serpent.] La raison de cela vient de l'action des muscles, […]. Les Contours qui sont en ondes donnent non seulement de la grace aux Parties, mais aussi à tout le Corps, lors qu'il n'est soûtenu que sur une jambe, comme nous le voyons dans les Figures d'Antinoüs, de Meleagre, de la Venus de Medicis, de celle du Vatican, & de deux autres de Borgheze, de la Flore, de la Déesse Vesta, des deux Bacchus de Borgheze, & de celuy de Lodovise, & enfin de la plus grande partie des Figures Antiques qui sont debout, & qui posent davantage sur un pied que sur l'autre. Outre que les Figures & leurs Membres doivent presque toûjours avoir naturellement une forme flamboyante & serpentive, ces sortes de Contours ont un je ne sçay quoy de vif & de remuant, qui tient beaucoup de l'activité du feu & du serpent.

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177. [Ne soyez pas si fort attaché à la Nature, &c.] Ce Precepte est contre deux sortes de Peintres. Premierement contre ceux qui sont tellement attachez à la Nature, qu’ils ne peuvent rien sans elle, qui la copient comme ils la croyent voir, sans y rien adjoûter ny en retrancher la moindre chose, soit pour le Nud, ou pour les Draperies ; Et secondement il est contre ceux qui peignent toutes choses de Pratique, sans pouvoir s’assujettir à rien retoucher ny examiner sur le Naturel. Ces derniers sont proprement des Libertins de Peinture, comme il y en a de Religion, lesquels n’ont pas d’autre Loy que l’impetuosité de leurs inclinations, qu’ils ne veulent pas vaincre, de mesme que les Libertins de Peinture n’ont point d’autre Modele, que la boutade d’un Genie mal reglé, qui les emporte. Quoy que ces deux sortes de Peintres soient & l’un & l’autre dans des extremitez vitieuses, toutefois les premiers me semblent moins insupportables ; parce que s’ils n’imitent pas la Nature accompagnée de toutes ses beautez & de toutes ses graces, au moins imitent-ils une Nature qui nous est connuë, & que nous voyons tous les jours : au lieu que les autres nous en font voir une toute sauvage, que nous ne connoissons point, & qui semble estre d’une creation toute nouvelle.

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39. [Dont le choix s’en doit faire selon le goust & la maniere des Anciens.] C’est à dire, selon les Statües, les Bas-reliefs, & selon les autres Ouvrages Antiques, tant des Grecs que des Romains. On appelle Antique ce qui a esté fait depuis Alexandre le Grand jusqu’à l’Empereur Phocas, sous l’Empire duquel les Arts furent ruïnez par la guerre. Ces Ouvrages Antiques ont toûjours esté depuis leur naissance, la Regle de la Beauté. Et en effet, leurs Auteurs ont pris un tel soin de les mettre dans la perfection où nous les voyons, qu’ils se servoient, non pas d’un seul Naturel, mais de plusieurs dont ils prenoient les parties les plus regulieres pour en faire un beau Tout […]

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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

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435. [Aussi bien que les choses paroissent estre faites avec Facilité.] Cette facilité attire d’autant plus nos yeux & nos esprits, qu’il est à presumer qu’un beau travail qui nous paroist facile, vient d’une main sçavante & consommée. […] Mais il est impossible d’avoir cette Facilité, sans posseder parfaitement toutes les Regles de l’Art, & s’en estre fait un habitude : car la Facilité consiste à ne faire precisément que l’Ouvrage qu’il faut, & à mettre chaque chose dans sa place avec promptitude : ce qui ne se peut sans les Regles, qui sont des moyens assurez pour vous conduire, & pour terminer vos Ouvrages avec plaisir. Il est donc certain, contre l’opinion de plusieurs, que les Regles donnent de la Facilité, de la Tranquillité & de la promptitude dans les esprits les plus tardifs, & que ces mesmes Regles augmentent & dirigent cette Facilité dans ceux qui l’ont déja receuë d’une heureuse naissance.
D’où il s’ensuit que l’on peut considerer la Facilité de deux façons, ou simplement, comme une diligence & une promptitude d’esprit & de main, ou comme une disposition dans l’esprit de lever promptement toutes les difficultez qui se peuvent former dans l’Ouvrage. La premiere vient d’un temperament actif & plein de feu, & l’autre d’une veritable Science & d’une possession des Regles infaillibles ; celle-là est agreable, mais elle n’est pas toûjours sans inquietude, parce qu’elle fait égarer souvent ; & celle-cy au contraire fait agir avec un repos d’esprit & une tranquillité merveilleuse : car elle nous asseure de la bonté de nostre Ouvrage : c’est beaucoup que d’avoir la premiere ; mais c’est le comble de la perfection de les avoir l’une & l’autre, telle que les ont possedées Rubens & Vandeik, excepté la Partie du Dessein, qu’ils ont trop negligée. […]
Remarquez, s’il vous plaît, que la Facilité & la Diligence, dont je viens de parler, ne consistent pas à faire ce qu’on appelle des traits hardis, & à donner des coups de pinceau libres, s’ils ne font un grand effet d’une distance éloignée : Cette sorte de liberté est plûtost d’un Maistre à écrire que d’un Peintre. Je dis bien davantage, il est presque impossible que les choses peintes paroissent vrayes & naturelles, quand on y remarque ces sortes de traits hardis : & tous ceux qui ont le plus approché de la Nature, ne se sont pas servis de cette Manière de peindre. Tous ces cheveux filez & ces coups de pinceau qui forment des hachures, sont à la verité admirables : mais ils ne trompent pas la veuë.

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332. [Mais pour le Noir tout pur, il n’y a rien qui s’approche davantage.] […] C'est la couleur la plus pesante, la plus terrestre, la plus sensible […] le Noir fait toûjours bon effet sur le devant, quand il est mis fort à propos & avec prudence. Il faut donc tellement disposer les Corps que l'on veut tenir sur le devant du Tableau, que l'on n'y voye point ces sortes de trous, & que les Noirs y soient par Masses & confondus insensiblement. [...]
Ce qui donne le relief à la boule (me dira quelqu’un) est l’éclat ou le Blanc, qui est ce semble sur la partie la plus proche de nous ; & par consequent le Noir est fuyant.
[…] Le Brun que l’on mesle dans les tournans de la boule, les fait fuïr, en les confondant plûtost (pour ainsi dire) qu’en les noircissant. Et ne voyez-vous pas que les Reflets sont un artifice du Peintre, pour rendre les tournans plus legers, & que par ce moyen le plus grand Noir demeure vers le milieu de la boule, pour soûtenir le Blanc, & faire qu’elle nous trompe plus agreablement.
Ce Precept du Blanc & du Noir est de si grande consequence, qu’à moins d’estre exactement pratiqué, il est impossible qu’un Tableau fasse un grand effet : que les Masses en soient débroüillées, & que les Distances d’enfoncement s’y fassent remarquer du premier coup d’œil & sans peine. […]
L’effet d’un Tableau ne vient donc pas seulement du Clair-Obscur, mais encore de la nature des Couleurs. J’ay crû qu’il n’estoit pas hors de propos de dire icy les qualitez de celles dont on se sert ordinairement, & que l’on appelle Couleurs capitales ; parce qu’elles servent à faire la composition de toutes les autres, dont le nombre est infiny.
L’Occre de Rut est une Couleur des plus pesantes.
L’Occre-jaune ne l’est pas tant, parce qu’il est plus clair.
Et le Massicot est fort leger, parce que c’est un Jaune tres-clair & qui approche fort du Blanc.
L’Outremer, ou l’Azur, est une Couleur fort legere & fort douce.
Le Vermillon est entierement opposé à l’Outremer.
La Laque est un milieu entre l’Outremer & le Vermillon, encore est-elle plus douce que rude.
Le Brun-rouge est des plus terrestres & des plus sensibles.
Le Stil de grain est une Couleur indifferente, & qui par le mélange est fort susceptible des qualitez des autres Couleurs : Si vous y meslez du Brun-rouge, vous ferez une Couleur des plus terrestres ; mais si au contraire, vous le joignez avec le Blanc ou le Bleu, vous en aurez une Couleur des plus fuyantes.
La Terre verte est legere ; elle est un milieu entre l’Occre-jaune & l’Outremer.
La Terre d’ombre est extremement sensible & terrestre ; il n’y a que le noir extréme qui luy puisse disputer.
De tous les Noirs celuy-là est le plus terrestre qui s’éloigne le plus du Bleu.
Selon le Principe que nous avons estably du Blanc & du Noir, vous rendrez chacune de ces Couleurs que je viens de nommer, d’autant plus terrestre & plus pesante, que vous y joindrez du Noir, & d’autant plus legere que vous y meslerez de Blanc. […]

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290. [Et que celles qui tournent, sont de Couleurs rompuës, comme estant moins distinguées & plus proches des bords.] Il faut que le Peintre imite encore le Miroir convexe en cecy, & qu'aux bords de son Tableau il n'y mette rien de petillant, ny en Couleur, ny en Lumiere. Il y a deux raisons pour cela : la premiere est, que d'abord l'œil se porte ordinairement au milieu de l'Objet qui se presente à luy, & que par consequent il faut qu'il y trouve le Principal Objet, pour estre satisfait : Et l'autre raison est, que les bords estant chargez d'ouvrage fort & petillant, ils attirent les yeux qui sont comme en inquietude de ne voir pas une continuité de cet Ouvrage, qui est tout d'un coup interrompu par les bords du Tableau : au lieu que ces bords estant legers d'ouvrage, l'œil demeure au centre du Tableau, & l'embrasse plus agreablement : C'est pour cette mesme raison que dans une grande Composition de Figures, celles qui estant sur le devant seront coupées par la base du Tableau, feront toûjours un mauvais effet.

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361. [Que jamais deux extremitez contraires, &c.] Le Sens de la veuë a cela de commun avec tous les autres, qu’il abhorre les extremitez contraires. Et de mesme que les mains qui ont grand froid, souffrent beaucoup lors qu’on les approche tout d’un coup du feu ; ainsi les yeux qui trouvent un extreme Blanc auprés d’un extreme Noir, ou un bel Azur auprés d’un Vermillon ardent, ne sçauroient regarder ces extremitez qu’avec peine, quoy qu’ils y soient toûjours attirez par l’éclat des deux contraires.

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Un jeune homme ne sçauroit faire dans l'art de la Peinture tout le progrès dont il est capable, si sa main ne se perfectionne pas en même-temps que son imagination. Il ne suffit pas aux Peintres de concevoir des idées nobles, d'imaginer les compositions les plus élegantes, & de trouver les expressions les plus pathétiques, il faut encore que leur main ait été renduë docile à se fléchir avec précision en cent manieres differentes, pour se trouver capable de tirer avec justesse la ligne que l'imagination lui demande. Nous ne sçaurions faire rien de bien, dit Du Fresnoi, dans son Poëme de la Peinture, si notre main n'est pas capable de mettre sur la toile les beautez que notre esprit produit. [...] Le génie a, pour ainsi dire, les bras liez dans un Artisan, dont la main n'est pas dénoüée. Il en est de l'œil comme de la main. Il faut que l'œil d'un Peintre soit accoutumé de bonne heure à juger par une operation sûre & facile en même-temps, quel effet doit faire un certain mêlange, ou bien une certaine opposition de couleur, quel effet doit faire une figure d'une certaine hauteur dans un Grouppe ; & quel effet un certain Grouppe fera dans le tableau, après que le tableau sera colorié. Si l'imagination n'a pas à sa disposition une main & un œil capables de la seconder à son gré, il ne résulte des plus belles idées qu'enfante l'imagination, qu'un tableau grossier, & que dédaigne l'Artisan même qui l'a peint, tant il trouve l'œuvre de sa main au-dessous de l'œuvre de son esprit.
L'étude nécessaire pour perfectionner l'œil & la main, ne se fait point en donnant quelques heures distraites à un travail interrompu. Cette étude demande une attention entiere & une perséverance continuée durant plusieurs années. […] 
Le seul tems de la vie qui soit bien propre à faire acquerir leur perfection à l'œil et à la main, est le tems où nos organes, tant intérieurs qu'extérieurs, achevent.


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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

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385. [Qu’il y ait une telle harmonie dans vostre Tableau, que toutes les Ombres n'en paroißent qu'une.] Il [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] a dit ailleurs, qu'après de grands Clairs, il faut de grandes Ombres, qu'il appelle des Repos. Ce qu'il entend par ce Precepte-cy, est, que tout ce qui se trouve dans ces grandes Ombres, participe de la Couleur l'un de l'autre, en sorte que toutes les differentes Couleurs qui sont bien distinguées dans le Clair, semblent n'estre qu'une dans l'Obscur par leur grande union.

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75. [Qui est justement ce que nous appellons Invention.] Nostre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] établit trois Parties de la Peinture, l’Invention, le Dessein, & la Couleur, qu’il appelle autrement Cromatique. Plusieurs Auteurs qui ont écrit de la Peinture, en multiplient les Parties comme il leur plaist ; mais sans m’amuser à vous en faire icy la discution, je vous diray qu’il n’y en a point qui ne se rapporte aux trois que je viens de nommer : c’est pourquoy j’en estime la division plus juste. Et comme ces trois Parties sont essentielles à la Peinture, nul ne se peut dire veritablement Peintre, s’il ne les possede toutes à la fois ; de mesme qu’on ne peut donner le nom d’Homme à ce qui n’est pas composé d’un Corps, d’une Ame, & de la Raison, qui sont trois parties qui le forment necessairement.

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263. [Sa Sœur ] C’est à dire, le Dessein, qui est la seconde Partie de la Peinture, laquelle ne consistant qu’en lignes, a tout-à-fait besoin de la Cromatique pour paroistre ; c’est pourquoy nostre Auteur appelle cette derniere Partie, Lena Sororis, que j’ay traduit en termes plus honnestes de la sorte : On l’accusoit de produire sa Sœur, & de nous engager adroitement à l’aimer.

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PASSAGE. Les dégrés par lesquels on passe d’une teinte, d’une couleur à l’autre, s’appellent passages en terme de Peinture. 
Les
passages douvent être imperceptibles, & ménagés avec tant d’adresse, que les couleurs se perdent insensiblement l’une dans l’autre, & qu’il y ait entr’elles une espéce de milieu, qui participe également des deux couleurs. 

Transitus umbrarum ad lucem, vel lucis ad umbras. 
Dissimilandus erit, quiddam connectat utrumque
Participans ab utroque : diem noctem que tabellæ
Commissuræ habiles, & amæna crepuscula jungant. 
Pictura Carmen. 

Mr du Fresnoy a dit la même chose en des vers fort durs.

Non prœcipiti labentur in umbram
Clara gradu : nec adumbrata in clara alta repentè
Prorumpant : sed erit sensim hinc atque inde meatus
Lucis & umbrarum ...................

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52. [Les beautez fuyantes & passageres] ne sont autres, que celles que nous remarquons dans la Nature pour tres-peu de temps, & qui ne sont pas fort attachées à leurs sujets ; telles sont les Passions de l'Ame. Il y a de ces sortes de beautez qui ne durent qu'un moment, comme les mines differentes que fera une assemblée à la veuë d'un spectacle impreveu & non commun ; quelque particularité d'une Passion violente, quelque action faite avec grace, un souris, une œillade, un mépris, une gravité, & mille autres choses semblables. On peut encore mettre au nombre des beautez passageres, les beaux nuages, tels qu'ils sont ordinairement apres la pluye ou apres le tonnere. 

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…] Il y a une chose de tres-grande consequence à observer dans l’Œconomie de tout l'Ouvrage, c'est que d'abord l'on reconnoisse la qualité du Sujet, & que le Tableau du premier coup d'œil en inspire la Passion principale : par exemple, si le Sujet que vous avez entrepris de traitter, est de joye, il faut que tout ce qui entrera dans votre Tableau contribuë à cette Passion, en sorte que ceux qui le verront en soient aussi-tost touchez. Si c’est un Sujet lugubre, tout y ressentira la tristesse, & ainsi des autres Passions & qualitez des Sujets.

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233. [C'est où consiste la plus grande difficulté] pour deux raisons ; & parce qu'il en faut faire une grande étude, tant sur les belles Antiques & sur les beaux Tableaux, que sur la Nature ; & parce que cette Partie dépend presque entierement du Genie, & qu’elle semble estre purement un don du Ciel, que nous avons receu dés nostre naissance […] neantmoins il est à mon avis necessaire que les uns & les autres apprennent parfaitement le Caractère de chaque Passion.
Toutes les actions de l’Appetit sensitif sont appellées Passions, dautant qu’elles agitent l’Ame, & que le Corps y patit & s’y altere sensiblement : Ce sont ces diverses agitations & ces differens mouvemens de tout le Corps en general, & de chacune de ses Parties en particulier, que nostre Excellent Peintre doit connoistre, dont il doit faire son estude, & se former une parfaite Idée. Mais il sera fort à propos de sçavoir d’abord que les Philosophes en admettent onze ; l’Amour, la Haine, le Desir, la Fuïte, la Joye, la Tristesse, l’Esperance, le Desespoir, la Hardiesse, la Crainte, & la Colere. Les Peintres les multiplient non seulement par leurs differens degrez, mais encore par leurs differentes especes : car ils feront par exemple six personnes dans le mesme degré de Crainte, qui exprimeront cette Passion tous differemment ; & c’est cette diversité d’especes qui fait faire la distinction des Peintres qui sont veritablement habiles, d’avec ceux qu’on appelle Manieristes, & qui repetent jusqu’à cinq ou six fois dans un mesme Tableau les mesmes Airs de teste. […] 

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Mais de toutes ces Parties, la Teste est celle qui donne plus de vie & de Grace à la Passion, & qui contribüe en cela toute seule plus que toutes les autres ensemble. Les autres separement ne peuvent exprimer que certaines Passions, mais la teste les exprime toutes. Il y en a neantmoins qui luy sont plus particulieres […] 
Les parties du Visage contribüent toutes à mettre au dehors les sentimens du Cœur ; mais sur tout les Yeux, qui sont comme deux fenestres par où l’Ame se fait voir : Les Passions qu’ils expriment plus particulierement sont, le Plaisir, la Langueur, le Dédain, la Severité, la Douceur, l’Admiration & la Colere : la Joye & la Tristesse en pourroient encore estre, s’ils ne partoient plus specialement des sourcis & de la bouche : Et bien que ces deux dernieres Parties s’accordent plus particulierement pour exprimer ces deux Passions, neantmoins si vous en faites un triot avec les Yeux, vous aurez une harmonie merveilleuse pour toutes les Passions de l’Ame. 
Le Nez n’a point de Passion qui luy soit particuliere, il ne fait que prester son secours aux autres par un élevement de Narines, qui est autant marqué dans la Joye que dans la Tristesse […]
Le mouvement des Levres doit estre mediocre, si c’est dans le discours […]
Pour ce qui est des Mains, elles sont les servantes de la Teste, elles sont ses armes & son secours ; sans elles l’action est foible & comme demi-morte : leurs mouvemens, qui sont presque infinis, font des expressions sans nombre. […] Enfin l’on peut dire, puis qu’elles sont la Langue des Muets, qu’elles ne contribuent pas peu à parler un langage commun à toutes les Nations de la Terre, qui est celuy de la Peinture.

