
L'histoire de l'édition du Trattato della pittura publié en 1651 commence par la copie d'une sélection de textes exécutée par le comte Galeazzo Arconati ( v. 1580-1649) à Milan. Cette copie se trouve ensuite dans les mains de Cassiano del Pozzo (1588-1657), secrétaire et ami du cardinal Francesco Barberini, qui demande à son ami Nicolas Poussin d'illustrer le texte de Vinci. Une deuxième copie du texte est alors exécutée et conservée à Milan (Biblioteca Ambrosiana, Ms. H 228 H inf.). Une troisième copie, illustrée par Poussin, est faite en 1639-1640 à l'initiative de Cassiano del Pozzo et donnée à Paul Fréart de Chantelou.
La première édition du Trattato della Pittura est publiée à Paris, en 1651, en italien par Raphaël Trichet du Fresne (1611-1661), diplomate et bibliophile. La même année Roland Fréart de Chambray publie chez Langlois, le même éditeur, une édition française. Cette publication se situe dans le contexte particulier de la naissance et du développement du discours sur l'art en France au sein de l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture. Le texte français y est abondamment lu. Critiqué par Abraham Bosse sur le point de la perspective (Martin Kemp, "A " Chaos "of Intelligence": Leonardo 's Traité and the War at the Academy Royale", Re-Reading Leonardo. The treatise on Painting, accross Europe 1550-1900, 2009, p. 237-254 ; J.-V. Field, "Perspective and the Paris Academy", Re-Reading Leonardo. The treatise on Painting, accross Europe 1550-1900, 2009, p. 255-266, Thomas Frangenberg, "Abraham Bosse in context : French responses to Leonardo's Treatise on painting in the seventeenth century ", Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 75, 2012, p. 223-260), la conception définie par Léonard de dessiner et de peindre d'après le relief ou le naturel, comme l'œil le voit est soutenue par Le Brun qui veut en faire une règle pour instruire les jeunes peintres (Pauline Maguire Robinson, " Leonardo's Theory of Aerial Perspective in the Writings of André Félibien", Re-Reading Leonardo. The treatise on Painting, accross Europe 1550-1900, 2009, p. 267-297).
Un deuxième point développé par Léonard trouve un bel écho à l'Académie : l'importance qu'il donne à la position des figures en accord avec leur mouvement et leur action dans la conception d'une composition narrative. Cet aspect particulier de la notion de convenance ou bienséance sera repris par Fréart de Chambray dans l'Idée de la Perfection de la Peinture, au point de l'ériger en partie de la peinture et en critère de jugement.
Le rendu de l'expression sur lequel Léonard attire l'attention des peintres en les engageant à observer le naturel est le troisième aspect qui connaîtra de grands développements d'abord avec la théorie des passions de Le Brun puis avec la publication du Recueil de testes de caractères et de charges dessinées, par Léonard de Vinci, Florentin (1730), et l'institution du Prix d'expression par le Comte de Caylus en 1753 (Thomas Kirchner, "Between Academicism and Critics : Leonardo da Vinci's Traité de la Peinture and Eighteen-Century French", Re-Reading Leonardo. The treatise on Painting, accross Europe 1550-1900, 2009, p. 299-326).
D'autres aspects exprimés par Léonard de Vinci ont un impact fondamental sur le développement de la théorie de l'art en Europe septentrionale. Même si les traductions en anglais, allemand datent du début du XVIIIe siècle, et celle en néerlandais n'est publiée qu'en 1827, la pensée de Léonard est sensible, sans doute à travers des copies de manuscrits exécutées par les artistes lors de leur voyage en Italie. Van Mander, le premier en 1604 reprend dans son Grondt des passages importants, Hoogstraten et Sandrart également (Michèle-Caroline Heck, "The Reception of Leonardo da Vinci"s Trattato della Pittura, or Traitté de la Peinture, in Seventeenth-Century Northern Europe", dans Re-Reading Leonardo. The treatise on Painting, across Europe 1550-1900, 2009, p. 377-414 ;Thijs Weststjein, " This Art embraces All Visible Things i its Domain" : Samuel van Hoogstraten and the Trattato della Pittura", dans Re-Reading Leonardo. The treatise on Painting, across Europe 1550-1900, 2009, p. 415-439). Deux axes sont particulièrement repris par les théoriciens aux Pays-Bas et en Allemagne. Le premier est celui de l'importance de l'observation de la nature pour le rendu de la lumière et celui de la couleur (les effets d' ombre et de lumière, le traitement des reflets, le paysage). Le second est celui de la pratique de la peinture. Les passages sur les modalités d'exécution d'un dessin, d'un tableau, depuis la description de l'atelier le plus conforme possible à un rendu naturel jusqu'à une réflexion sur la manière de présenter le modèle sont nombreux. Le regard, la vue sont une des préoccupations constantes pour Léonard de Vinci qui essaie d'en définir les principes.
