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PRESENTATION

TESTELIN, Henry, Cinquième table des préceptes de la peinture sur l'ordonnance, estampe, dans TESTELIN, Henry, Sentimens des plus habiles peintres du tems, sur la pratique de la peinture et sculpture, Recueillis & mis en Tables de Preceptes. Avec six discours academiques, Extraits des Conferences tenuës en l’Académie Royale desdits Arts & prononcés en presence de deffunt Monsieur Colbert, Conseiller du Roi en tous ses Conseils, Controleur General des Finances, Surintendant & Ordonnateur des Bâtiments du Roi, Jardins, Arts & Manufactures de France, protecteur de ladite Academie, assemblée generalement en des jours solemnels pour la delivrance du Prix Royal, par Henry Testelin, Peintre du Roi, Professeur & Secretaire en ladite Academie, La Haye, Matthieu Rogguet, s.d. [1693 ou 1694], n.p. [après p. 25].

Les originaux des six Tables de Testelin sont aujourd'hui perdus. Leur première lecture auprès de l'Académie s'est échelonnée entre 1675 et 1679 et a ensuite donné lieu à une première édition en 1680 des Tables seules, intitulée Sentiments des plus habiles peintres du temps sur la pratique de la peinture (Paris, 1680). Les discours rédigés par Testelin n'ont quant à eux été rédigés et publiés qu'ultérieurement, d'abord vers 1693-1694 (La Haye, M. Rogguet) puis en 1696 (Paris, Vve Mabre-Cramoisy) avec leurs Tables respectives reproduites. Dès 1683, Sandrart a également traduit en latin les Tables de Testelin dans son Academia nobilissimae artis pictoriae. Comme l'indique une mention au bas de la planche, la Table sur l'ordonnance présentée ici a été lue par Testelin le 5 novembre 1678. Dans l'édition de ses discours, il y a également adjoint une planche d'Exemple touchant l'ordonnance qui est une reproduction de la Manne de Poussin.

Quotation

L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël.

Quotation

[...] le Peintre devoit tellement assujettir toutes les parties qui entrent en la composition de son Tableau, qu'elles concourrent ensemble à former une juste idée du sujet, en sorte qu'elles puissent inspirer dans l'esprit des regardans des émotions convenables à cette idée, & que si il se rencontroit dans la narration de l'Histoire même, quelque circonstance qui y fut contraire, on la devoit supprimer ou si fort negliger quelle n'y pût faire aucune interruption, qu'on peut neanmoins prendre une discrette liberté de choisir des incidens favorables, ou quelque allegorie qui convienne au sujet pour la varieté du Contraste, mais que l'on doit éviter de faire paroître ensemble des choses incompatibles ; par exemple la verité des choses Saintes avec les Prophanes, ou paroître ensemble des personnes qui n'ont été qu'en des tems fort éloignés l'un de l'autre.

Quotation

Cette proposition fut combatuë par une raison differante, à sçavoir que dans les compositions de diverses figures il étoit plus à propos d’éviter la cimetrie, c’est à dire la rencontre de quelque forme reguliere que ce puissse être ; que la beauté de l’Ordonnance en des figures qui doivent paroître mouvantes se rencontrent plus avantageusement dans le Contraste, & qu’au lieu de se gêner l’esprit en la forme des Ordonnances & des Groupes, il falloit mieux y agir librement sans l’affectation d’aucunes figures Geometriques, que les formes angulaires y conviendroient mieux que les rondes, étant plus conformes aux rayons visuels & à la Perspective, qui sont choses à quoi l’on doit assujettir tout ce qu’on represente, soit pour les Corps solides, soit pour la position des figures & pour authoriser ce sentiment, on raporta pour exemple le Tableau de l’Ecole d’Athene, de Raphaël, lequel est estimé par tous les Savants pour un parfaitement beau modele d’Ordonnance, & où la disposition des figures forme plûtôt des Angles qui tendent au point Perspectif qu’aucune autre figure, qu’ainsi l’unique regle & l’observation principale dans la disposition de plusieurs figures est, de reduire toutes les parties en telle sorte qu’elles conduisent la vûe à l’endroit où sera le heros du sujet.