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Or de dire, comme il faut que ces Parties soient disposées pour exprimer les differentes Passions, c’est ce qui est impossible, & dont on ne peut donner de Regles bien precises, tant à cause que le travail en seroit infiny, que parce que chacun en doit user selon son Genie & selon l’étude qu’il en a dû faire. Souvenez-vous seulement de prendre garde que les Actions de vos Figures soient toutes naturelles. […] car il y en a qui s’imaginent avoir donné bien de la vie à leurs Figures, quand ils leur ont fait faire des Actions violentes & exagerées, que l’on peut appeler des Contorsions du Corps plûtost que des Passions de l’Ame ; & se donnent ainsi bien souvent de la peine, pour trouver quelque sorte de Passion où il n’en faut point du tout.
Joignez à tout ce que j’ay dit des Passions, Qu’il faut extremement avoir égard à la qualité des personnes passionnées : la Joye d’un Roy ne doit pas estre comme celle d’un valet, & la Fierté d’un Soldat ne doit pas ressembler à celle d’un Capitaine. C’est dans ces differences que consiste tout le fin & tout le delicat des passions. Paul Lomasse a écrit fort amplement sur chaque Passion en particulier dans son 2. Livre : mais prenez garde à ne vous y point trop arrester, & à ne point forcer vostre Genie.

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330. [Le Blanc tout pur avance ou recule indifferement, il s’approche avec du Noir, & s’éloigne sans luy.] Tout le monde convient, que le Blanc peut subsister sur le devant du Tableau, & y estre employé tout pur ; la question est donc de sçavoir s’il peut également subsister & estre placé de la mesme sorte sur le derriere, la Lumiere estant universelle, & les Figures supposées dans une campagne. Nostre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] conclud affirmativement ; & la raison qui appuye ce Precepte est, Que n’y ayant rien qui participe davantage de la Lumiere que le Blanc, & la Lumiere pouvant fort bien subsister dans le lointin (comme nous le voyons tous les jours au lever & au coucher du Soleil,) il s’ensuit que le Blanc y peut subsister aussi : En Peinture la Lumiere & le Blanc ne sont quasi que la mesme chose. Ajoûtez à cela que nous n’avons point de Couleur plus approchante de l’Air que le Blanc, & par consequent point de Couleur plus legere […]. Le Titien, Tintoret, Paul Veronese, & tous ceux qui ont le mieux entendu les Lumieres, l’ont observé de la sorte, & personne ne peut aller à l’encontre de ce Precepte, à moins que de renoncer au païsage, qui nous confirme parfaitement cette verité ; & nous voyons que tous les Grands Païsagistes ont suivy en cela le Titien, qui s’est toûjours servy de Couleurs brunes & terrestres sur le devant, & qui a reservé ses plus grands Clairs pour les lointins & les derrieres de ses Païsages. […] 
On peut objecter à cette opinion, Que le Blanc ne peut se tenir dans le lointin ; puisque l’on s’en sert ordinairement pour faire approcher les Objets sur le devant. Il est vray que l’on s’en sert, & mesme fort à propos, pour rendre les Objets plus sensibles par l’opposition du Brun qui le doit accompagner, & qui le retient comme malgré luy ; soit que ce Brun luy serve de fond, ou qu’il luy soit attaché. […]
Mais, il semble (direz-vous) que le Bleu est la Couleur la plus fuyante ; puisque le Ciel & les Montagnes les plus éloignées sont de cette Couleur. Il est bien vray que le Bleu est une Couleur des plus legeres & des plus douces : mais il est vray aussi qu'elle a d'autant plus toutes ces qualitez, qu’il y a de Blanc meslé dedans, comme l'exemple des lointins nous le fait connoistre. […]
Que si la Lumiere de vostre Tableau n’est point universelle, & que vous supposiez vos Figures dans une Chambre, pour lors souvenez-vous du Theorème, qui dit, que
Plus un Corps est proche de la Lumière, & nous est directement opposé, plus il est éclairé ; parce que la Lumiere s’affoiblit en s’éloignant de sa source. Vous pourrez encore éteindre vostre Blanc, si vous supposez l'Air estre un peu plus épais, & si vous prevoyez que cette supposition fera un bon effet dans l’œconomie de tout l’Ouvrage : mais que cela n'aille pas jusqu'à faire vos Figures d'une demie teinte si brune, qu'il semble qu'elles soient dans un vilain brouillard, ou qu'elles paroissent attachées à leur fonds. […]

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365. [C’est travailler en vain que de, &c.] Il a dit ailleurs ; Cherchez tout ce qui aide vostre Art & qui luy convient, fuyez tout ce qui luy repugne. C’est le Precepte LIX. Si le Peintre veut arriver à sa fin, qui est de tromper la veüe, il doit faire choix d’une Nature qui s’accorde à la foiblesse de ses Couleurs ; puisque ses Couleurs ne peuvent pas s’accorder à toute sorte de Nature. Ce Precepte doit estre particulierement considerable à ceux qui font des Païsages.

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PEINDRE, PEINTRE, PEINTURE. Peindre, c’est representer une chose avec des couleurs ; la Peinture est cette représentation ; le Peintre est celui qui la fait. Peindre en huile ; peindre en détrempe ; peindre à fraisque ; peindre en pastel ; peindre en miniature ; peindre en émail ; peindre sur verre, sur bois, sur cuivre, &c. Peindre l’Histoire, le Païsage, le Portrait, les Animaux, les Fleurs, les Grotesques, &c. 
M. de Piles définit ainsi la peinture. 
C’est un Art, dit-il, qui par le moyen du dessein & la couleur, imite sur une superficie plate tous les objets visibles
La
Peinture, suivant la division commune, renferme trois parties, la composition, le dessein & le coloris. 
On peut, comme je l’ai remarqué, y ajouter l’
expression. Voyez EXPRESSION. 
Il est naturel de penser que l’ombre de l’homme a fait naître la premiere idée de la Peinture. [...]
Felibien ne nous apprend rien de nouveau lorsqu’il dit dans son
Vocabulaire [car c’est tout le nom que mérite son dictionnaire imparfait, où il a obmis les trois quarts des termes de l’Art] qu’il faut dire peindre, & non pas peinturer
Peinturer est un mot barbare que Menage a essayé en vain de soutenir, & que l’usage, l’arbitre souverain des langues a proscrit. On est surpris de le trouver dans les Dictionnaires estimés, & de n’y point trouver d’autres termes qui sont dans la bouche de tous les Peintres. 
Les meilleurs Auteurs qui ayent écrit sur la Peinture, sont Leonard de Vinci, M. de Chambrai, Vazari, Felibien, de Piles, & M. Coypel. 
Nous avons deux Poëmes latins sur la Peinture, l’un d’Alphonse du Fresnoy, intitulé,
de Arte Graphica l’autre de Mr l’Abbé de M. qui a pour titre Pictura : l’un & l’autre ont été traduits en François, & imprimés plusieurs fois. 
Nous avons aussi deux Poëmes François sur le même sujet, l’un de Perrault & l’autre de Moliere. Celui de Perrault n’a pas fait plus de fortune que ses paralleles.

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50. [comme l’Arbitre souverain de son Art] Ce mot d’Arbitre souverain, presuppose un Peintre pleinement instruit de toutes les Parties de la Peinture ; en sorte que s’estant mis comme au dessus de son Art, il en soit le Maistre & le Souverain : ce qui n’est pas une petite affaire. Ceux de la Profession ont si rarement cette suprême capacité, qu’il s’en trouve bien peu qui puissent estre de bons Juges des Ouvrages, & que je ferois souvent plus d’estat de l’avis d’un homme de bon sens, qui n’auroient jamais manié le Pinceau, que de celuy de la pluspart des Peintres. Tous les peintres peuvent donc estre Arbitres de leur Art ; mais pour estre souverains Arbitres, il n’appartient qu’aux sçavans Peintres.

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78. [Il est fort à propos en cherchant, &c.] Voicy le plus important Precepte de tous ceux de la Peinture. Il appartient proprement au Peintre seul, & tous les autres sont empruntez, de belles Lettres, de la Medecine, des Mathematiques, ou enfin des autres Arts : car il suffit d’avoir de l’esprit & des Lettres, pour faire une tres belle Invention : Pour dessiner, il faut de l’Anatomie ; un Mathematicien mettra fort bien les bastimens & autres choses en Perspective, & les autres Arts apporteront de leur costé ce qui est necessaire pour la matiere d’un beau Tableau : Mais pour l’œconomie du Tout-ensemble, il n’y a que le Peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du Peintre est de tromper agreablement les yeux : ce qu’il ne fera jamais, si cette Partie lui manque. Un Tableau peut faire un mauvais effet, lequel sera d’une sçavante Invention, d’un Dessein correct, & qui aura les Couleurs les plus belles & les plus fines : Et au contraire, on peut en voir d’autres mal Inventez, mal Dessinez, & peints de Couleurs les plus communes, qui feront un tres-bon effet, & qui tromperont beaucoup davantage. […] 
Ce Precepte est proprement l’usage & l’application de tous les autres : c’est pourquoy il demande beaucoup de Jugement. Il faut donc tellement prevoir les choses, que vostre Tableau soit peint dans vostre teste devant que de l’estre sur la toile. […] Il est certain que ceux qui ont cette prevoyance, travaillent avec un plaisir & une facilité incroyable ; & que les autres au contraire, ne font que changer et rechanger leur Ouvrage, qui ne leur laisse au bout du conte que du chagrin. 
On peut inferer de ce que je viens de dire, que l'Invention & la Disposition sont deux Parties differentes. En effet, quoy que la derniere dépende de l'autre, & qu'elle y soit communement comprise, il faut cependant bien se garder de les confondre : L'Invention trouve simplement les choses, & en fait un choix convenable à l'Histoire que l'on traite ; & la Disposition les distribuë chacune à sa place quand elles sont inventées, & accommode les Figures & les Grouppes en particulier, & le Tout-ensemble du Tableau en general ; en sorte que cette Œconomie produit le mesme effet pour les yeux, qu'un Concert de Musique pour les oreilles.

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177. [Ne soyez pas si fort attaché à la Nature, &c.] Ce Precepte est contre deux sortes de Peintres. Premierement contre ceux qui sont tellement attachez à la Nature, qu’ils ne peuvent rien sans elle, qui la copient comme ils la croyent voir, sans y rien adjoûter ny en retrancher la moindre chose, soit pour le Nud, ou pour les Draperies ; Et secondement il est contre ceux qui peignent toutes choses de Pratique, sans pouvoir s’assujettir à rien retoucher ny examiner sur le Naturel. Ces derniers sont proprement des Libertins de Peinture, comme il y en a de Religion, lesquels n’ont pas d’autre Loy que l’impetuosité de leurs inclinations, qu’ils ne veulent pas vaincre, de mesme que les Libertins de Peinture n’ont point d’autre Modele, que la boutade d’un Genie mal reglé, qui les emporte. Quoy que ces deux sortes de Peintres soient & l’un & l’autre dans des extremitez vitieuses, toutefois les premiers me semblent moins insupportables ; parce que s’ils n’imitent pas la Nature accompagnée de toutes ses beautez & de toutes ses graces, au moins imitent-ils une Nature qui nous est connuë, & que nous voyons tous les jours : au lieu que les autres nous en font voir une toute sauvage, que nous ne connoissons point, & qui semble estre d’une creation toute nouvelle.

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215. [Les Marques des Vertus.] C’est à dire, des Sciences & des Arts. Les Italiens appellent Virtuoso un homme qui aime les beaux Arts, & qui s’y connoist : & parmy nos Peintres, le mot de vertueux s’entend mesme assez dans cette signification.

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233. [C'est où consiste la plus grande difficulté] pour deux raisons ; & parce qu'il en faut faire une grande étude, tant sur les belles Antiques & sur les beaux Tableaux, que sur la Nature ; & parce que cette Partie dépend presque entierement du Genie, & qu’elle semble estre purement un don du Ciel, que nous avons receu dés nostre naissance […] neantmoins il est à mon avis necessaire que les uns & les autres apprennent parfaitement le Caractère de chaque Passion.
Toutes les actions de l’Appetit sensitif sont appellées Passions, dautant qu’elles agitent l’Ame, & que le Corps y patit & s’y altere sensiblement : Ce sont ces diverses agitations & ces differens mouvemens de tout le Corps en general, & de chacune de ses Parties en particulier, que nostre Excellent Peintre doit connoistre, dont il doit faire son estude, & se former une parfaite Idée. Mais il sera fort à propos de sçavoir d’abord que les Philosophes en admettent onze ; l’Amour, la Haine, le Desir, la Fuïte, la Joye, la Tristesse, l’Esperance, le Desespoir, la Hardiesse, la Crainte, & la Colere. Les Peintres les multiplient non seulement par leurs differens degrez, mais encore par leurs differentes especes : car ils feront par exemple six personnes dans le mesme degré de Crainte, qui exprimeront cette Passion tous differemment ; & c’est cette diversité d’especes qui fait faire la distinction des Peintres qui sont veritablement habiles, d’avec ceux qu’on appelle Manieristes, & qui repetent jusqu’à cinq ou six fois dans un mesme Tableau les mesmes Airs de teste. […] 

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487. [Les qualitez, &c.] Dans la verité il y en a bien peu qui ayent les qualitez que nostre Auteur demande ; aussi y a-t-il bien peu d’habiles Peintres. […] Ces qualitez sont, d’avoir 
Le Jugement bon, pour ne rien faire contre la raison & la vraye-semblance.
L’Esprit docile, pour profiter des enseignemens, & pour recevoir sans arrogance le sentiment d’un chacun, & principalement des gens éclairez.
Le Cœur noble, pour avoir plûtost en veuë la gloire & la reputation que les richesses.
Le Sens sublime, pour concevoir promptement, pour produire de belles idées, & pour traiter les Sujets d’une maniere haute, où l’on puisse remarquer du fin, du delicat, & du precieux.
De la Ferveur, pour arriver au moins jusqu’à un certain degré de perfection, sans se lasser des études que demande la Peinture.
De la Santé, pour resister à la dissipation des esprits, qui se fait dans l’application.
De la Jeunesse, parce que la Peinture demande beaucoup d’experience & de pratique.
De la Beauté, parce que le Peintre se peint toûjours dans ses Tableaux, & que la Nature aime à produire son semblable.
La Commodité des Biens, pour avoir tout le temps d’étudier & de travailler en repos, sans estre troublé de l’image affreuse & terrible de la pauvreté.
Le Travail, parce que la Theorie n’est rien sans la pratique.
L’Amour pour son Art. Nous ne souffrons jamais dans le travail que nous aimons ; & s’il arrive que nous y souffrions, nous y aimons la peine.
Et D’estre sous la Discipline d’un Sçavant Maître ; parce que tout dépend quasi des commencemens, & qu’ordinairement l’on prend la Maniere de son Maistre, & que l’on se fait à son goust. Voyez le Vers 422. & la Remarque que j’ay faite dessus.
Toutes ces belles qualitez seront ingrates & comme inutiles au Peintre, si les dispositions exterieures n’y répondent, je veux dire, le temps favorable, comme est celuy de la Paix, qui est la Nourrice des beaux Arts. Il faut encore l’occasion, pour faire voir par quelque Ouvrage considerable ce que l’on sçait faire, & un Protecteur qui soit une personne d’autorité, qui prenne en quelque façon le soin de nostre fortune, & qui sçache dire du bien de nous en temps & lieu. 

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Tout devient palettes & pinceaux entre les mains d'un enfant doüé du génie de la Peinture. Ils fait connoître aux autres pour ce qu'il est, quand lui-même ne le sçait pas encore. Les Annalistes de la Peinture rapportent une infinité de faits qui confirment ce que j'avance. La plûpart des grands Peintres ne sont pas nez dans les atteliers. Très-peu sont des fils de Peintres, qui, suivant l'usage ordinaire, auroient été élevez dans la profession de leurs peres. Parmi les Artisans illustres qui font tant d'honneur aux deux derniers siècles, le seul Raphaël, autant qu'il m'en souvient, fut le fils d'un Peintre. Le pere du Georgeon & celui du Titien, ne manierent jamais ni pinceaux ni cizeaux, Leonard De Vinci, & Paul Veronése, n'eurent point de Peintres pour peres. Les parens de Michel-Ange vivoient, comme on dit, noblement, c'est-à-dire, sans exercer aucune profession lucrative. André Del Sarte étoit fils d'un Tailleur, & Le Tintoret d'un Tinturier. Le pere des Caraches, n'étoit pas d'une profession où l'on manie le craïon. Michel-Ange De Caravage étoit fils d'un Masson, & Le Correge fils d'un Laboureur. Le Guide étoit fils d'un Musicien, Le Dominiquin d'un Cordonnier, & L'Albane d'un Marchand de Soïe. Lanfranc étoit un enfant trouvé, à qui son génie enseigna la peinture, à peu près comme le génie de M Pascal lui enseigna les Mathématiques. Le pere de Rubens, qui étoit dans la Magistrature d'Anvers, n'avoit ni attelier ni boutique dans sa maison. Le pere de Vandick n'étoit ni Peintre ni Sculpteur. Du Fresnoy, dont nous avons un poëme sur la Peinture, qui a mérité d'être traduit & commenté par M. De Piles, & dont nous avons aussi des tableaux au-dessus du médiocre, avoit étudié pour être Médecin. Les peres des quatre meilleurs Peintres François du dernier siècle, Le Valentin, Le Sueur, Le Poussin & Le Brun, n'étoient pas des peintres. C'est le génie de ces grands hommes qui les a été chercher, pour ainsi dire, dans la maison de leurs parens, afin de les conduire sur le Parnasse. Les Peintres montent sur le Parnasse, aussi-bien que les Poëtes.

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Le peintre en effet est l’homme de tous les talens, c’est un poëte, un historien, un fidèle imitateur, ou plutôt un rival de la nature ; ne sçait-on pas que c’est elle seule qui forme les peintres ainsi que les poëtes ? Ils montent, si l’on en croit un (a) moderne, également sur le Parnasse ; leurs arts dépendent du génie, ils ont pour objet commun d’émouvoir les passions & de plaire. Tous deux sont dans l’obligation de représenter des images plus riches, plus riantes, plus belles que celles que l’on voit ordinairement, c’est par ce moyen que l’on irrite plus vivement les passions, & que par le plaisir qu’elles procurent, le spectateur participe de l’enthousiasme qui les a fait naître. Son art est une (b) poësie, une expression (c) muette, qui secondée des couleurs, parle aux yeux, à l’esprit & au cœur. Qui peut douter qu’un tableau ne soit un vrai poëme ?
(a) Reflexions critiques sur la poesie & sur la peinture, par l’Abbé du Bos. Tom. 2 p. 27.
(b) Ut pictura poësis erit. Hor. de arte poet.
(c) Muta poësis. D. Fresnoy. De arte graphica.