On ne peut affirmer que les préceptes aient été appliqués à la lettre, mais au vu de leur grande diffusion, on peut considérer avec certitude qu'ils ont été lus, et qu'ils ont nourris la réflexion des artistes dans ce siècle où la théorie se détache de son caractère spéculatif pour devenir une explication de la pratique.
Contenu de l'édition de 1651:
Plusieurs sections qui figuraient dans le manuscrit n'ont pas été reprises dans l'édition de 1651, en particulier le Paragone. De même que ne sont pas reprises les considérations scientifiques sur la lumière, la végétation, les nuages et l'horizon. Seuls quelques courts chapitres sont consacrés à ces questions que Léonard de Vinci avait développées longuement dans les Parties 5 à 8. De fait l'essentiel des chapitres qui composent le Traitté ou Trattato est consacré à la pratique de la peinture.
Anne Sconza ( 2012, p. 28) propose de voir l'articulation du Trattato en quatre parties.
- Préceptes et vertus du peintre (chap. I-XLVI)
- Proportions et théorie de la vision (chap. XLVI-CLXV)
- Anatomie humaine, geste et expression (chap. CLXVI-CCLXXI)
- L'œil et la vision, l'optique et la perspective, les plis (chap. CCLXXII- CCLXCV)
Si cette division est à peu près cohérente pour les premières parties, elle l'est beaucoup moins pour la fin du Traitté dont les chapitres reviennent sur des points déjà abordés. Claire Farago (Farago, Bell, Vecce, 2018) propose une organisation des chapitres fondée sur les trois phases de l'apprentissage et de la pratique du métier de peintre, justifiant ainsi les reprises de thématiques.
Le caractère fragmentaire des petits chapitres se succédant sans relation les uns aux autres a d'ailleurs été source de critique à l'Académie, en particulier de la part d'Abraham Bosse. Et l'ordre des chapitres a été complètement réorganisé dans l'édition allemande. De fait le Trattato ne présente pas une théorie construite, mais constitue une suite d'indications (quelquefois appelées méthodes ou préceptes) à l'usage des peintres sur la manière de peindre, la manière d'observer pour imiter le naturel. Les chapitres sur la lumière et ses effets ont ainsi une place tout à fait centrale : celle de l'atelier pour le rendu du volume, celle du soleil pour représenter les paysages, celle des effets d'ombre et de lumière et leur incidence sur la couleur, sur le dessin. Toutes ces recherches jouent un rôle majeur à Rome auprès des artistes comme Pietro Testa, Le Dominiquin, Joachim von Sandrart et bien sûr Poussin.
Cette édition dont le texte est traduit en anglais et en allemand marque une étape importante dans la diffusion en Europe septentrionale des notions élaborées par Léonard de Vinci. Mais l'ouvrage publié en 1651 est un grand in folio, peu maniable. Une réédition, de format plus réduit, "de poche "(in 12) est ainsi publié en 1716 par Pierre-François Giffart. C'est cette édition qui a servi pour les éditions anglaise et allemande (puis néerlandaise). Les illustrations sont profondément modifiées, exécutées plus grossièrement au trait, elles sont grandement simplifiées.