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PEINDRE, PEINTRE, PEINTURE. Peindre, c’est representer une chose avec des couleurs ; la Peinture est cette représentation ; le Peintre est celui qui la fait. Peindre en huile ; peindre en détrempe ; peindre à fraisque ; peindre en pastel ; peindre en miniature ; peindre en émail ; peindre sur verre, sur bois, sur cuivre, &c. Peindre l’Histoire, le Païsage, le Portrait, les Animaux, les Fleurs, les Grotesques, &c. 
M. de Piles définit ainsi la peinture. 
C’est un Art, dit-il, qui par le moyen du dessein & la couleur, imite sur une superficie plate tous les objets visibles
La
Peinture, suivant la division commune, renferme trois parties, la composition, le dessein & le coloris. 
On peut, comme je l’ai remarqué, y ajouter l’
expression. Voyez EXPRESSION. 
Il est naturel de penser que l’ombre de l’homme a fait naître la premiere idée de la Peinture. [...]
Felibien ne nous apprend rien de nouveau lorsqu’il dit dans son
Vocabulaire [car c’est tout le nom que mérite son dictionnaire imparfait, où il a obmis les trois quarts des termes de l’Art] qu’il faut dire peindre, & non pas peinturer
Peinturer est un mot barbare que Menage a essayé en vain de soutenir, & que l’usage, l’arbitre souverain des langues a proscrit. On est surpris de le trouver dans les Dictionnaires estimés, & de n’y point trouver d’autres termes qui sont dans la bouche de tous les Peintres. 
Les meilleurs Auteurs qui ayent écrit sur la Peinture, sont Leonard de Vinci, M. de Chambrai, Vazari, Felibien, de Piles, & M. Coypel. 
Nous avons deux Poëmes latins sur la Peinture, l’un d’Alphonse du Fresnoy, intitulé,
de Arte Graphica l’autre de Mr l’Abbé de M. qui a pour titre Pictura : l’un & l’autre ont été traduits en François, & imprimés plusieurs fois. 
Nous avons aussi deux Poëmes François sur le même sujet, l’un de Perrault & l’autre de Moliere. Celui de Perrault n’a pas fait plus de fortune que ses paralleles.

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1. [La Peinture & la Poësie sont deux Sœurs qui se ressemblent si fort en toutes choses.] Elles tendent toutes deux à mesme fin, qui est l’Imitation. Toutes deux excitent nos passions ; & nous nous laissons tromper volontairement, mais agreablement par l’une & par l’autre ; nos yeux & nos esprits y sont si fort attachez, que nous voulons nous persuader que les Corps peints respirent, & que les fictions sont des veritez. Toutes deux sont occupées par les belles actions des Heros, & travaillent à les éterniser. Toutes deux enfin sont appuyées sur les forces de l’Imagination, & se servent des licences qu’Apollon leur donne également, & que leur Genie leur inspire. {Horace} Pictoribus atque Poëtis Quidlibet audendi semper fuit aequa potestas. L’avantage que la Peinture a pardessus la Poësie, est, Que parmy cette grande diversité de Langues, elle se fait entendre de toutes les Nations de la Terre ; & qu’elle est necessaire à tous les autres Arts, à cause du besoin qu’ils ont de figures demonstratives, qui donnent bien souvent plus d’intelligence que tous les discours du monde.

Quotation

PEINDRE, PEINTRE, PEINTURE. Peindre, c’est representer une chose avec des couleurs ; la Peinture est cette représentation ; le Peintre est celui qui la fait. Peindre en huile ; peindre en détrempe ; peindre à fraisque ; peindre en pastel ; peindre en miniature ; peindre en émail ; peindre sur verre, sur bois, sur cuivre, &c. Peindre l’Histoire, le Païsage, le Portrait, les Animaux, les Fleurs, les Grotesques, &c. 
M. de Piles définit ainsi la peinture. 
C’est un Art, dit-il, qui par le moyen du dessein & la couleur, imite sur une superficie plate tous les objets visibles
La
Peinture, suivant la division commune, renferme trois parties, la composition, le dessein & le coloris. 
On peut, comme je l’ai remarqué, y ajouter l’
expression. Voyez EXPRESSION. 
Il est naturel de penser que l’ombre de l’homme a fait naître la premiere idée de la Peinture. [...]
Felibien ne nous apprend rien de nouveau lorsqu’il dit dans son
Vocabulaire [car c’est tout le nom que mérite son dictionnaire imparfait, où il a obmis les trois quarts des termes de l’Art] qu’il faut dire peindre, & non pas peinturer
Peinturer est un mot barbare que Menage a essayé en vain de soutenir, & que l’usage, l’arbitre souverain des langues a proscrit. On est surpris de le trouver dans les Dictionnaires estimés, & de n’y point trouver d’autres termes qui sont dans la bouche de tous les Peintres. 
Les meilleurs Auteurs qui ayent écrit sur la Peinture, sont Leonard de Vinci, M. de Chambrai, Vazari, Felibien, de Piles, & M. Coypel. 
Nous avons deux Poëmes latins sur la Peinture, l’un d’Alphonse du Fresnoy, intitulé,
de Arte Graphica l’autre de Mr l’Abbé de M. qui a pour titre Pictura : l’un & l’autre ont été traduits en François, & imprimés plusieurs fois. 
Nous avons aussi deux Poëmes François sur le même sujet, l’un de Perrault & l’autre de Moliere. Celui de Perrault n’a pas fait plus de fortune que ses paralleles.

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39. [Dont le choix s’en doit faire selon le goust & la maniere des Anciens.] C’est à dire, selon les Statües, les Bas-reliefs, & selon les autres Ouvrages Antiques, tant des Grecs que des Romains. On appelle Antique ce qui a esté fait depuis Alexandre le Grand jusqu’à l’Empereur Phocas, sous l’Empire duquel les Arts furent ruïnez par la guerre. Ces Ouvrages Antiques ont toûjours esté depuis leur naissance, la Regle de la Beauté. Et en effet, leurs Auteurs ont pris un tel soin de les mettre dans la perfection où nous les voyons, qu’ils se servoient, non pas d’un seul Naturel, mais de plusieurs dont ils prenoient les parties les plus regulieres pour en faire un beau Tout […]

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435. [Aussi bien que les choses paroissent estre faites avec Facilité.] Cette facilité attire d’autant plus nos yeux & nos esprits, qu’il est à presumer qu’un beau travail qui nous paroist facile, vient d’une main sçavante & consommée. […] Mais il est impossible d’avoir cette Facilité, sans posseder parfaitement toutes les Regles de l’Art, & s’en estre fait un habitude : car la Facilité consiste à ne faire precisément que l’Ouvrage qu’il faut, & à mettre chaque chose dans sa place avec promptitude : ce qui ne se peut sans les Regles, qui sont des moyens assurez pour vous conduire, & pour terminer vos Ouvrages avec plaisir. Il est donc certain, contre l’opinion de plusieurs, que les Regles donnent de la Facilité, de la Tranquillité & de la promptitude dans les esprits les plus tardifs, & que ces mesmes Regles augmentent & dirigent cette Facilité dans ceux qui l’ont déja receuë d’une heureuse naissance.
D’où il s’ensuit que l’on peut considerer la Facilité de deux façons, ou simplement, comme une diligence & une promptitude d’esprit & de main, ou comme une disposition dans l’esprit de lever promptement toutes les difficultez qui se peuvent former dans l’Ouvrage. La premiere vient d’un temperament actif & plein de feu, & l’autre d’une veritable Science & d’une possession des Regles infaillibles ; celle-là est agreable, mais elle n’est pas toûjours sans inquietude, parce qu’elle fait égarer souvent ; & celle-cy au contraire fait agir avec un repos d’esprit & une tranquillité merveilleuse : car elle nous asseure de la bonté de nostre Ouvrage : c’est beaucoup que d’avoir la premiere ; mais c’est le comble de la perfection de les avoir l’une & l’autre, telle que les ont possedées Rubens & Vandeik, excepté la Partie du Dessein, qu’ils ont trop negligée. […]
Remarquez, s’il vous plaît, que la Facilité & la Diligence, dont je viens de parler, ne consistent pas à faire ce qu’on appelle des traits hardis, & à donner des coups de pinceau libres, s’ils ne font un grand effet d’une distance éloignée : Cette sorte de liberté est plûtost d’un Maistre à écrire que d’un Peintre. Je dis bien davantage, il est presque impossible que les choses peintes paroissent vrayes & naturelles, quand on y remarque ces sortes de traits hardis : & tous ceux qui ont le plus approché de la Nature, ne se sont pas servis de cette Manière de peindre. Tous ces cheveux filez & ces coups de pinceau qui forment des hachures, sont à la verité admirables : mais ils ne trompent pas la veuë.

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117. [Quoy que la Perspective ne puisse pas estre appellée une Regle certaine, &c.] Ce n’est pas pour rejetter la Perspective qu’il [ndr : C.-A. Dufresnoy] parle ainsi, puis qu’il la conseille dans le Vers, comme une chose absolument necessaire. […] Voicy donc de quelle maniere il faut l’entendre, quand il dit, que la Perspective n’est pas une Regle certaine. C’est à dire, purement d’elle-mesme, sans la prudence & sans la discretion. La pluspart de ceux qui la sçavent, en voulant la pratiquer trop regulierement, font bien souvent des choses qui choquent la veuë, quoy qu’elles soient dans les Regles. […] La Corniche du Palais Farnese, qui fait un si bel effet d’en bas, de prés n’a point ses justes mesures. Dans la Colomne Trajane nous voyons que les Figures les plus élevées sont plus grandes que celles d’en bas, & font un effet tout contraire à la Perspective, puis qu’elles augmentent à mesure qu’elles s’éloignent. Je sçay qu’il y a une Regle, qui donne le moyen de les faire de la sorte ; & quoy qu’elle soit dans quelques Livres de Perspective, elle n’est pas pour cela Regle de Perspective ; puis qu’on ne s’en sert que lors seulement qu’on le juge à propos : car si par exemple les Figures qui sont au haut de la Colomne Trajane, n’estoient que de la mesme grandeur de celles qui sont au bas, elles ne seroient pas pour cela contre la Perspective ; & ainsi l’on peut dire avec plus de raison, que c’est une Regle de Bienseance dans la Perspective, pour soulager la veuë, & pour luy rendre les objets plus agreables. C’est sur ce fondement general que dans la Perspective on peut ainsi dire établir des Regles de Bienseance, quand l’occasion s’en rencontre. […] Ce que les Illustres Autheurs de ces belles choses ont fait, non pas en mépris de la Geometrie & de la Perspective, mais pour la satisfaction des yeux, qui estoit la fin qu’ils se sont toûjours proposée dans leurs Ouvrages. Il faut donc sçavoir la Perspective comme une chose absolument necessaire, & dont un Peintre ne peut se passer, sans pourtant s’assujettir si fort à elle, que l’on en devienne esclave […]

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509. [Pour bien faire, &c.] Nostre Autheur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] ne parle point icy des premiers commencemens du Dessein, comme du maniement du crayon, du juste rapport que doit avoir la Copie avec son Original, &c. Il suppose, avant que de commencer ses études, que l'on doit avoir une facilité dans la main, pour imiter les beaux Desseins, les beaux Tableaux, & la Ronde bosse ; que l'on doit enfin s'estre fait un Clef du Dessein, pour entrer chez Minerve, où toutes les belles choses se trouvent en abondance, & s'offrent à nous, pour en profiter selon nos soins & nostre Genie.
509.
[Vous commencerez par la Geometrie.] Parce que c’est le fondement de la Perspective, sans laquelle vous ne pouvez rien faire en Peinture. La Geometrie est encore tres-utile pour l’Architecture & pour tout ce qui en dépend. Elle est specialement necessaire aux Sculpteurs.

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219. [Il sera tres-expedient de faire un Modele des choses, dont le Naturel est difficile à tenir, & dont nous ne pouvons pas disposer comme il nous plaist ] Comme des Grouppes de plusieurs Figures, des Attitudes difficiles à tenir long-temps, des Figures en l'air, en Plat-fond, ou élevées beaucoup au dessus de la veuë, & des Animaux mesmes dont on ne dispose pas aisément. Par ce Precepte l'on voit assez la necessité qu'a un Peintre de sçavoir Modeler, & d'avoir plusieurs Modeles de cire maniables. Paul Veronese en avoit un si bon nombre, avec une si grande quantité d'Etoffes différentes, qu'il en mettoit toute une Histoire ensemble sur un Plan dégradé pour grande & pour diversifiée qu'elle fust. Tintoret en usoit ainsi, & Michelange, au rapport de Jean Baptiste Armenini, s'en est servy pour toutes les Figures de son Jugement. Ce n'est pas que je conseille à personne, quand on voudra faire quelque chose de bien considerable, de finir d'apres ces sortes de Modeles : mais ils serviront beaucoup, & seront d'un grand avantage pour voir les Masses des grandes Lumières & des grandes Ombres, & l'effet du Tout-ensemble. Du reste vous devez avoir un Manequin à peu prés grand comme Nature pour chaque Figure en particulier, sans manquer pour cela de voir le Naturel, & de l'appeller comme un témoin qui doit confirmer la chose à vous premièrement, puis aux Spectateurs, comme elle est dans la vérité. Vous pourrez vous servir de ces Modeles avec plaisir, si vous les mettez sur un Plan degradé à proportion des Figures, qui sera comme une table faite exprés, que vous pourrez hausser & rabaisser selon vostre commodité, & si vous regardez vos Figures par un trou ambulatoire, qui servira de Point de veuë & de Point de distance, quand vous l'aurez une fois arresté. Ce mesme trou vous servira encore pour voir vos Figures en Plat-fond, & disposées sur une grille de fil de fer, ou soûtenües en l'air par des petits filets élevez à discretion, ou de l'une & l'autre maniere tout ensemble. Vous joindrez à vos Figures tout ce qu'il vous plaira, pourveu que le tout leur soit proportionné, & qu'enfin vous vous imaginiez vous-mesme n'estre que de leur grandeur : Ainsi l'on verra dans tout ce que vous ferez plus de vérité, vostre Ouvrage vous donnera un plaisir incroyable, & vous éviterez quantité de doutes & de difficultez qui arrestent bien souvent, & principalement pour ce qui est de la Perspective lineale que vous y trouverez indubitablement : pourveu que vous vous souveniez de tout proportionner à la grandeur de vos Figures, & specialement les Points de veuë & de distance : mais pour ce qui est de la Perspective aërée, ne s'y trouvant pas, le Jugement y doit suppléer. {*Ridolfi dans sa Vie.} *Le Tintoret avoit fait des Chambres d'ais & de cartons proportionnées à ses Modeles, avec des portes & des fenestres, par où il distribuoit sur ses Figures des Lumieres artificielles autant qu'il jugeoit à propos ; & il passoit assez souvent une partie de la nuit à considerer & à remarquer l'effet de ses Compositions : Ses Modeles estoient de deux pieds de haut.

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393. [Pour ce qui est des Portraits, &c.] La fin des Portraits n’est pas si precisément comme quelques-uns se l’imaginent, de donner avec la ressemblance un air riant & agreable ; c’est bien quelque chose, mais ce n’est pas assez. Elle consiste à exprimer le veritable temperamment des personnes que l’on represente, & à faire voir leur Physionomie. Si, par exemple, la personne que vous peignez, est naturellement triste, il se faudra bien garder de luy donner de la gayeté, qui seroit toûjours quelque chose d’étranger sur son visage. […]

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145. [Que l’un des costez du Tableau, &c.] Cette espece de Symetrie, quand elle ne paroist point affectée, remplit agreablement le Tableau, le tient comme dans l’équilibre, & plaist infiniment aux yeux, qui en embrassent l’ouvrage avec plus de repos.

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78. [Il est fort à propos en cherchant, &c.] Voicy le plus important Precepte de tous ceux de la Peinture. Il appartient proprement au Peintre seul, & tous les autres sont empruntez, de belles Lettres, de la Medecine, des Mathematiques, ou enfin des autres Arts : car il suffit d’avoir de l’esprit & des Lettres, pour faire une tres belle Invention : Pour dessiner, il faut de l’Anatomie ; un Mathematicien mettra fort bien les bastimens & autres choses en Perspective, & les autres Arts apporteront de leur costé ce qui est necessaire pour la matiere d’un beau Tableau : Mais pour l’œconomie du Tout-ensemble, il n’y a que le Peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du Peintre est de tromper agreablement les yeux : ce qu’il ne fera jamais, si cette Partie lui manque. Un Tableau peut faire un mauvais effet, lequel sera d’une sçavante Invention, d’un Dessein correct, & qui aura les Couleurs les plus belles & les plus fines : Et au contraire, on peut en voir d’autres mal Inventez, mal Dessinez, & peints de Couleurs les plus communes, qui feront un tres-bon effet, & qui tromperont beaucoup davantage. […] 
Ce Precepte est proprement l’usage & l’application de tous les autres : c’est pourquoy il demande beaucoup de Jugement. Il faut donc tellement prevoir les choses, que vostre Tableau soit peint dans vostre teste devant que de l’estre sur la toile. […] Il est certain que ceux qui ont cette prevoyance, travaillent avec un plaisir & une facilité incroyable ; & que les autres au contraire, ne font que changer et rechanger leur Ouvrage, qui ne leur laisse au bout du conte que du chagrin. 
On peut inferer de ce que je viens de dire, que l'Invention & la Disposition sont deux Parties differentes. En effet, quoy que la derniere dépende de l'autre, & qu'elle y soit communement comprise, il faut cependant bien se garder de les confondre : L'Invention trouve simplement les choses, & en fait un choix convenable à l'Histoire que l'on traite ; & la Disposition les distribuë chacune à sa place quand elles sont inventées, & accommode les Figures & les Grouppes en particulier, & le Tout-ensemble du Tableau en general ; en sorte que cette Œconomie produit le mesme effet pour les yeux, qu'un Concert de Musique pour les oreilles.