Illustrations :
Les textes italien et français sont accompagnés de 52 gravures faites d'après des dessins de Poussin exécutés vers 1630, retouchés par Charles Errard (1606-1689) et gravés par René Lochon (1620-1674), graveur parisien qui collabore avec Charles Errard à l'édition en 1651 des Divers Trophées et ornements dédiés à la Reine Christine de Suède.
Témoignant de l'intérêt suscité par l'édition du Trattato à l'Académie, l'édition française est ornée du portait gravé d'après C. Errard de l'œuvre majeure de Léonard, la Joconde, conservée dans la collection royale, (chap. CCLXXXVII - Ce qu'il faut faire pour que les visages ayent du relief avec de la grace). Une Allégorie de la peinture ( C. Errard d'après Poussin ?) accompagne l'avant dernier chapitre (chap. CCCLXIV de l'édition italienne).
Les courts chapitres qui forment le livre sont souvent accompagnés de gravures ou de schémas. Nous avons pris le principe de citer ici la totalité des chapitres qui étaient accompagnés d'illustrations. Pour certains, quand ils étaient trop descriptifs, nous n'avons repris que le titre et renvoyons au texte de Vinci consultable en PDF.
Il n'est pas possible de citer, dans la bliographie, les nombreuses éditions postérieures à 1750, nous renvoyons aux diverses recensions récentes qui en ont été faites, de même qu'il n'est pas possible de citer toutes les études sur le sujet. Nous renvoyons pour cela aux bibliographies contenues dans les ouvrages cités.
Michèle-Caroline Heck
Dedication
A Monsieur Le Poussin
Table des chapitres at n.p.
Dédicace(s) at n.p.
DA VINCI, Leonardo, Léonard de Vinci, Traité de la peinture, GIFFARD, Pierre-François (éd.), Paris, Pierre-François Giffard, 1716.
DA VINCI, Leonardo, Léonard de Vinci. Trattato della Pittura, Traitté de la peinture, éd. par Anne Sconza, SCONZA, Anna (éd.), trad. par FRÉART de CHAMBRAY, Roland, Paris, Les Belles Lettres, 2012.
LE BLANC, Marianne, « Abraham Bosse et Léonard de Vinci. Les débats sur les fondements de la peinture dans les premiers temps de l'Académie », Revue d’esthétique. La naissance de la théorie de l’art en France 1640-1720, 31-32, 1997, p. 99-107.
FARAGO, Claire J., Leonardo's Writings and Theory of Art, New York - London, Garland, 1999.
FARAGO, Claire J. (éd.), Re-Reading Leonardo. The Treatise on Painting, Across Europe 1550-1900, Actes du colloque de Londres, Farnham, Ashgate, 2009.
FRANGENBERG Thomas, « Abraham Bosse in Context: French Responses to Leonardo's 'Treatise on Painting' in the Seventeenth Century », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 75, 2012, p. 223-260 [En ligne : http://www.jstor.org/stable/24395992 consulté le 30/03/2018].
POOLER Richard Shaw, Leonardo da Vinci's Treatise of Painting. The Story of the World's Greatest Treatise on Painting - Its Origins, History, Content and Influence, Wilmington, Vernon Press, 2014.
FARAGO, Claire J., BELL, Janis et VECCE, Carlo, The Fabrication of Leonardo da Vinci's Trattato della Pittura, with a Scholarly Edition of the Italian Editio princeps (1651) and an annotated English Translation, Leiden - Boston, Brill, 20018, 2 vol. .
TRANSLATIONS FOR TOUCHÉ
De quelle sorte il faut estudier à la composition des histoires
La premiere estude des compositions d’histoires doit commencer par mettre ensemble quelques figures legerement esquissées c’est-à dire touchées en deux coups : mais il faut auparavant les sçavoir bien desseigner de tous les costez, & les racourcissemens & les extensions de chaque membre : après on entreprendra l’ordonnance de deux figures qui fassent contraste […], & que cette premiere invention soit examinee & recherchée en diverses attitudes […]. Or en toutes ces compositions, il faut s’estudier soigneusement à la recherche des accidents & des passions qui peuvent donner de l’expression & enrichir le sujet que l’on traitte.