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219. [Il sera tres-expedient de faire un Modele des choses, dont le Naturel est difficile à tenir, & dont nous ne pouvons pas disposer comme il nous plaist ] Comme des Grouppes de plusieurs Figures, des Attitudes difficiles à tenir long-temps, des Figures en l'air, en Plat-fond, ou élevées beaucoup au dessus de la veuë, & des Animaux mesmes dont on ne dispose pas aisément. Par ce Precepte l'on voit assez la necessité qu'a un Peintre de sçavoir Modeler, & d'avoir plusieurs Modeles de cire maniables. Paul Veronese en avoit un si bon nombre, avec une si grande quantité d'Etoffes différentes, qu'il en mettoit toute une Histoire ensemble sur un Plan dégradé pour grande & pour diversifiée qu'elle fust. Tintoret en usoit ainsi, & Michelange, au rapport de Jean Baptiste Armenini, s'en est servy pour toutes les Figures de son Jugement. Ce n'est pas que je conseille à personne, quand on voudra faire quelque chose de bien considerable, de finir d'apres ces sortes de Modeles : mais ils serviront beaucoup, & seront d'un grand avantage pour voir les Masses des grandes Lumières & des grandes Ombres, & l'effet du Tout-ensemble. Du reste vous devez avoir un Manequin à peu prés grand comme Nature pour chaque Figure en particulier, sans manquer pour cela de voir le Naturel, & de l'appeller comme un témoin qui doit confirmer la chose à vous premièrement, puis aux Spectateurs, comme elle est dans la vérité. Vous pourrez vous servir de ces Modeles avec plaisir, si vous les mettez sur un Plan degradé à proportion des Figures, qui sera comme une table faite exprés, que vous pourrez hausser & rabaisser selon vostre commodité, & si vous regardez vos Figures par un trou ambulatoire, qui servira de Point de veuë & de Point de distance, quand vous l'aurez une fois arresté. Ce mesme trou vous servira encore pour voir vos Figures en Plat-fond, & disposées sur une grille de fil de fer, ou soûtenües en l'air par des petits filets élevez à discretion, ou de l'une & l'autre maniere tout ensemble. Vous joindrez à vos Figures tout ce qu'il vous plaira, pourveu que le tout leur soit proportionné, & qu'enfin vous vous imaginiez vous-mesme n'estre que de leur grandeur : Ainsi l'on verra dans tout ce que vous ferez plus de vérité, vostre Ouvrage vous donnera un plaisir incroyable, & vous éviterez quantité de doutes & de difficultez qui arrestent bien souvent, & principalement pour ce qui est de la Perspective lineale que vous y trouverez indubitablement : pourveu que vous vous souveniez de tout proportionner à la grandeur de vos Figures, & specialement les Points de veuë & de distance : mais pour ce qui est de la Perspective aërée, ne s'y trouvant pas, le Jugement y doit suppléer. {*Ridolfi dans sa Vie.} *Le Tintoret avoit fait des Chambres d'ais & de cartons proportionnées à ses Modeles, avec des portes & des fenestres, par où il distribuoit sur ses Figures des Lumieres artificielles autant qu'il jugeoit à propos ; & il passoit assez souvent une partie de la nuit à considerer & à remarquer l'effet de ses Compositions : Ses Modeles estoient de deux pieds de haut.

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442. [Et que vous n’ayez present dans l’esprit l'effet de vostre Ouvrage.] Si vous voulez avoir du plaisir en peignant, il faut avoir tellement pensé à l'œconomie de vostre Ouvrage, qu'il soit entierement fait & disposé dans vostre teste, avant qu'il soit commencé sur la toile : il faut, dis-je, prévoir l'effet des Grouppes, le Fond, & le Clair-Obscur de chaque chose, l'Harmonie des Couleurs, & l'intelligence de tout le Sujet, de sorte que ce que vous mettrez sur la toile ne soit qu’une Copie de ce que vous avez dans l'esprit. Si vous vous servez de cette conduite, vous n'aurez pas la peine de changer & rechanger tant de fois.

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Le peintre en effet est l’homme de tous les talens, c’est un poëte, un historien, un fidèle imitateur, ou plutôt un rival de la nature ; ne sçait-on pas que c’est elle seule qui forme les peintres ainsi que les poëtes ? Ils montent, si l’on en croit un (a) moderne, également sur le Parnasse ; leurs arts dépendent du génie, ils ont pour objet commun d’émouvoir les passions & de plaire. Tous deux sont dans l’obligation de représenter des images plus riches, plus riantes, plus belles que celles que l’on voit ordinairement, c’est par ce moyen que l’on irrite plus vivement les passions, & que par le plaisir qu’elles procurent, le spectateur participe de l’enthousiasme qui les a fait naître. Son art est une (b) poësie, une expression (c) muette, qui secondée des couleurs, parle aux yeux, à l’esprit & au cœur. Qui peut douter qu’un tableau ne soit un vrai poëme ?
(a) Reflexions critiques sur la poesie & sur la peinture, par l’Abbé du Bos. Tom. 2 p. 27.
(b) Ut pictura poësis erit. Hor. de arte poet.
(c) Muta poësis. D. Fresnoy. De arte graphica.

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Le peintre en effet est l’homme de tous les talens, c’est un poëte, un historien, un fidèle imitateur, ou plutôt un rival de la nature ; ne sçait-on pas que c’est elle seule qui forme les peintres ainsi que les poëtes ? Ils montent, si l’on en croit un (a) moderne, également sur le Parnasse ; leurs arts dépendent du génie, ils ont pour objet commun d’émouvoir les passions & de plaire. Tous deux sont dans l’obligation de représenter des images plus riches, plus riantes, plus belles que celles que l’on voit ordinairement, c’est par ce moyen que l’on irrite plus vivement les passions, & que par le plaisir qu’elles procurent, le spectateur participe de l’enthousiasme qui les a fait naître. Son art est une (b) poësie, une expression (c) muette, qui secondée des couleurs, parle aux yeux, à l’esprit & au cœur. Qui peut douter qu’un tableau ne soit un vrai poëme ?
(a) Reflexions critiques sur la poesie & sur la peinture, par l’Abbé du Bos. Tom. 2 p. 27.
(b) Ut pictura poësis erit. Hor. de arte poet.
(c) Muta poësis. D. Fresnoy. De arte graphica.

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105. [Inégaux dans leur Position, en sorte que ceux de devant contrastent les autres qui vont en arriere, & soient tous également balancez sur leur centre.] Les mouvemens ne sont jamais naturels, si les Membres ne sont également balancez sur leur centre ; & ces Membres ne peuvent estre balancez sur leur centre dans une égalité de poids, qu'ils ne se contrastent les uns les autres. Un homme qui danse sur la corde, fait voir fort clairement cette verité. Le Corps est un poids balancé sur ses pieds, comme sur deux pivots ; & s’il n’y en a qu’un qui porte, comme il arrive le plus souvent, vous voyez que tout le poids est retiré dessus centralement, en sorte que si par exemple le bras avance, il faut de nécessité, ou que l’autre bras, ou que la jambe aille en arriere, ou que le Corps soit tant soit peu courbé du costé contraire, pour estre dans son Equilibre & dans une situation hors de contrainte. Il se peut faire, mais rarement, si ce n’est dans les Vieillards, que les deux pieds portent également ; & pour lors il n’y a qu’à distribuer la moitié du poids sur chaque pied. Vous userez de la mesme prudence, si l’un des pieds portoit les trois quarts du fardeau, & que l’autre portast le reste. Voila en general ce que l’on peut dire de la Balance & de la Ponderation du Corps : du reste, il y a quantité de choses tres-belles & tres-remarquables à dire ; & vous pourrez vous en satisfaire dans Leonard de Vincy ; il a fait merveille là-dessus, & l'on peut dire que la Ponderation est la plus belle & la plus saine partie de son Livre sur la Peinture. Elle commence au CLXXXI. Chapitre, & finit au CCLXXIII. Je vous conseille de voir encore Paul Lomasse dans son 6. l. chap. IIII. Del moto del Corpo humano, vous y trouverez des choses tres-utiles. Pour ce qui est du Contraste, je vous diray en general, que rien ne donne davantage la grace & la vie aux Figures.

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393. [Pour ce qui est des Portraits, &c.] La fin des Portraits n’est pas si precisément comme quelques-uns se l’imaginent, de donner avec la ressemblance un air riant & agreable ; c’est bien quelque chose, mais ce n’est pas assez. Elle consiste à exprimer le veritable temperamment des personnes que l’on represente, & à faire voir leur Physionomie. Si, par exemple, la personne que vous peignez, est naturellement triste, il se faudra bien garder de luy donner de la gayeté, qui seroit toûjours quelque chose d’étranger sur son visage. […]

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[...]
PORTRAIT. Tableau qui contient la représentation lineale du corps humain. 
Portrait en grand, en petit : portrait en pastel, en miniature : portrait à la plume, au crayon.
Portrait chargé, voyez CHARGE.
Peintre pour le
portrait
L’essence du
portrait, consiste moins à attraper une grossiere ressemblance, ce que font les Peintres les plus mediocres, qu’à exprimer le véritable temperament, le caractère, & l’air de Physionomie des personne qu’on représente. 
« Si la personne que vous peignez est naturellement triste, dit Mr. de Piles, il le faudra bien garder de lui donner de la gayeté, qui seroit toujours quelque chose d’étranger sur son visage : si elle est enjouée, il faut faire paroître cette belle humeur par l’expression des parties où elle agit, & où elle se montre, si elle est grave & majestueuse, les ris fort sensibles rendront cette majesté fade & niaise. »
Pline raconte d’après Appien le grammairien, qu’Apelle faisoit ses portraits si ressemblans, & marquoit avec tant de fidélité les traits des personnes qu’il peignoit, que sur l’inspection des tableaux les Astrologues tiroient l’horoscope de la vie & de la mort des personnes.
Dufresnoy conseille aux faiseurs de
portraits de travailler en même tems les parties doubles de la tête, comme les yeux, les oreilles, les narines, les jouës & les levres, c’est-à-dire de passer continuellement de l’une à l’autre, de les retoucher & de les finir ensemble, de peur que l’interruption ne fasse perdre l’idée de ces parties.

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177. [Ne soyez pas si fort attaché à la Nature, &c.] Ce Precepte est contre deux sortes de Peintres. Premierement contre ceux qui sont tellement attachez à la Nature, qu’ils ne peuvent rien sans elle, qui la copient comme ils la croyent voir, sans y rien adjoûter ny en retrancher la moindre chose, soit pour le Nud, ou pour les Draperies ; Et secondement il est contre ceux qui peignent toutes choses de Pratique, sans pouvoir s’assujettir à rien retoucher ny examiner sur le Naturel. Ces derniers sont proprement des Libertins de Peinture, comme il y en a de Religion, lesquels n’ont pas d’autre Loy que l’impetuosité de leurs inclinations, qu’ils ne veulent pas vaincre, de mesme que les Libertins de Peinture n’ont point d’autre Modele, que la boutade d’un Genie mal reglé, qui les emporte. Quoy que ces deux sortes de Peintres soient & l’un & l’autre dans des extremitez vitieuses, toutefois les premiers me semblent moins insupportables ; parce que s’ils n’imitent pas la Nature accompagnée de toutes ses beautez & de toutes ses graces, au moins imitent-ils une Nature qui nous est connuë, & que nous voyons tous les jours : au lieu que les autres nous en font voir une toute sauvage, que nous ne connoissons point, & qui semble estre d’une creation toute nouvelle.

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78. [Il est fort à propos en cherchant, &c.] Voicy le plus important Precepte de tous ceux de la Peinture. Il appartient proprement au Peintre seul, & tous les autres sont empruntez, de belles Lettres, de la Medecine, des Mathematiques, ou enfin des autres Arts : car il suffit d’avoir de l’esprit & des Lettres, pour faire une tres belle Invention : Pour dessiner, il faut de l’Anatomie ; un Mathematicien mettra fort bien les bastimens & autres choses en Perspective, & les autres Arts apporteront de leur costé ce qui est necessaire pour la matiere d’un beau Tableau : Mais pour l’œconomie du Tout-ensemble, il n’y a que le Peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du Peintre est de tromper agreablement les yeux : ce qu’il ne fera jamais, si cette Partie lui manque. Un Tableau peut faire un mauvais effet, lequel sera d’une sçavante Invention, d’un Dessein correct, & qui aura les Couleurs les plus belles & les plus fines : Et au contraire, on peut en voir d’autres mal Inventez, mal Dessinez, & peints de Couleurs les plus communes, qui feront un tres-bon effet, & qui tromperont beaucoup davantage. […] 
Ce Precepte est proprement l’usage & l’application de tous les autres : c’est pourquoy il demande beaucoup de Jugement. Il faut donc tellement prevoir les choses, que vostre Tableau soit peint dans vostre teste devant que de l’estre sur la toile. […] Il est certain que ceux qui ont cette prevoyance, travaillent avec un plaisir & une facilité incroyable ; & que les autres au contraire, ne font que changer et rechanger leur Ouvrage, qui ne leur laisse au bout du conte que du chagrin. 
On peut inferer de ce que je viens de dire, que l'Invention & la Disposition sont deux Parties differentes. En effet, quoy que la derniere dépende de l'autre, & qu'elle y soit communement comprise, il faut cependant bien se garder de les confondre : L'Invention trouve simplement les choses, & en fait un choix convenable à l'Histoire que l'on traite ; & la Disposition les distribuë chacune à sa place quand elles sont inventées, & accommode les Figures & les Grouppes en particulier, & le Tout-ensemble du Tableau en general ; en sorte que cette Œconomie produit le mesme effet pour les yeux, qu'un Concert de Musique pour les oreilles.

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256. [La Cromatique.] La troisième & derniere Partie de la Peinture s’appelle Cromatique, ou Coloris. Elle a pour objet la Couleur : c’est pourquoy les Lumieres & les Ombres y sont aussi comprises, qui ne sont autre chose que du Blanc & du Brun, & par consequent qui ont rang parmy les Couleurs. […] Disons donc, Que la Cromatique fait ses observations sur les Masses ou Corps des Couleurs, accompagnées de Lumieres & d’Ombres plus ou moins évidentes par degrez de diminution, selon les accidens, premierement du Corps lumineux, comme du Soleil ou d’un flambeau ; secondement du Corps diaphane, qui est entre nous & l’objet, comme l’Air pur ou épais, ou une vitre rouge, &c. 3. du Corps solide illuminé, comme une Statuë de marbre blanc, un arbre vert, un cheval noir, &c. 4. de la part de celuy qui regarde le Corps illuminé le voyant de loin ou de prés, directement en ange droit, ou de biais en angle obtus, de haut en bas, ou de bas en haut. Cette Partie dans la connoissance qu’elle a de la valeur des Couleurs, de l’amitié qu’elles ont ensemble, & de leur antipathie, comprend la Force, le Relief, la Fierté, & ce Precieux que l’on remarque dans les bons Tableaux. Le maniement des Couleurs & le travail dépendent encore de cette derniere Partie.

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435. [Aussi bien que les choses paroissent estre faites avec Facilité.] Cette facilité attire d’autant plus nos yeux & nos esprits, qu’il est à presumer qu’un beau travail qui nous paroist facile, vient d’une main sçavante & consommée. […] Mais il est impossible d’avoir cette Facilité, sans posseder parfaitement toutes les Regles de l’Art, & s’en estre fait un habitude : car la Facilité consiste à ne faire precisément que l’Ouvrage qu’il faut, & à mettre chaque chose dans sa place avec promptitude : ce qui ne se peut sans les Regles, qui sont des moyens assurez pour vous conduire, & pour terminer vos Ouvrages avec plaisir. Il est donc certain, contre l’opinion de plusieurs, que les Regles donnent de la Facilité, de la Tranquillité & de la promptitude dans les esprits les plus tardifs, & que ces mesmes Regles augmentent & dirigent cette Facilité dans ceux qui l’ont déja receuë d’une heureuse naissance.
D’où il s’ensuit que l’on peut considerer la Facilité de deux façons, ou simplement, comme une diligence & une promptitude d’esprit & de main, ou comme une disposition dans l’esprit de lever promptement toutes les difficultez qui se peuvent former dans l’Ouvrage. La premiere vient d’un temperament actif & plein de feu, & l’autre d’une veritable Science & d’une possession des Regles infaillibles ; celle-là est agreable, mais elle n’est pas toûjours sans inquietude, parce qu’elle fait égarer souvent ; & celle-cy au contraire fait agir avec un repos d’esprit & une tranquillité merveilleuse : car elle nous asseure de la bonté de nostre Ouvrage : c’est beaucoup que d’avoir la premiere ; mais c’est le comble de la perfection de les avoir l’une & l’autre, telle que les ont possedées Rubens & Vandeik, excepté la Partie du Dessein, qu’ils ont trop negligée. […]
Remarquez, s’il vous plaît, que la Facilité & la Diligence, dont je viens de parler, ne consistent pas à faire ce qu’on appelle des traits hardis, & à donner des coups de pinceau libres, s’ils ne font un grand effet d’une distance éloignée : Cette sorte de liberté est plûtost d’un Maistre à écrire que d’un Peintre. Je dis bien davantage, il est presque impossible que les choses peintes paroissent vrayes & naturelles, quand on y remarque ces sortes de traits hardis : & tous ceux qui ont le plus approché de la Nature, ne se sont pas servis de cette Manière de peindre. Tous ces cheveux filez & ces coups de pinceau qui forment des hachures, sont à la verité admirables : mais ils ne trompent pas la veuë.

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Prononcer, en terme de peinture ; C’est marquer & specifier les parties de toutes sortes de corps avec autant de force & de netteté qu’il est necessaire pour les rendre plus ou moins distinctes. Ainsi les Peintres, en parlant d’un tableau, disent que certaines parties en sont bien prononcées ; qui est une marque metaphorique de s’enoncer ; Comme lorsqu’on dit d’un homme qui parle bien, qu’il a une belle prononciation ; ce que M. de Piles a fort bien remarqué dans ses notes sur le poëme du sieur du Fresnoy.

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104. [Dont les Membres soient Grands.] Non pas en sorte qu’ils excedent la juste proportion : mais c’est à dire, que dans une belle Attitude les Membres du Corps les plus grands doivent plûtost paroistre que les petits : c’est pourquoy dans un autre endroit, il [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] défend autant que l’on pourra les Racourcis, parce qu’ils font paroistre les Membres petits, quoy que d’eux-mesmes ils soient grands.
104.
[Amples,] pour éviter la Maniere seiche & maigre, comme est ordinairement le Naturel, & comme l’ont imitée Lucas & Albert.

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114. [Accord des Parties avec leur Tout.] & estre bien ensemble, c’est la mesme chose. Il [ndr : C.-A. Du Fresnoy] entend icy parler de la justesse des Proportions & de l'harmonie qu'elles font les unes avec les autres. Plusieurs Auteurs celebres en ont traité à fonds, entr’autres Paul Lomasse, dont le premier Livre ne parle d’aucune autre chose, mais il y a tant de subdivisions, qu’il faut avoir bonne teste pour ne s’en pas rebuter. Voicy celles que nostre Auteur a remarquées en general sur les plus belles Antiques : je les croy d’autant meilleures, qu’elles sont conformes à celles que donne Vitruve dans son 3. liv. chap. I. & qu’il dit les avoir apprises des Ouvriers mesmes, puisque dans la Preface de son 7. liv. il fait gloire d’avoir appris des autres, & notamment des Peintres & des Architectes.
Mesures du Corps Humain.
Les Anciens ont pour l’ordinaire donné huit testes à leurs Figures, quoy que quelques-unes n’en ayent que sept. Mais l’on divise la Figure ordinairement en † dix faces, sçavoir depuis le sommet de la Teste jusqu’à la plante des Pieds, en la maniere qui s’ensuit. {† Cela dépend de l’âge & de la qualité des personnes : L’Apollon & la Venus de Medicis ont plus de dix faces.} […] 

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104. [Dont les Membres soient Grands.] Non pas en sorte qu’ils excedent la juste proportion : mais c’est à dire, que dans une belle Attitude les Membres du Corps les plus grands doivent plûtost paroistre que les petits : c’est pourquoy dans un autre endroit, il [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] défend autant que l’on pourra les Racourcis, parce qu’ils font paroistre les Membres petits, quoy que d’eux-mesmes ils soient grands.
104.
[Amples,] pour éviter la Maniere seiche & maigre, comme est ordinairement le Naturel, & comme l’ont imitée Lucas & Albert.

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117. [Quoy que la Perspective ne puisse pas estre appellée une Regle certaine, &c.] Ce n’est pas pour rejetter la Perspective qu’il [ndr : C.-A. Dufresnoy] parle ainsi, puis qu’il la conseille dans le Vers, comme une chose absolument necessaire. […] Voicy donc de quelle maniere il faut l’entendre, quand il dit, que la Perspective n’est pas une Regle certaine. C’est à dire, purement d’elle-mesme, sans la prudence & sans la discretion. La pluspart de ceux qui la sçavent, en voulant la pratiquer trop regulierement, font bien souvent des choses qui choquent la veuë, quoy qu’elles soient dans les Regles. […] La Corniche du Palais Farnese, qui fait un si bel effet d’en bas, de prés n’a point ses justes mesures. Dans la Colomne Trajane nous voyons que les Figures les plus élevées sont plus grandes que celles d’en bas, & font un effet tout contraire à la Perspective, puis qu’elles augmentent à mesure qu’elles s’éloignent. Je sçay qu’il y a une Regle, qui donne le moyen de les faire de la sorte ; & quoy qu’elle soit dans quelques Livres de Perspective, elle n’est pas pour cela Regle de Perspective ; puis qu’on ne s’en sert que lors seulement qu’on le juge à propos : car si par exemple les Figures qui sont au haut de la Colomne Trajane, n’estoient que de la mesme grandeur de celles qui sont au bas, elles ne seroient pas pour cela contre la Perspective ; & ainsi l’on peut dire avec plus de raison, que c’est une Regle de Bienseance dans la Perspective, pour soulager la veuë, & pour luy rendre les objets plus agreables. C’est sur ce fondement general que dans la Perspective on peut ainsi dire établir des Regles de Bienseance, quand l’occasion s’en rencontre. […] Ce que les Illustres Autheurs de ces belles choses ont fait, non pas en mépris de la Geometrie & de la Perspective, mais pour la satisfaction des yeux, qui estoit la fin qu’ils se sont toûjours proposée dans leurs Ouvrages. Il faut donc sçavoir la Perspective comme une chose absolument necessaire, & dont un Peintre ne peut se passer, sans pourtant s’assujettir si fort à elle, que l’on en devienne esclave […]

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Or de dire, comme il faut que ces Parties soient disposées pour exprimer les differentes Passions, c’est ce qui est impossible, & dont on ne peut donner de Regles bien precises, tant à cause que le travail en seroit infiny, que parce que chacun en doit user selon son Genie & selon l’étude qu’il en a dû faire. Souvenez-vous seulement de prendre garde que les Actions de vos Figures soient toutes naturelles. […] car il y en a qui s’imaginent avoir donné bien de la vie à leurs Figures, quand ils leur ont fait faire des Actions violentes & exagerées, que l’on peut appeler des Contorsions du Corps plûtost que des Passions de l’Ame ; & se donnent ainsi bien souvent de la peine, pour trouver quelque sorte de Passion où il n’en faut point du tout.
Joignez à tout ce que j’ay dit des Passions, Qu’il faut extremement avoir égard à la qualité des personnes passionnées : la Joye d’un Roy ne doit pas estre comme celle d’un valet, & la Fierté d’un Soldat ne doit pas ressembler à celle d’un Capitaine. C’est dans ces differences que consiste tout le fin & tout le delicat des passions. Paul Lomasse a écrit fort amplement sur chaque Passion en particulier dans son 2. Livre : mais prenez garde à ne vous y point trop arrester, & à ne point forcer vostre Genie.

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329. [La Grappe de Raisin.] Il est assez évident que le Titien par cette comparaison aussi judicieuse que familiere, a pretendu dire que l’on doit ramasser les Objets & les disposer de telle sorte, qu’ils composent un Tout, dont plusieurs Parties contiguës puissent estre éclairées, plusieurs ombrées, & d’autres de Couleurs rompuës, pour estre dans les Tournans ; de mesme que dans une Grappe de Raisin, plusieurs grains qui en font les parties, se trouvent dans le jour, plusieurs dans l’ombre, & d’autres dans la demie teinte, pour estre dans les Parties fuyantes. Le Tintoret dit un jour à Rubens, qu’il avoit oüi dire au Titien, Que dans tous ses plus grands Ouvrages, la Grappe de Raisin estoit son meilleur guide & sa principale Regle.

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432.  [Cherchez tout ce qui aide vôtre Art & qui luy convient, fuyez tout ce qui luy repugne.] Ce Precepte est admirable : il faut que le Peintre l'aye toûjours present dans l'esprit & dans la memoire ; c'est luy qui resout les difficultez que les Regles font naître, c'est luy qui délie les mains & qui aide l'entendement, c'est luy enfin qui met le Peintre en liberté, puis qu'il luy apprend, qu'il ne doit point s'assujettir servilement & en esclave aux Regles de son Art ; mais que les Regles de son Art luy doivent estre sujettes, en ne l'empeschant point de suivre son Genie qui les passe.

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435. [Aussi bien que les choses paroissent estre faites avec Facilité.] Cette facilité attire d’autant plus nos yeux & nos esprits, qu’il est à presumer qu’un beau travail qui nous paroist facile, vient d’une main sçavante & consommée. […] Mais il est impossible d’avoir cette Facilité, sans posseder parfaitement toutes les Regles de l’Art, & s’en estre fait un habitude : car la Facilité consiste à ne faire precisément que l’Ouvrage qu’il faut, & à mettre chaque chose dans sa place avec promptitude : ce qui ne se peut sans les Regles, qui sont des moyens assurez pour vous conduire, & pour terminer vos Ouvrages avec plaisir. Il est donc certain, contre l’opinion de plusieurs, que les Regles donnent de la Facilité, de la Tranquillité & de la promptitude dans les esprits les plus tardifs, & que ces mesmes Regles augmentent & dirigent cette Facilité dans ceux qui l’ont déja receuë d’une heureuse naissance.
D’où il s’ensuit que l’on peut considerer la Facilité de deux façons, ou simplement, comme une diligence & une promptitude d’esprit & de main, ou comme une disposition dans l’esprit de lever promptement toutes les difficultez qui se peuvent former dans l’Ouvrage. La premiere vient d’un temperament actif & plein de feu, & l’autre d’une veritable Science & d’une possession des Regles infaillibles ; celle-là est agreable, mais elle n’est pas toûjours sans inquietude, parce qu’elle fait égarer souvent ; & celle-cy au contraire fait agir avec un repos d’esprit & une tranquillité merveilleuse : car elle nous asseure de la bonté de nostre Ouvrage : c’est beaucoup que d’avoir la premiere ; mais c’est le comble de la perfection de les avoir l’une & l’autre, telle que les ont possedées Rubens & Vandeik, excepté la Partie du Dessein, qu’ils ont trop negligée. […]
Remarquez, s’il vous plaît, que la Facilité & la Diligence, dont je viens de parler, ne consistent pas à faire ce qu’on appelle des traits hardis, & à donner des coups de pinceau libres, s’ils ne font un grand effet d’une distance éloignée : Cette sorte de liberté est plûtost d’un Maistre à écrire que d’un Peintre. Je dis bien davantage, il est presque impossible que les choses peintes paroissent vrayes & naturelles, quand on y remarque ces sortes de traits hardis : & tous ceux qui ont le plus approché de la Nature, ne se sont pas servis de cette Manière de peindre. Tous ces cheveux filez & ces coups de pinceau qui forment des hachures, sont à la verité admirables : mais ils ne trompent pas la veuë.

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39. [Dont le choix s’en doit faire selon le goust & la maniere des Anciens.] C’est à dire, selon les Statües, les Bas-reliefs, & selon les autres Ouvrages Antiques, tant des Grecs que des Romains. On appelle Antique ce qui a esté fait depuis Alexandre le Grand jusqu’à l’Empereur Phocas, sous l’Empire duquel les Arts furent ruïnez par la guerre. Ces Ouvrages Antiques ont toûjours esté depuis leur naissance, la Regle de la Beauté. Et en effet, leurs Auteurs ont pris un tel soin de les mettre dans la perfection où nous les voyons, qu’ils se servoient, non pas d’un seul Naturel, mais de plusieurs dont ils prenoient les parties les plus regulieres pour en faire un beau Tout […]

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73. [Qui soit plein de sel.] Aliquid salis, Quelque chose d’ingenieux, de fin, de piquant, d’extraordinaire, d’un goust relevé & qui soit propre à instruire & à éclaircir les esprits. Il faut que les Peintres fassent comme les Orateurs (dit Ciceron) qu’ils instruisent, qu’ils divertissent, & qu’ils touchent : & c’est proprement ce que veut dire ce mot de Sel.

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256. [La Cromatique.] La troisième & derniere Partie de la Peinture s’appelle Cromatique, ou Coloris. Elle a pour objet la Couleur : c’est pourquoy les Lumieres & les Ombres y sont aussi comprises, qui ne sont autre chose que du Blanc & du Brun, & par consequent qui ont rang parmy les Couleurs. […] Disons donc, Que la Cromatique fait ses observations sur les Masses ou Corps des Couleurs, accompagnées de Lumieres & d’Ombres plus ou moins évidentes par degrez de diminution, selon les accidens, premierement du Corps lumineux, comme du Soleil ou d’un flambeau ; secondement du Corps diaphane, qui est entre nous & l’objet, comme l’Air pur ou épais, ou une vitre rouge, &c. 3. du Corps solide illuminé, comme une Statuë de marbre blanc, un arbre vert, un cheval noir, &c. 4. de la part de celuy qui regarde le Corps illuminé le voyant de loin ou de prés, directement en ange droit, ou de biais en angle obtus, de haut en bas, ou de bas en haut. Cette Partie dans la connoissance qu’elle a de la valeur des Couleurs, de l’amitié qu’elles ont ensemble, & de leur antipathie, comprend la Force, le Relief, la Fierté, & ce Precieux que l’on remarque dans les bons Tableaux. Le maniement des Couleurs & le travail dépendent encore de cette derniere Partie.

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286. [De la mesme façon que le Miroir convexe vous le montre.] Le Miroir convexe altere les Objets qui sont au milieu, de sorte qu’il semble les faire sortir hors de sa superficie. Le Peintre en usera de cette maniere à l’égard du Clair-Obscur de ses Figures, pour leur donner plus de relief & plus de force.

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145. [Que l’un des costez du Tableau, &c.] Cette espece de Symetrie, quand elle ne paroist point affectée, remplit agreablement le Tableau, le tient comme dans l’équilibre, & plaist infiniment aux yeux, qui en embrassent l’ouvrage avec plus de repos.

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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

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385. [Qu’il y ait une telle harmonie dans vostre Tableau, que toutes les Ombres n'en paroißent qu'une.] Il [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] a dit ailleurs, qu'après de grands Clairs, il faut de grandes Ombres, qu'il appelle des Repos. Ce qu'il entend par ce Precepte-cy, est, que tout ce qui se trouve dans ces grandes Ombres, participe de la Couleur l'un de l'autre, en sorte que toutes les differentes Couleurs qui sont bien distinguées dans le Clair, semblent n'estre qu'une dans l'Obscur par leur grande union.

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Couleurs rompuës. Les Couleurs sont rompües lorsqu’elles ne sont pas employées toutes simples & pures, mais qu’on en mesle deux ou plusieurs ensemble pour en affoiblir & éteindre une trop vive ; Comme quand pour diminuer de la vivacité de la Laque, on y mesle un peu de terre verte ; ou bien, quand pour oster de l’éclat du Vermillon, on y mesle du brun rouge, soit en détrempant les Couleurs sur la palette, soit après qu’elles sont couchées sur la toile & en travaillant. Quand une draperie que est d’un jaune clair se trouve ombrée d’une laque obscure, on dit d’ordinaire que cette draperie est jaune rompuë de rouge. C’est pourtant mieux dit qu’elle est jaune ombrée de laque, si les deux couleurs sont separées : car le mot rompu ne se prend proprement que lors que la couleur n’est pas pure, mais meslée avec une autre. Enfin une couleur rompuë, parmy les Peintres, est celle que l’on esteint, & dont l’on diminuë la force ; ce qui sert beaucoup pour l’union & l’accord qui doit estre dans toutes celles qui composent un Tableau. Le Titien, Paul Veronese, & les autres Lombards s’en sont heureusement servis, comme l’a fort bien remarqué M. de Pile sur la poëme du sieur du Fresnoy. Les Italiens nomment cela Rottura de colori.

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50. [comme l’Arbitre souverain de son Art] Ce mot d’Arbitre souverain, presuppose un Peintre pleinement instruit de toutes les Parties de la Peinture ; en sorte que s’estant mis comme au dessus de son Art, il en soit le Maistre & le Souverain : ce qui n’est pas une petite affaire. Ceux de la Profession ont si rarement cette suprême capacité, qu’il s’en trouve bien peu qui puissent estre de bons Juges des Ouvrages, & que je ferois souvent plus d’estat de l’avis d’un homme de bon sens, qui n’auroient jamais manié le Pinceau, que de celuy de la pluspart des Peintres. Tous les peintres peuvent donc estre Arbitres de leur Art ; mais pour estre souverains Arbitres, il n’appartient qu’aux sçavans Peintres.

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68. [Un sujet beau & noble, qui estant de soy-mesme capable &c.] La Peinture est non seulement divertissante & agreable, mais elle est encore comme un Memorial de tout ce qui s’est passé de plus beau dans l’Antiquité, nous remettant l’Histoire devant les yeux, comme si elle se passoit effectivement ; jusques-là mesme, qu’à la veuë des Tableaux où les belles actions sont representées, nous nous sentons piquez d’honneur de nous rendre capables de quelque chose de semblable, de mesme que si nous avions leu quelque belle Histoire. La beauté du Sujet donne de l’amour & de l’admiration pour le Tableau, comme le beau Tableau fait entrer dans le Sujet qu’il represente, & l’imprime plus avant dans l’esprit & dans la memoire. Ce sont deux chaînons engagez l’un dans l’autre, qui contiennent & sont contenus, & dont la matiere doit estre également precieuse

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…] Il y a une chose de tres-grande consequence à observer dans l’Œconomie de tout l'Ouvrage, c'est que d'abord l'on reconnoisse la qualité du Sujet, & que le Tableau du premier coup d'œil en inspire la Passion principale : par exemple, si le Sujet que vous avez entrepris de traitter, est de joye, il faut que tout ce qui entrera dans votre Tableau contribuë à cette Passion, en sorte que ceux qui le verront en soient aussi-tost touchez. Si c’est un Sujet lugubre, tout y ressentira la tristesse, & ainsi des autres Passions & qualitez des Sujets.

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81. [Que vos Compositions soient conformes au, &c.] Il faut prendre garde que les licences des Peintres soient plûtost pour orner l’Histoire que pour la corrompre. Et si Horace permet aux Peintres & aux Poëtes de tout oser, ce n’est pas pour faire des choses hors de la vraye-semblance […] Traitez donc les Sujets de vos Tableaux avec toute la fidélité possible ; & vous servez hardiment de vos licences, pourveu qu'elles soient ingenieuses, & non pas immoderées & extravagantes. 

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83. [Donnez vous de garde que ce qui ne fait rien au Sujet, &c.] Rien n’affadit tant la composition d’un Tableau que les Figures qui ne font rien au Sujet : on les peut appeler fort plaisamment les Figures à loüer.  

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129. [Que la principale Figure du Sujet, &c.] L’un des plus grands vices que puisse avoir un Tableau, c’est de ne pas donner à connoistre de prime-abord le Sujet qu’il represente : & dans la verité rien n’embroüille davantage, que d’en éteindre la Figure principale, par l’opposition de quelques autres, qui se presentent d’abord à la veuë, & qui brillent beaucoup plus. […] Un Peintre est comme un Orateur, il faut qu’il dispose les choses en sorte que tout cede à son principal Sujet : & si les autres Figures qui ne font que l’accompagner & qui n’y sont qu’accessoires, occupent la principale place, & qu’elles se fassent remarquer, ou par la beauté de leurs Couleurs, ou par l’éclat de la Lumière dont elles sont frappées, elles arresteront tout court la veuë, & ne luy permettront pas d’aller plus loin, qu’apres beaucoup de temps, pour chercher enfin ce qu’elle n’a pas trouvé d’abord. La Figure Principale dans un Tableau, est comme un Roy parmy ses Courtisans, que l’on doit reconnoistre au premier coup d’œil, & qui doit ternir l’éclat de tous ceux qui l’accompagnent. Les Peintres qui en usent autrement, qui la mettent dans l’ombre, ou qui l’enfoncent trop avant dans le Tableau, font justement comme ceux qui en racontant une Histoire, s’engagent imprudemment dans une digression si longue, qu’ils sont contraints de finir par là, & de conclure par toute autre chose que par leur Sujet.  

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145. [Que l’un des costez du Tableau, &c.] Cette espece de Symetrie, quand elle ne paroist point affectée, remplit agreablement le Tableau, le tient comme dans l’équilibre, & plaist infiniment aux yeux, qui en embrassent l’ouvrage avec plus de repos.

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Pour ce qui est des Couleurs rompuës ou composées, on doit juger de leur force par celle des Couleurs qui les composent. Tous ceux qui ont bien entendu l'accord des Couleurs, ne les ont pas employées toutes pures dans leurs Draperies, sinon dans quelque Figure sur la premiere ligne du Tableau : mais ils se sont servis de Couleurs rompuës & composées, dont ils ont fait une pour les yeux, en mélant celles qui ont quelque sympathie les unes avec les autres, pour en faire un Tout qui ayt de l'union avec les Couleurs qui luy sont voisines. […]

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361. [Que jamais deux extremitez contraires, &c.] Le Sens de la veuë a cela de commun avec tous les autres, qu’il abhorre les extremitez contraires. Et de mesme que les mains qui ont grand froid, souffrent beaucoup lors qu’on les approche tout d’un coup du feu ; ainsi les yeux qui trouvent un extreme Blanc auprés d’un extreme Noir, ou un bel Azur auprés d’un Vermillon ardent, ne sçauroient regarder ces extremitez qu’avec peine, quoy qu’ils y soient toûjours attirez par l’éclat des deux contraires.
Ce Precepte oblige de sçavoir les Couleurs qui ont amitié ensemble, & celles qui sont incompatibles ; ce que l’on pourra aisément découvrir en mélant ensemble les Couleurs dont on veut faire épreuve : & si par ce mélange elles font une Couleur douce & qui ne soit point desagreable aux yeux, c’est une marque qu’il y a de l’union & de la sympathie entr’elles ; si au contraire la Couleur qui sera produite du mélange des deux autres, est rude à la veuë, il faut conclure qu’il y a de la contrarieté & de l’antipathie entre ces deux Couleurs. Le Vert par exemple est une Couleur agreable, qui peut venir du Bleu & du Jaune mélez ensemble, & par consequent le Bleu & le Jaune sont deux Couleurs qui sympathisent. Et tout au contraire le mélange du Bleu & du Vermillon ont une antipathie ensemble ; & ainsi des autres couleurs, dont vous pouvez faire essay, & vous éclaircir une fois pour toutes. […] L’on peut neantmoins passer par dessus ce Precepte, quand on n’a qu’une ou deux Figures à traiter, & que parmy un grand nombre on en veut faire remarquer quelqu’une, qui est des principales du Sujet, & qui autrement ne pourroit se faire remarquer par dessus les autres. Titien dans le Tableau qu’il a fait du Triomphe de Bacchus, ayant placé Ariadne sur l’un des costez du Tableau, & ne pouvant pour cette raison la faire remarquer par les éclats de la lumiere qu’il a voulu conserver dans le milieu, il luy a donné une écharpe de Vermillon sur une Draperie bleuë, tant pour la détacher de son fonds qui est déjà une mer bleuë, qu’à cause que c’est une des principales Figures du Sujet, sur laquelle il veut que l’œil soit attiré. Paul Veronese dans sa Noce de Cana, parce que le Christ, qui est la Principale Figure du Sujet, est un peu enfoncé dans le Tableau, & qu’il n’a pû le faire remarquer par le brillant du Clair-Obscur, il l’a vestu de Bleu & de Vermillon, pour faire que la veuë se portast sur cette Figure.
Les Couleurs ennemies se pourront d’autant plus allier, que vous y meslerez d’autres Couleurs qui auront de la sympathie l’une avec l’autre, & qui s’accorderont avec celles que vous voudrez, pour ainsi dire, reconcilier.

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68. [Un sujet beau & noble, qui estant de soy-mesme capable &c.] La Peinture est non seulement divertissante & agreable, mais elle est encore comme un Memorial de tout ce qui s’est passé de plus beau dans l’Antiquité, nous remettant l’Histoire devant les yeux, comme si elle se passoit effectivement ; jusques-là mesme, qu’à la veuë des Tableaux où les belles actions sont representées, nous nous sentons piquez d’honneur de nous rendre capables de quelque chose de semblable, de mesme que si nous avions leu quelque belle Histoire. La beauté du Sujet donne de l’amour & de l’admiration pour le Tableau, comme le beau Tableau fait entrer dans le Sujet qu’il represente, & l’imprime plus avant dans l’esprit & dans la memoire. Ce sont deux chaînons engagez l’un dans l’autre, qui contiennent & sont contenus, & dont la matiere doit estre également precieuse

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78. [Il est fort à propos en cherchant, &c.] Voicy le plus important Precepte de tous ceux de la Peinture. Il appartient proprement au Peintre seul, & tous les autres sont empruntez, de belles Lettres, de la Medecine, des Mathematiques, ou enfin des autres Arts : car il suffit d’avoir de l’esprit & des Lettres, pour faire une tres belle Invention : Pour dessiner, il faut de l’Anatomie ; un Mathematicien mettra fort bien les bastimens & autres choses en Perspective, & les autres Arts apporteront de leur costé ce qui est necessaire pour la matiere d’un beau Tableau : Mais pour l’œconomie du Tout-ensemble, il n’y a que le Peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du Peintre est de tromper agreablement les yeux : ce qu’il ne fera jamais, si cette Partie lui manque. Un Tableau peut faire un mauvais effet, lequel sera d’une sçavante Invention, d’un Dessein correct, & qui aura les Couleurs les plus belles & les plus fines : Et au contraire, on peut en voir d’autres mal Inventez, mal Dessinez, & peints de Couleurs les plus communes, qui feront un tres-bon effet, & qui tromperont beaucoup davantage. […] 
Ce Precepte est proprement l’usage & l’application de tous les autres : c’est pourquoy il demande beaucoup de Jugement. Il faut donc tellement prevoir les choses, que vostre Tableau soit peint dans vostre teste devant que de l’estre sur la toile. […] Il est certain que ceux qui ont cette prevoyance, travaillent avec un plaisir & une facilité incroyable ; & que les autres au contraire, ne font que changer et rechanger leur Ouvrage, qui ne leur laisse au bout du conte que du chagrin. 
On peut inferer de ce que je viens de dire, que l'Invention & la Disposition sont deux Parties differentes. En effet, quoy que la derniere dépende de l'autre, & qu'elle y soit communement comprise, il faut cependant bien se garder de les confondre : L'Invention trouve simplement les choses, & en fait un choix convenable à l'Histoire que l'on traite ; & la Disposition les distribuë chacune à sa place quand elles sont inventées, & accommode les Figures & les Grouppes en particulier, & le Tout-ensemble du Tableau en general ; en sorte que cette Œconomie produit le mesme effet pour les yeux, qu'un Concert de Musique pour les oreilles.

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290. [Et que celles qui tournent, sont de Couleurs rompuës, comme estant moins distinguées & plus proches des bords.] Il faut que le Peintre imite encore le Miroir convexe en cecy, & qu'aux bords de son Tableau il n'y mette rien de petillant, ny en Couleur, ny en Lumiere. Il y a deux raisons pour cela : la premiere est, que d'abord l'œil se porte ordinairement au milieu de l'Objet qui se presente à luy, & que par consequent il faut qu'il y trouve le Principal Objet, pour estre satisfait : Et l'autre raison est, que les bords estant chargez d'ouvrage fort & petillant, ils attirent les yeux qui sont comme en inquietude de ne voir pas une continuité de cet Ouvrage, qui est tout d'un coup interrompu par les bords du Tableau : au lieu que ces bords estant legers d'ouvrage, l'œil demeure au centre du Tableau, & l'embrasse plus agreablement : C'est pour cette mesme raison que dans une grande Composition de Figures, celles qui estant sur le devant seront coupées par la base du Tableau, feront toûjours un mauvais effet.

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388. [Le Miroir vous apprendra, &c.] Le Peintre doit avoir principalement égard aux Masses & à l’effet du Tout-ensemble. Le Miroir éloigne les objets, & par consequent il n’en fait voir que les Masses, dans lesquelles toutes les petites parties sont confonduës. […] 
Puisque le Miroir est la Regle & le maistre des Peintres, en leur faisant voir leurs défauts par l’éloignement & la distance où il chasse les Objets, concluez que le Tableau qui ne fait pas un bon effet de loin, ne peut pas estre bien, & qu’il ne faut jamais finir son Tableau, qu’auparavant on n’ait examiné d’une distance assez considerable, ou avec un Miroir, si les Masses du Clair-Obscur & les corps des Couleurs sont bien distribuez. Le Georgion & le Correge se servoient de cette methode.

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Le peintre en effet est l’homme de tous les talens, c’est un poëte, un historien, un fidèle imitateur, ou plutôt un rival de la nature ; ne sçait-on pas que c’est elle seule qui forme les peintres ainsi que les poëtes ? Ils montent, si l’on en croit un (a) moderne, également sur le Parnasse ; leurs arts dépendent du génie, ils ont pour objet commun d’émouvoir les passions & de plaire. Tous deux sont dans l’obligation de représenter des images plus riches, plus riantes, plus belles que celles que l’on voit ordinairement, c’est par ce moyen que l’on irrite plus vivement les passions, & que par le plaisir qu’elles procurent, le spectateur participe de l’enthousiasme qui les a fait naître. Son art est une (b) poësie, une expression (c) muette, qui secondée des couleurs, parle aux yeux, à l’esprit & au cœur. Qui peut douter qu’un tableau ne soit un vrai poëme ?
(a) Reflexions critiques sur la poesie & sur la peinture, par l’Abbé du Bos. Tom. 2 p. 27.
(b) Ut pictura poësis erit. Hor. de arte poet.
(c) Muta poësis. D. Fresnoy. De arte graphica.

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472. [Soyez prompt à mettre sur vos Tablettes, &c.] Comme ont fait le Titien & les Caraches. L'on voit entre les mains des Curieux de Peinture quantité de Remarques que ces grands Hommes ont faites sur des feüilles, & sur des Livres en Tablettes qu'ils portoient toûjours sur eux.

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Pour ce qui est des Couleurs rompuës ou composées, on doit juger de leur force par celle des Couleurs qui les composent. Tous ceux qui ont bien entendu l'accord des Couleurs, ne les ont pas employées toutes pures dans leurs Draperies, sinon dans quelque Figure sur la premiere ligne du Tableau : mais ils se sont servis de Couleurs rompuës & composées, dont ils ont fait une pour les yeux, en mélant celles qui ont quelque sympathie les unes avec les autres, pour en faire un Tout qui ayt de l'union avec les Couleurs qui luy sont voisines. […]

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78. [Il est fort à propos en cherchant, &c.] Voicy le plus important Precepte de tous ceux de la Peinture. Il appartient proprement au Peintre seul, & tous les autres sont empruntez, de belles Lettres, de la Medecine, des Mathematiques, ou enfin des autres Arts : car il suffit d’avoir de l’esprit & des Lettres, pour faire une tres belle Invention : Pour dessiner, il faut de l’Anatomie ; un Mathematicien mettra fort bien les bastimens & autres choses en Perspective, & les autres Arts apporteront de leur costé ce qui est necessaire pour la matiere d’un beau Tableau : Mais pour l’œconomie du Tout-ensemble, il n’y a que le Peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du Peintre est de tromper agreablement les yeux : ce qu’il ne fera jamais, si cette Partie lui manque. Un Tableau peut faire un mauvais effet, lequel sera d’une sçavante Invention, d’un Dessein correct, & qui aura les Couleurs les plus belles & les plus fines : Et au contraire, on peut en voir d’autres mal Inventez, mal Dessinez, & peints de Couleurs les plus communes, qui feront un tres-bon effet, & qui tromperont beaucoup davantage. […] 
Ce Precepte est proprement l’usage & l’application de tous les autres : c’est pourquoy il demande beaucoup de Jugement. Il faut donc tellement prevoir les choses, que vostre Tableau soit peint dans vostre teste devant que de l’estre sur la toile. […] Il est certain que ceux qui ont cette prevoyance, travaillent avec un plaisir & une facilité incroyable ; & que les autres au contraire, ne font que changer et rechanger leur Ouvrage, qui ne leur laisse au bout du conte que du chagrin. 
On peut inferer de ce que je viens de dire, que l'Invention & la Disposition sont deux Parties differentes. En effet, quoy que la derniere dépende de l'autre, & qu'elle y soit communement comprise, il faut cependant bien se garder de les confondre : L'Invention trouve simplement les choses, & en fait un choix convenable à l'Histoire que l'on traite ; & la Disposition les distribuë chacune à sa place quand elles sont inventées, & accommode les Figures & les Grouppes en particulier, & le Tout-ensemble du Tableau en general ; en sorte que cette Œconomie produit le mesme effet pour les yeux, qu'un Concert de Musique pour les oreilles.

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388. [Le Miroir vous apprendra, &c.] Le Peintre doit avoir principalement égard aux Masses & à l’effet du Tout-ensemble. Le Miroir éloigne les objets, & par consequent il n’en fait voir que les Masses, dans lesquelles toutes les petites parties sont confonduës. […] 
Puisque le Miroir est la Regle & le maistre des Peintres, en leur faisant voir leurs défauts par l’éloignement & la distance où il chasse les Objets, concluez que le Tableau qui ne fait pas un bon effet de loin, ne peut pas estre bien, & qu’il ne faut jamais finir son Tableau, qu’auparavant on n’ait examiné d’une distance assez considerable, ou avec un Miroir, si les Masses du Clair-Obscur & les corps des Couleurs sont bien distribuez. Le Georgion & le Correge se servoient de cette methode.

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1. [La Peinture & la Poësie sont deux Sœurs qui se ressemblent si fort en toutes choses.] Elles tendent toutes deux à mesme fin, qui est l’Imitation. Toutes deux excitent nos passions ; & nous nous laissons tromper volontairement, mais agreablement par l’une & par l’autre ; nos yeux & nos esprits y sont si fort attachez, que nous voulons nous persuader que les Corps peints respirent, & que les fictions sont des veritez. Toutes deux sont occupées par les belles actions des Heros, & travaillent à les éterniser. Toutes deux enfin sont appuyées sur les forces de l’Imagination, & se servent des licences qu’Apollon leur donne également, & que leur Genie leur inspire. {Horace} Pictoribus atque Poëtis Quidlibet audendi semper fuit aequa potestas. L’avantage que la Peinture a pardessus la Poësie, est, Que parmy cette grande diversité de Langues, elle se fait entendre de toutes les Nations de la Terre ; & qu’elle est necessaire à tous les autres Arts, à cause du besoin qu’ils ont de figures demonstratives, qui donnent bien souvent plus d’intelligence que tous les discours du monde.

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78. [Il est fort à propos en cherchant, &c.] Voicy le plus important Precepte de tous ceux de la Peinture. Il appartient proprement au Peintre seul, & tous les autres sont empruntez, de belles Lettres, de la Medecine, des Mathematiques, ou enfin des autres Arts : car il suffit d’avoir de l’esprit & des Lettres, pour faire une tres belle Invention : Pour dessiner, il faut de l’Anatomie ; un Mathematicien mettra fort bien les bastimens & autres choses en Perspective, & les autres Arts apporteront de leur costé ce qui est necessaire pour la matiere d’un beau Tableau : Mais pour l’œconomie du Tout-ensemble, il n’y a que le Peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du Peintre est de tromper agreablement les yeux : ce qu’il ne fera jamais, si cette Partie lui manque. Un Tableau peut faire un mauvais effet, lequel sera d’une sçavante Invention, d’un Dessein correct, & qui aura les Couleurs les plus belles & les plus fines : Et au contraire, on peut en voir d’autres mal Inventez, mal Dessinez, & peints de Couleurs les plus communes, qui feront un tres-bon effet, & qui tromperont beaucoup davantage. […] 
Ce Precepte est proprement l’usage & l’application de tous les autres : c’est pourquoy il demande beaucoup de Jugement. Il faut donc tellement prevoir les choses, que vostre Tableau soit peint dans vostre teste devant que de l’estre sur la toile. […] Il est certain que ceux qui ont cette prevoyance, travaillent avec un plaisir & une facilité incroyable ; & que les autres au contraire, ne font que changer et rechanger leur Ouvrage, qui ne leur laisse au bout du conte que du chagrin. 
On peut inferer de ce que je viens de dire, que l'Invention & la Disposition sont deux Parties differentes. En effet, quoy que la derniere dépende de l'autre, & qu'elle y soit communement comprise, il faut cependant bien se garder de les confondre : L'Invention trouve simplement les choses, & en fait un choix convenable à l'Histoire que l'on traite ; & la Disposition les distribuë chacune à sa place quand elles sont inventées, & accommode les Figures & les Grouppes en particulier, & le Tout-ensemble du Tableau en general ; en sorte que cette Œconomie produit le mesme effet pour les yeux, qu'un Concert de Musique pour les oreilles.

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435. [Aussi bien que les choses paroissent estre faites avec Facilité.] Cette facilité attire d’autant plus nos yeux & nos esprits, qu’il est à presumer qu’un beau travail qui nous paroist facile, vient d’une main sçavante & consommée. […] Mais il est impossible d’avoir cette Facilité, sans posseder parfaitement toutes les Regles de l’Art, & s’en estre fait un habitude : car la Facilité consiste à ne faire precisément que l’Ouvrage qu’il faut, & à mettre chaque chose dans sa place avec promptitude : ce qui ne se peut sans les Regles, qui sont des moyens assurez pour vous conduire, & pour terminer vos Ouvrages avec plaisir. Il est donc certain, contre l’opinion de plusieurs, que les Regles donnent de la Facilité, de la Tranquillité & de la promptitude dans les esprits les plus tardifs, & que ces mesmes Regles augmentent & dirigent cette Facilité dans ceux qui l’ont déja receuë d’une heureuse naissance.
D’où il s’ensuit que l’on peut considerer la Facilité de deux façons, ou simplement, comme une diligence & une promptitude d’esprit & de main, ou comme une disposition dans l’esprit de lever promptement toutes les difficultez qui se peuvent former dans l’Ouvrage. La premiere vient d’un temperament actif & plein de feu, & l’autre d’une veritable Science & d’une possession des Regles infaillibles ; celle-là est agreable, mais elle n’est pas toûjours sans inquietude, parce qu’elle fait égarer souvent ; & celle-cy au contraire fait agir avec un repos d’esprit & une tranquillité merveilleuse : car elle nous asseure de la bonté de nostre Ouvrage : c’est beaucoup que d’avoir la premiere ; mais c’est le comble de la perfection de les avoir l’une & l’autre, telle que les ont possedées Rubens & Vandeik, excepté la Partie du Dessein, qu’ils ont trop negligée. […]
Remarquez, s’il vous plaît, que la Facilité & la Diligence, dont je viens de parler, ne consistent pas à faire ce qu’on appelle des traits hardis, & à donner des coups de pinceau libres, s’ils ne font un grand effet d’une distance éloignée : Cette sorte de liberté est plûtost d’un Maistre à écrire que d’un Peintre. Je dis bien davantage, il est presque impossible que les choses peintes paroissent vrayes & naturelles, quand on y remarque ces sortes de traits hardis : & tous ceux qui ont le plus approché de la Nature, ne se sont pas servis de cette Manière de peindre. Tous ces cheveux filez & ces coups de pinceau qui forment des hachures, sont à la verité admirables : mais ils ne trompent pas la veuë.

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152. [De mesme que la Comédie, &c.] Annibal Carache ne croyoit pas qu'un Tableau pust estre bien, dans lequel on faisoit entrer plus de douze Figures : c'est l'Albane qui l'a dit à nostre Autheur, de qui je l'ay appris ; & la raison qu'il en apportoit, estoit premierement qu'il ne croyoit pas qu'on deust faire plus de trois grands Grouppes de Figures dans un Tableau ; & secondement que le Silence & la Majesté y estoient necessaires pour le rendre beau : ce qui ne se peut ny l'un ny l'autre dans une multitude & dans une foule de Figures. Que si neantmoins vous y estes contraint par le Sujet, comme seroit un Jugement universel, un Massacre des Innocens, une Bataille, &c. pour lors il faudroit disposer les choses par grandes Masses de Clair-Obscur & d'union de Couleurs, sans s'amuser à finir chaque chose en particulier indépendamment l'une de l'autre, comme font ceux qui ont un petit Genie, & dont l'esprit n'est pas capable d'embrasser un grand Dessein, ny une grande Composition.

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Pour ce qui est des Couleurs rompuës ou composées, on doit juger de leur force par celle des Couleurs qui les composent. Tous ceux qui ont bien entendu l'accord des Couleurs, ne les ont pas employées toutes pures dans leurs Draperies, sinon dans quelque Figure sur la premiere ligne du Tableau : mais ils se sont servis de Couleurs rompuës & composées, dont ils ont fait une pour les yeux, en mélant celles qui ont quelque sympathie les unes avec les autres, pour en faire un Tout qui ayt de l'union avec les Couleurs qui luy sont voisines. […]

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361. [Que jamais deux extremitez contraires, &c.] Le Sens de la veuë a cela de commun avec tous les autres, qu’il abhorre les extremitez contraires. Et de mesme que les mains qui ont grand froid, souffrent beaucoup lors qu’on les approche tout d’un coup du feu ; ainsi les yeux qui trouvent un extreme Blanc auprés d’un extreme Noir, ou un bel Azur auprés d’un Vermillon ardent, ne sçauroient regarder ces extremitez qu’avec peine, quoy qu’ils y soient toûjours attirez par l’éclat des deux contraires.
Ce Precepte oblige de sçavoir les Couleurs qui ont amitié ensemble, & celles qui sont incompatibles ; ce que l’on pourra aisément découvrir en mélant ensemble les Couleurs dont on veut faire épreuve : & si par ce mélange elles font une Couleur douce & qui ne soit point desagreable aux yeux, c’est une marque qu’il y a de l’union & de la sympathie entr’elles ; si au contraire la Couleur qui sera produite du mélange des deux autres, est rude à la veuë, il faut conclure qu’il y a de la contrarieté & de l’antipathie entre ces deux Couleurs. Le Vert par exemple est une Couleur agreable, qui peut venir du Bleu & du Jaune mélez ensemble, & par consequent le Bleu & le Jaune sont deux Couleurs qui sympathisent. Et tout au contraire le mélange du Bleu & du Vermillon ont une antipathie ensemble ; & ainsi des autres couleurs, dont vous pouvez faire essay, & vous éclaircir une fois pour toutes. […] L’on peut neantmoins passer par dessus ce Precepte, quand on n’a qu’une ou deux Figures à traiter, & que parmy un grand nombre on en veut faire remarquer quelqu’une, qui est des principales du Sujet, & qui autrement ne pourroit se faire remarquer par dessus les autres. Titien dans le Tableau qu’il a fait du Triomphe de Bacchus, ayant placé Ariadne sur l’un des costez du Tableau, & ne pouvant pour cette raison la faire remarquer par les éclats de la lumiere qu’il a voulu conserver dans le milieu, il luy a donné une écharpe de Vermillon sur une Draperie bleuë, tant pour la détacher de son fonds qui est déjà une mer bleuë, qu’à cause que c’est une des principales Figures du Sujet, sur laquelle il veut que l’œil soit attiré. Paul Veronese dans sa Noce de Cana, parce que le Christ, qui est la Principale Figure du Sujet, est un peu enfoncé dans le Tableau, & qu’il n’a pû le faire remarquer par le brillant du Clair-Obscur, il l’a vestu de Bleu & de Vermillon, pour faire que la veuë se portast sur cette Figure.
Les Couleurs ennemies se pourront d’autant plus allier, que vous y meslerez d’autres Couleurs qui auront de la sympathie l’une avec l’autre, & qui s’accorderont avec celles que vous voudrez, pour ainsi dire, reconcilier.

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385. [Qu’il y ait une telle harmonie dans vostre Tableau, que toutes les Ombres n'en paroißent qu'une.] Il [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] a dit ailleurs, qu'après de grands Clairs, il faut de grandes Ombres, qu'il appelle des Repos. Ce qu'il entend par ce Precepte-cy, est, que tout ce qui se trouve dans ces grandes Ombres, participe de la Couleur l'un de l'autre, en sorte que toutes les differentes Couleurs qui sont bien distinguées dans le Clair, semblent n'estre qu'une dans l'Obscur par leur grande union.

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219. [Il sera tres-expedient de faire un Modele des choses, dont le Naturel est difficile à tenir, & dont nous ne pouvons pas disposer comme il nous plaist ] Comme des Grouppes de plusieurs Figures, des Attitudes difficiles à tenir long-temps, des Figures en l'air, en Plat-fond, ou élevées beaucoup au dessus de la veuë, & des Animaux mesmes dont on ne dispose pas aisément. Par ce Precepte l'on voit assez la necessité qu'a un Peintre de sçavoir Modeler, & d'avoir plusieurs Modeles de cire maniables. Paul Veronese en avoit un si bon nombre, avec une si grande quantité d'Etoffes différentes, qu'il en mettoit toute une Histoire ensemble sur un Plan dégradé pour grande & pour diversifiée qu'elle fust. Tintoret en usoit ainsi, & Michelange, au rapport de Jean Baptiste Armenini, s'en est servy pour toutes les Figures de son Jugement. Ce n'est pas que je conseille à personne, quand on voudra faire quelque chose de bien considerable, de finir d'apres ces sortes de Modeles : mais ils serviront beaucoup, & seront d'un grand avantage pour voir les Masses des grandes Lumières & des grandes Ombres, & l'effet du Tout-ensemble. Du reste vous devez avoir un Manequin à peu prés grand comme Nature pour chaque Figure en particulier, sans manquer pour cela de voir le Naturel, & de l'appeller comme un témoin qui doit confirmer la chose à vous premièrement, puis aux Spectateurs, comme elle est dans la vérité. Vous pourrez vous servir de ces Modeles avec plaisir, si vous les mettez sur un Plan degradé à proportion des Figures, qui sera comme une table faite exprés, que vous pourrez hausser & rabaisser selon vostre commodité, & si vous regardez vos Figures par un trou ambulatoire, qui servira de Point de veuë & de Point de distance, quand vous l'aurez une fois arresté. Ce mesme trou vous servira encore pour voir vos Figures en Plat-fond, & disposées sur une grille de fil de fer, ou soûtenües en l'air par des petits filets élevez à discretion, ou de l'une & l'autre maniere tout ensemble. Vous joindrez à vos Figures tout ce qu'il vous plaira, pourveu que le tout leur soit proportionné, & qu'enfin vous vous imaginiez vous-mesme n'estre que de leur grandeur : Ainsi l'on verra dans tout ce que vous ferez plus de vérité, vostre Ouvrage vous donnera un plaisir incroyable, & vous éviterez quantité de doutes & de difficultez qui arrestent bien souvent, & principalement pour ce qui est de la Perspective lineale que vous y trouverez indubitablement : pourveu que vous vous souveniez de tout proportionner à la grandeur de vos Figures, & specialement les Points de veuë & de distance : mais pour ce qui est de la Perspective aërée, ne s'y trouvant pas, le Jugement y doit suppléer. {*Ridolfi dans sa Vie.} *Le Tintoret avoit fait des Chambres d'ais & de cartons proportionnées à ses Modeles, avec des portes & des fenestres, par où il distribuoit sur ses Figures des Lumieres artificielles autant qu'il jugeoit à propos ; & il passoit assez souvent une partie de la nuit à considerer & à remarquer l'effet de ses Compositions : Ses Modeles estoient de deux pieds de haut.

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105. [Inégaux dans leur Position, en sorte que ceux de devant contrastent les autres qui vont en arriere, & soient tous également balancez sur leur centre.] Les mouvemens ne sont jamais naturels, si les Membres ne sont également balancez sur leur centre ; & ces Membres ne peuvent estre balancez sur leur centre dans une égalité de poids, qu'ils ne se contrastent les uns les autres. Un homme qui danse sur la corde, fait voir fort clairement cette verité. Le Corps est un poids balancé sur ses pieds, comme sur deux pivots ; & s’il n’y en a qu’un qui porte, comme il arrive le plus souvent, vous voyez que tout le poids est retiré dessus centralement, en sorte que si par exemple le bras avance, il faut de nécessité, ou que l’autre bras, ou que la jambe aille en arriere, ou que le Corps soit tant soit peu courbé du costé contraire, pour estre dans son Equilibre & dans une situation hors de contrainte. Il se peut faire, mais rarement, si ce n’est dans les Vieillards, que les deux pieds portent également ; & pour lors il n’y a qu’à distribuer la moitié du poids sur chaque pied. Vous userez de la mesme prudence, si l’un des pieds portoit les trois quarts du fardeau, & que l’autre portast le reste. Voila en general ce que l’on peut dire de la Balance & de la Ponderation du Corps : du reste, il y a quantité de choses tres-belles & tres-remarquables à dire ; & vous pourrez vous en satisfaire dans Leonard de Vincy ; il a fait merveille là-dessus, & l'on peut dire que la Ponderation est la plus belle & la plus saine partie de son Livre sur la Peinture. Elle commence au CLXXXI. Chapitre, & finit au CCLXXIII. Je vous conseille de voir encore Paul Lomasse dans son 6. l. chap. IIII. Del moto del Corpo humano, vous y trouverez des choses tres-utiles. Pour ce qui est du Contraste, je vous diray en general, que rien ne donne davantage la grace & la vie aux Figures.

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215. [Les Marques des Vertus.] C’est à dire, des Sciences & des Arts. Les Italiens appellent Virtuoso un homme qui aime les beaux Arts, & qui s’y connoist : & parmy nos Peintres, le mot de vertueux s’entend mesme assez dans cette signification.

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Mais de toutes ces Parties, la Teste est celle qui donne plus de vie & de Grace à la Passion, & qui contribüe en cela toute seule plus que toutes les autres ensemble. Les autres separement ne peuvent exprimer que certaines Passions, mais la teste les exprime toutes. Il y en a neantmoins qui luy sont plus particulieres […] 
Les parties du Visage contribüent toutes à mettre au dehors les sentimens du Cœur ; mais sur tout les Yeux, qui sont comme deux fenestres par où l’Ame se fait voir : Les Passions qu’ils expriment plus particulierement sont, le Plaisir, la Langueur, le Dédain, la Severité, la Douceur, l’Admiration & la Colere : la Joye & la Tristesse en pourroient encore estre, s’ils ne partoient plus specialement des sourcis & de la bouche : Et bien que ces deux dernieres Parties s’accordent plus particulierement pour exprimer ces deux Passions, neantmoins si vous en faites un triot avec les Yeux, vous aurez une harmonie merveilleuse pour toutes les Passions de l’Ame. 
Le Nez n’a point de Passion qui luy soit particuliere, il ne fait que prester son secours aux autres par un élevement de Narines, qui est autant marqué dans la Joye que dans la Tristesse […]
Le mouvement des Levres doit estre mediocre, si c’est dans le discours […]
Pour ce qui est des Mains, elles sont les servantes de la Teste, elles sont ses armes & son secours ; sans elles l’action est foible & comme demi-morte : leurs mouvemens, qui sont presque infinis, font des expressions sans nombre. […] Enfin l’on peut dire, puis qu’elles sont la Langue des Muets, qu’elles ne contribuent pas peu à parler un langage commun à toutes les Nations de la Terre, qui est celuy de la Peinture.

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382. [Que vos Couleurs soient vives, sans pourtant donner, comme on dit, dans la farine.] Donner dans la farine c’est une façon de parler parmy les Peintres, qui exprime parfaitement ce qu’elle veut dire, qui n’est autre chose que de peindre avec Couleurs claires & fades tout ensemble, lesquelles ne donnent non plus de vie aux Figures, que si effectivement elles estoient frottées de farine. Ceux qui font leurs Carnations fort blanches & leurs Ombres grises ou verdastres, tombent dans cette inconvenient. Les Couleurs rousses dans les Ombres des chairs les plus delicates, contribuent merveilleusement à les rendre vives, brillantes & naturelles : mais il en faut user avec la mesme prudence dont le Titien, Paul Ver. Rubens & Vandeik se sont servis.
Pour conserver les Couleurs fraisches, il faut peindre en mettant toûjours des Couleurs, & non pas en frottant apres les avoir couchées sur la toile ; & s’il se pouvoit mesme faire qu’on les mist justement dans leurs places, & que l’on n’y touchast point quand on les y a une fois placées, il seroit encore mieux ; parce que la fraischeur des Couleurs se ternit & se perd à force de les tourmenter en peignant.
Tous ceux qui ont bien colorié, avoient encore une autre Maxime pour maintenir les Couleurs fraisches, vives & fleuries ; c'estoit de se servir de Fonds blancs, sur lesquels ils peignoient, & souvent mesme au premier coup, sans rien retoucher, & sans y employer de nouvelles Couleurs. Rubens s'en servoit toûjours ; & j'ay veu des Tableaux de la main de ce grand Homme faits au premier coup, qui avoient une vivacité merveilleuse. La raison que ces excellens Coloristes avoient de se servir de ces sortes de Fonds, est que le Blanc conserve toûjours un éclat sous le transparant des Couleurs, lesquelles empeschent que l'air n'altere la blancheur du Fonds, de méme que cette blancheur repare le dommage qu'elles reçoivent de l'air ; de maniere que le Fonds & les Couleurs se prestent un mutuel secours, & se conservent l'un l'autre. C'est par cette raison que les Couleurs glacées ont une vivacité qui ne peut jamais estre imitée par les Couleurs les plus vives & les plus brillantes, dont à la maniere ordinaire & commune on couche simplement les differentes teintes, chacune dans leur place les unes apres les autres : tant il est vray que le Blanc avec les autres Couleurs fieres, dont on peint d'abord ce que l'on veut glacer, en sont comme la vie & l'éclat. Les Anciens ont asseurement trouvé que les Fonds blancs estoient beaucoup meilleurs que les autres : puisque nonobstant l'incommodité que leurs yeux recevoient de cette Couleur, ils ne laissoient pas de s'en servir, […] Je ne sçay d'où vient que l'on ne s'en sert pas aujourd'huy, si ce n'est qu'il y a peu de Peintres curieux de bien colorier, ou que l'ébauche commencée sur le Blanc ne se montre pas assez viste, & qu'il faut avoir une patience plus que Françoise, pour attendre qu'elle soit achevée, & que le Fond qui ternit par sa Blancheur l'éclat des autres Couleurs, soit entierement couvert, pour faire paroistre agreablement tout l'Ouvrage.

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435. [Aussi bien que les choses paroissent estre faites avec Facilité.] Cette facilité attire d’autant plus nos yeux & nos esprits, qu’il est à presumer qu’un beau travail qui nous paroist facile, vient d’une main sçavante & consommée. […] Mais il est impossible d’avoir cette Facilité, sans posseder parfaitement toutes les Regles de l’Art, & s’en estre fait un habitude : car la Facilité consiste à ne faire precisément que l’Ouvrage qu’il faut, & à mettre chaque chose dans sa place avec promptitude : ce qui ne se peut sans les Regles, qui sont des moyens assurez pour vous conduire, & pour terminer vos Ouvrages avec plaisir. Il est donc certain, contre l’opinion de plusieurs, que les Regles donnent de la Facilité, de la Tranquillité & de la promptitude dans les esprits les plus tardifs, & que ces mesmes Regles augmentent & dirigent cette Facilité dans ceux qui l’ont déja receuë d’une heureuse naissance.
D’où il s’ensuit que l’on peut considerer la Facilité de deux façons, ou simplement, comme une diligence & une promptitude d’esprit & de main, ou comme une disposition dans l’esprit de lever promptement toutes les difficultez qui se peuvent former dans l’Ouvrage. La premiere vient d’un temperament actif & plein de feu, & l’autre d’une veritable Science & d’une possession des Regles infaillibles ; celle-là est agreable, mais elle n’est pas toûjours sans inquietude, parce qu’elle fait égarer souvent ; & celle-cy au contraire fait agir avec un repos d’esprit & une tranquillité merveilleuse : car elle nous asseure de la bonté de nostre Ouvrage : c’est beaucoup que d’avoir la premiere ; mais c’est le comble de la perfection de les avoir l’une & l’autre, telle que les ont possedées Rubens & Vandeik, excepté la Partie du Dessein, qu’ils ont trop negligée. […]
Remarquez, s’il vous plaît, que la Facilité & la Diligence, dont je viens de parler, ne consistent pas à faire ce qu’on appelle des traits hardis, & à donner des coups de pinceau libres, s’ils ne font un grand effet d’une distance éloignée : Cette sorte de liberté est plûtost d’un Maistre à écrire que d’un Peintre. Je dis bien davantage, il est presque impossible que les choses peintes paroissent vrayes & naturelles, quand on y remarque ces sortes de traits hardis : & tous ceux qui ont le plus approché de la Nature, ne se sont pas servis de cette Manière de peindre. Tous ces cheveux filez & ces coups de pinceau qui forment des hachures, sont à la verité admirables : mais ils ne trompent pas la veuë.

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81. [Que vos Compositions soient conformes au, &c.] Il faut prendre garde que les licences des Peintres soient plûtost pour orner l’Histoire que pour la corrompre. Et si Horace permet aux Peintres & aux Poëtes de tout oser, ce n’est pas pour faire des choses hors de la vraye-semblance […] Traitez donc les Sujets de vos Tableaux avec toute la fidélité possible ; & vous servez hardiment de vos licences, pourveu qu'elles soient ingenieuses, & non pas immoderées & extravagantes. 

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132. [Que les Membres soient agrouppez de mesme que les Figures, c'est à dire, &c.] Je ne sçaurois vous mieux comparer un Grouppe de Figures, qu'à un Concert de Voix, lesquelles toutes ensemble se soûtenant par leurs différen- tes Parties, font un Accord qui remplit & qui flatte agreablement l'oreille : mais si vous venez à les separer, & qu'elles se fassent entendre aussi haut l'une que l'autre, elles vous étourdiront tellement, que vous croirez avoir les oreilles déchirées. Il en est de mesme des Figures : si vous les assemblez en sorte que les unes soûtiennent & servent à faire paroistre les autres, & que toutes ensemble s'accordent & ne fassent qu'un Tout, vos yeux seront pleinement satisfaits ; que si au contraire vous les separez, vos yeux souffriront pour les voir toutes ensemble dispersées, ou chacune en particulier ; toutes ensemble, parce que les rayons visuels sont multipliez par la multiplicité des Objets ; chacune en particulier, parce que si vous en voulez regarder une, toutes celles qui sont autour fraperont & attireront vostre veuë, qui peine extremement dans cette sorte de separation & de diversité d'Objets. L'œil par exemple est satisfait à la veuë d'un raisin, & se trouve fort embarassé, s’il se veut porter tout d'un coup sur tous les grains ensemble, qui en seront détachez sur une table. Il faut avoir le mesme égard pour les Membres : ils se grouppent & se contrastent de mesme que les Figures. Peu de Peintres ont bien pris garde à ce Precepte, qui est un fondement tres-solide pour l'harmonie du Tableau.

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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

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37. [La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art.] Voicy où échoüent presque tous les Peintres Flamans ; & la pluspart sçavent imiter la Nature pour le moins aussi bien que les Peintres des autres Nations ; mais ils en font un mauvais choix, soit parce qu’ils n’ont pas veu l’Antique, ou que le beau Naturel ne se trouve pas ordinairement dans leur païs. Et dans la vérité ce beau estant fort rare […], il est difficile d'en faire le choix, & de s'en former des idées qui puissent servir de modele.

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61. [Veu que les plus belles choses ne se peuvent souvent exprimer faute de termes.] J’ay [ndr : Roger de Piles] appris de la bouche de Monsieur du Fresnoy, qu’il avoit plusieurs fois oüi dire au Guide, Qu’on ne pouvoit donner de Preceptes des plus belles choses, & que les connoissances en estoient si cachées, qu’il n’y avoit point de maniere de parler qui les pût découvrir. Cela revient assez à ce que dit Quint. {Declam. 19.} Les choses incroyables n'ont point de paroles pour estre exprimées, il y en a quelques-unes qui sont trop grandes & trop relevées, pour pouvoir estre comprises dans les discours des hommes. D'où vient que les Connoisseurs, quand ils admirent un beau Tableau, semblent y estre collez ; & quand ils en reviennent, vous diriez qu'ils auroient perdu l'usage de la parole. {Liv. 2. Sat. 7.} Pausiaca torpes insane Tabella. Dit Horace. {L. 10. Ep. 22} Et Symmachus dit, Que la grandeur de l'étonnement ne permet pas que l'on donne des loüanges & des applaudissemens. Les Italiens disent Opera da stupire, pour dire qu'une chose est fort belle. 

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74. [Où il faut disposer toute la Machine de votre Tableau.] Ce n’est pas sans raison ny par hazard que notre Auteur [ndr : Charles-Alphonse Dufresnoy] se sert du mot de Machine. Une Machine est un juste assemblage de plusieurs pieces pour produire un mesme effet. Et la disposition dans un Tableau n’est autre chose qu’un assemblage de plusieurs Parties, dont on doit prevoir l’accord & la justesse, pour produire un bel effet, comme vous verrez dans le 4. Precepte, qui est de l’Œconomie ; aussi l’appelle-t-on autrement Composition, qui veut dire la distribution & l’agencement des choses en general & en particulier.

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263. [Sa Sœur ] C’est à dire, le Dessein, qui est la seconde Partie de la Peinture, laquelle ne consistant qu’en lignes, a tout-à-fait besoin de la Cromatique pour paroistre ; c’est pourquoy nostre Auteur appelle cette derniere Partie, Lena Sororis, que j’ay traduit en termes plus honnestes de la sorte : On l’accusoit de produire sa Sœur, & de nous engager adroitement à l’aimer.

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282. [Que vous fassiez paroistre les Corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, &c.] C’est à dire proprement, qu’apres de grands Clairs il faut de grandes Ombres, qu’on appelle des Repos ; parce que effectivement la veuë seroit fatiguée, si elle estoit attirée par une continuité d’objets petillans. Les Clairs peuvent servir de repos aux Bruns, comme les Bruns en servent aux Clairs. […]
Ces Repos se font de deux manieres, dont l’une est Naturelle, & l’autre Artificielle : La Naturelle se fait par une étenduë de Clairs ou d’Ombres, qui suivent naturellement & necessairement les Corps solides, ou les Masses de plusieurs Figures agrouppées lors que le jour vient à frapper dessus : Et l’Artificielle consiste dans les Corps des Couleurs que le Peintre donne à de certaines choses telles qu’il luy plaist, & les compose de telle sorte, qu’elles ne fassent point de tort aux Objets qui sont auprés d’elles. Une Draperie par exemple que l’on aura fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra estre dans un autre de Couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. L’on doit prendre occasion autant qu’il est possible de se servir de la premiere Maniere, & de trouver les Repos dont nous parlons par le Clair ou par l’Ombre, qui accompagnent naturellement les Corps solides […] 
Ainsi le Peintre qui a de l'intelligence prendra ses avantages de l'une & de l'autre Maniere ; & s'il fait un Dessein qui doive estre gravé, il se souviendra que les Graveurs ne disposent pas des Couleurs, comme font les Peintres, & que par consequent il doit prendre occasion de trouver les Repos de son Dessein dans les Ombres naturelles des Figures, qu'il aura disposées à cet effet. Rubens en donne une parfaite connoissance dans les Estampes qu'il a fait graver ; & je ne croy pas que l'on puisse rien voir de plus beau en ce genre : Toute l'intelligence des Grouppes, du Clair-Obscur & de ces Masses que le Titien appelloit
la Grappe de Raisin, y est si nettement exposée, que la veüe de ces Estampes & l'attention que l'on y apporterait contribueraient beaucoup à faire un Habile-homme. […]
Ce n'est pas que les Graveurs ne puissent & ne doivent imiter les Corps des Couleurs par les degrez du Clair-Obscur, autant qu'ils jugeront que cela doit produire un bel effet ; au contraire il est à mon avis, impossible de donner beaucoup de force à tout ce que l'on gravera d'après les Ouvrages de l'Ecole de Venise, & de tous ceux qui ont eu l'intelligence des Couleurs & du Contraste du Clair-Obscur, sans imiter en quelque façon la Couleur des Objets selon le rapport qu'elle a aux degrez du Blanc & du Noir. […]

Quotation

290. [Et que celles qui tournent, sont de Couleurs rompuës, comme estant moins distinguées & plus proches des bords.] Il faut que le Peintre imite encore le Miroir convexe en cecy, & qu'aux bords de son Tableau il n'y mette rien de petillant, ny en Couleur, ny en Lumiere. Il y a deux raisons pour cela : la premiere est, que d'abord l'œil se porte ordinairement au milieu de l'Objet qui se presente à luy, & que par consequent il faut qu'il y trouve le Principal Objet, pour estre satisfait : Et l'autre raison est, que les bords estant chargez d'ouvrage fort & petillant, ils attirent les yeux qui sont comme en inquietude de ne voir pas une continuité de cet Ouvrage, qui est tout d'un coup interrompu par les bords du Tableau : au lieu que ces bords estant legers d'ouvrage, l'œil demeure au centre du Tableau, & l'embrasse plus agreablement : C'est pour cette mesme raison que dans une grande Composition de Figures, celles qui estant sur le devant seront coupées par la base du Tableau, feront toûjours un mauvais effet.

Quotation

Couleurs rompuës. Les Couleurs sont rompües lorsqu’elles ne sont pas employées toutes simples & pures, mais qu’on en mesle deux ou plusieurs ensemble pour en affoiblir & éteindre une trop vive ; Comme quand pour diminuer de la vivacité de la Laque, on y mesle un peu de terre verte ; ou bien, quand pour oster de l’éclat du Vermillon, on y mesle du brun rouge, soit en détrempant les Couleurs sur la palette, soit après qu’elles sont couchées sur la toile & en travaillant. Quand une draperie que est d’un jaune clair se trouve ombrée d’une laque obscure, on dit d’ordinaire que cette draperie est jaune rompuë de rouge. C’est pourtant mieux dit qu’elle est jaune ombrée de laque, si les deux couleurs sont separées : car le mot rompu ne se prend proprement que lors que la couleur n’est pas pure, mais meslée avec une autre. Enfin une couleur rompuë, parmy les Peintres, est celle que l’on esteint, & dont l’on diminuë la force ; ce qui sert beaucoup pour l’union & l’accord qui doit estre dans toutes celles qui composent un Tableau. Le Titien, Paul Veronese, & les autres Lombards s’en sont heureusement servis, comme l’a fort bien remarqué M. de Pile sur la poëme du sieur du Fresnoy. Les Italiens nomment cela Rottura de colori.

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Prononcer, en terme de peinture ; C’est marquer & specifier les parties de toutes sortes de corps avec autant de force & de netteté qu’il est necessaire pour les rendre plus ou moins distinctes. Ainsi les Peintres, en parlant d’un tableau, disent que certaines parties en sont bien prononcées ; qui est une marque metaphorique de s’enoncer ; Comme lorsqu’on dit d’un homme qui parle bien, qu’il a une belle prononciation ; ce que M. de Piles a fort bien remarqué dans ses notes sur le poëme du sieur du Fresnoy.

Quotation

Le peintre en effet est l’homme de tous les talens, c’est un poëte, un historien, un fidèle imitateur, ou plutôt un rival de la nature ; ne sçait-on pas que c’est elle seule qui forme les peintres ainsi que les poëtes ? Ils montent, si l’on en croit un (a) moderne, également sur le Parnasse ; leurs arts dépendent du génie, ils ont pour objet commun d’émouvoir les passions & de plaire. Tous deux sont dans l’obligation de représenter des images plus riches, plus riantes, plus belles que celles que l’on voit ordinairement, c’est par ce moyen que l’on irrite plus vivement les passions, & que par le plaisir qu’elles procurent, le spectateur participe de l’enthousiasme qui les a fait naître. Son art est une (b) poësie, une expression (c) muette, qui secondée des couleurs, parle aux yeux, à l’esprit & au cœur. Qui peut douter qu’un tableau ne soit un vrai poëme ?
(a) Reflexions critiques sur la poesie & sur la peinture, par l’Abbé du Bos. Tom. 2 p. 27.
(b) Ut pictura poësis erit. Hor. de arte poet.
(c) Muta poësis. D. Fresnoy. De arte graphica.

Quotation

CONTOUR. On appelle contour, les extrêmités d’une figure, ou les lignes qui l’entourent & qui la terminent en tout sens : il ne se dit que des figures. 
Les
contours pour avoir de la grace, doivent être arrondis, & bien prononcés, c’est-à-dire, dessinés avec science & avec justesse. Du Fresnoy recommande qu’ils soient polis, grands, coulants, sans cavités, ondoyans, semblables à la flâme ou au serpent. 

. . . .
Ignis flammantis ad instar, 
Serpenti undantes flexu. . . . . .

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EXTREMITÉS. Les extrêmités d’un tableau, sont les parties qui le terminent.
Ces
extrêmités doivent être remarquables.
Sint tabulae fines ac certo limite totum
Includatur opus, visis nec plura figuris 
Luminibus mendax simulet promittere tela.
Les
extrêmités des figures sont la tête, les pieds, les mains, les épaules, les coudes, les genoux, & les autres emmanchemens des membres. 
Ces
extrêmités doivent être plus travaillées & plus recherchées que tout le reste.
Les
extrêmités des jointures doivent être rarement cachées ; si elles étoient couvertes d’une draperie, il est de la science de les marquer par des plis : les pieds doivent toujours être vûs. 
Prœcipua extrêmis raro internodia membris
Abdita sint : sed summa pedum vestigianumquam. 
Du Fresnoy.

Quotation

GEOMETRIE. La Geometrie, dit M. de Piles, est le fondement de la perspective & de l’architecture pittoresque. Elle sert aussi pour trouver les justes proportions des membres & des figures. Mais il faut prendre garde de pousser l’exactitude de trop loin, & l’esprit Geométrique peut tout gâter dans la Peinture comme dans la Poësie ; on doit éviter toute affection, des contours trop égaux, des lignes paralléles, & tout ce qui a l’air de figures Geométrales, comme des quarrés & des triangles ; enfin tout arrangement méthodique, d’où résulte, dit du Fresnoy, une ingrate symétrie.
Sive parallelos plures simul, & vel acutas, 
Vel Geometrales (ut quadra triangula) formas :
Ingratamque parisognorum ex ordine quandam
Simmetriam.

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GRAPPE de raisin, terme de Peinture, dont on se sert pour exprimer l’effet des grands groupes d’ombres & de lumiéres : c’est ainsi que le Titien disoit que dans la distribution des jours & des ombres, il prenoit pour régle la grappe de raisin, c’est-à-dire, qu’il tâchoit de disposer les objets, de telle maniere que les grandes lumieres se trouvassent ensemble & que les grandes ombres fussent pareillement liées entr’elles, comme on le voit dans la grappe de raisin, dont les grains du côté de la lumiere font une masse de clair, & les grains du côté opposé, font une masse d’ombre. Cette comparaison familiere a passé en proverbe chez les Peintres, qui ont depuis appellé ces grands groupes séparés d’ombres & de lumieres, la grappe de raisin.
Fertur Titianus ubique
Lucis & umbrarum normam appellasse racemum. 
Du Fresnoy

Quotation

GROUPE, GROUPER. On appelle groupe, l’amas de plusieurs choses accouplées, & assemblées en peloton. 
Groupe de figures,  groupe d’animaux, groupe d’arbres, de fleurs & de fruits : ces choses font groupe avec ces autres. 
Les Italiens disent
groppo, qui pourroit bien être dérivé du mot latin globus.
Des figures bien
groupées, bien agroupées, ingénieusement groupées. Des membres qui se groupent, & qui se contrastent. 
Il peut y avoir plusieurs
groupes dans un tableau. 
Annibal Carrache ne vouloit pas qu’il y en eût plus de trois grands. 
les
groupes dit du Fresnoy, doivent être détachés les uns des autres, & séparés par des vuides, pour éviter la confusion. 
Agglomerata
simul sint membra, ipsœque figuræ
Stipentur, circumque globos locus usque vacabit.
Ne mâle dispersis dum visus ubique figuris
Dividitur, cunctisque operis, fervente tumultu,
Partibus implicitis, crepitans consusio surgat.
Mr l’Abbé de M... dit dans son Poëme de la Peinture :
Acenda tabellis
Turba figurarum nimio confusa tumultu,
Indiscreta locis, ubi concurrentia passim
Corpora corporibus, quasi mutua bella lacessunt,
Et malè contiguis sibi frangunt artubus artus.
Sit procul iste fragor, placido sed in œquore telœ
Serpat amena quies, & docta silentia regnent.

Quotation

PASSAGE. Les dégrés par lesquels on passe d’une teinte, d’une couleur à l’autre, s’appellent passages en terme de Peinture. 
Les
passages douvent être imperceptibles, & ménagés avec tant d’adresse, que les couleurs se perdent insensiblement l’une dans l’autre, & qu’il y ait entr’elles une espéce de milieu, qui participe également des deux couleurs. 

Transitus umbrarum ad lucem, vel lucis ad umbras. 
Dissimilandus erit, quiddam connectat utrumque
Participans ab utroque : diem noctem que tabellæ
Commissuræ habiles, & amæna crepuscula jungant. 
Pictura Carmen. 

Mr du Fresnoy a dit la même chose en des vers fort durs.

Non prœcipiti labentur in umbram
Clara gradu : nec adumbrata in clara alta repentè
Prorumpant : sed erit sensim hinc atque inde meatus
Lucis & umbrarum ...................

Quotation

PEINDRE, PEINTRE, PEINTURE. Peindre, c’est representer une chose avec des couleurs ; la Peinture est cette représentation ; le Peintre est celui qui la fait. Peindre en huile ; peindre en détrempe ; peindre à fraisque ; peindre en pastel ; peindre en miniature ; peindre en émail ; peindre sur verre, sur bois, sur cuivre, &c. Peindre l’Histoire, le Païsage, le Portrait, les Animaux, les Fleurs, les Grotesques, &c. 
M. de Piles définit ainsi la peinture. 
C’est un Art, dit-il, qui par le moyen du dessein & la couleur, imite sur une superficie plate tous les objets visibles
La
Peinture, suivant la division commune, renferme trois parties, la composition, le dessein & le coloris. 
On peut, comme je l’ai remarqué, y ajouter l’
expression. Voyez EXPRESSION. 
Il est naturel de penser que l’ombre de l’homme a fait naître la premiere idée de la Peinture. [...]
Felibien ne nous apprend rien de nouveau lorsqu’il dit dans son
Vocabulaire [car c’est tout le nom que mérite son dictionnaire imparfait, où il a obmis les trois quarts des termes de l’Art] qu’il faut dire peindre, & non pas peinturer
Peinturer est un mot barbare que Menage a essayé en vain de soutenir, & que l’usage, l’arbitre souverain des langues a proscrit. On est surpris de le trouver dans les Dictionnaires estimés, & de n’y point trouver d’autres termes qui sont dans la bouche de tous les Peintres. 
Les meilleurs Auteurs qui ayent écrit sur la Peinture, sont Leonard de Vinci, M. de Chambrai, Vazari, Felibien, de Piles, & M. Coypel. 
Nous avons deux Poëmes latins sur la Peinture, l’un d’Alphonse du Fresnoy, intitulé,
de Arte Graphica l’autre de Mr l’Abbé de M. qui a pour titre Pictura : l’un & l’autre ont été traduits en François, & imprimés plusieurs fois. 
Nous avons aussi deux Poëmes François sur le même sujet, l’un de Perrault & l’autre de Moliere. Celui de Perrault n’a pas fait plus de fortune que ses paralleles.

Quotation

[...]
PORTRAIT. Tableau qui contient la représentation lineale du corps humain. 
Portrait en grand, en petit : portrait en pastel, en miniature : portrait à la plume, au crayon.
Portrait chargé, voyez CHARGE.
Peintre pour le
portrait
L’essence du
portrait, consiste moins à attraper une grossiere ressemblance, ce que font les Peintres les plus mediocres, qu’à exprimer le véritable temperament, le caractère, & l’air de Physionomie des personne qu’on représente. 
« Si la personne que vous peignez est naturellement triste, dit Mr. de Piles, il le faudra bien garder de lui donner de la gayeté, qui seroit toujours quelque chose d’étranger sur son visage : si elle est enjouée, il faut faire paroître cette belle humeur par l’expression des parties où elle agit, & où elle se montre, si elle est grave & majestueuse, les ris fort sensibles rendront cette majesté fade & niaise. »
Pline raconte d’après Appien le grammairien, qu’Apelle faisoit ses portraits si ressemblans, & marquoit avec tant de fidélité les traits des personnes qu’il peignoit, que sur l’inspection des tableaux les Astrologues tiroient l’horoscope de la vie & de la mort des personnes.
Dufresnoy conseille aux faiseurs de
portraits de travailler en même tems les parties doubles de la tête, comme les yeux, les oreilles, les narines, les jouës & les levres, c’est-à-dire de passer continuellement de l’une à l’autre, de les retoucher & de les finir ensemble, de peur que l’interruption ne fasse perdre l’idée de ces parties.

Quotation

[...]
PRINCIPALE [figure] On appelle figure
principale celle qui est le sujet d’un tableau. Cette figure doit tenir la premiere place dans une composition, & ne doit être éteinte, ni même obscurcie par aucune autre figure. Elle doit être plus touchée, plus terminée que toutes les autres. Elle doit se faire remarquer, dit M. de Piles, comme un Roi au milieu de la Cour. 

Prima figurarum, seu Princeps dramatis, ultrò
Prosiliat mediâ in tabulâ, sub lumine primo,
Pulchrior ante alias, reliquis nec operta figuris. Du Fresnoy

In medio, reliquas inter Spectanda figuras, Contemplantum oculos Princeps persona moretur. 
finibus extremis, longinquâ in parte tabellæ
Abjice vulgares, ingloria corpora, formas. 
Marsy.

Quotation

[...]
STRAPASSER, STRAPASSONNER, estropier, un dessein
strapassé, strapassonner des figures. Du Fresnoi a dit, Tentoret étoit quelquefois un grand Strapasson : mais ce dernier mot est peu usité.