Quotation

Sur le premier [ndr : Raphaël, Saint Michel terrassant le démon dit Le Grand Saint Michel] on remarqua que la disposition de ces deux figures fait ensemble comme un armonieux Contraste, lequel y est si judicieusement observé

Quotation

On remarqua particulierement en chaque groupe un judicieux Contraste ; & nonobstant la diversité des mouvemens un concours admirable à l’expression du sujet. Enfin pour ce qui regarde le plan perspectif on tomba d’accord qu’il ne ce pouvoit rien voir de plus regulier, chaque choses étant proportionnée suivant les regles de la situation naturelle, de sorte que l’Auteur de cet ouvrage avoit dans un sujet de desordre trouvé le moyen de faire paroître beaucoup de monde bien ordonné & sans aucune confusion, ayant pû sur tout placer son Heraut en un lieu eminant où la vûë est conduite par les actions de toutes les figures.

Quotation

Toutes ces observations, […] furent jugées tres dignes d’être établies en forme de Preceptes certains & octorisez, mais on conclu neanmoins qu’il n’étoit pas possible de prescrire des regles sur la forme des Ordonnances, parce que chacun y doit agir selon la disposition & la force de son genie, & dans toute la liberté de ses propres conceptions & de son esprit, que cette partie depandoit donc d’un talent surnaturel, & que le conseil qu’on pouvoit donner aux Etudians se reduisoit à ces trois chefs, à sçavoir premierement de bien étudier les Histoires dans les meilleurs Auteurs, afin d’en bien comprendre l’idée principale & les circonstances essentielles : Secondement de menager discretement le Contraste en toutes les parties de son Dessein, pour en former comme un agreable harmonie à la vûe, & enfin s’attacher aux beaux exemples des plus excellens Ouvrages afin de se remplir l’esprit des belles idées pour s’en servir dans la construction des Ordonnances.

Quotation

L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël.

Quotation

[…] au sujet de l’Ordonnance, nous representons à Vôtre Grandeur [ndr : Colbert], que cette matiere étant comme l’assemblage & la disposition de toutes les parties de la Peinture, sa composition dépend entierement de la qualité & de la liberté des genies, c’est pourquoi l’Academie n’a pas crû en devoir faire des descisions ni en établir des regles precises, jugeant plus à propos d’en donner quelque idée aux éleves par des exemples.

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Sur le premier [ndr : Raphaël, Saint Michel terrassant le démon dit Le Grand Saint Michel] on remarqua que la disposition de ces deux figures fait ensemble comme un armonieux Contraste, lequel y est si judicieusement observé

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L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël.

Quotation

[…] quelqu’un de la Compagnie soûtenant que l’on devoit aussi bien garder la même oeconomie dans un sujet de plusieurs figures, que dans une seule tête, & pour appuyer sa proposition, il dit, que la faculté de la vûe agit beaucoup mieux lors qu’elle n’est occupée que par un seul objet, qu’ainsi il étoit necessaire d’admettre une unité d’objet dans les Ordonnances quelque nombreuse que soit la quantité des figures qu’on y introduit, & comme la rondeur est la forme la plus proportionnée & la plus agreable à la vûë ; il estimoit que les figures qui entrent dans l’Ordonnance d’un Tableau devoient (autant que les sujets le peuvent permettre) être disposée à peu prés comme celle d’une tête. Cette proposition fut combatuë par une raison differante, à sçavoir que dans les compositions de diverses figures il étoit plus à propos d’éviter la cimetrie, c’est à dire la rencontre de quelque forme reguliere que ce puissse être ; que la beauté de l’Ordonnance en des figures qui doivent paroître mouvantes se rencontrent plus avantageusement dans le Contraste, & qu’au lieu de se gêner l’esprit en la forme des Ordonnances & des Groupes, il falloit mieux y agir librement sans l’affectation d’aucunes figures Geometriques, que les formes angulaires y conviendroient mieux que les rondes, étant plus conformes aux rayons visuels & à la Perspective, qui sont choses à quoi l’on doit assujettir tout ce qu’on represente, soit pour les Corps solides, soit pour la position des figures & pour authoriser ce sentiment, on raporta pour exemple le Tableau de l’Ecole d’Athene, de Raphaël, lequel est estimé par tous les Savants pour un parfaitement beau modele d’Ordonnance, & où la disposition des figures forme plûtôt des Angles qui tendent au point Perspectif qu’aucune autre figure, qu’ainsi l’unique regle & l’observation principale dans la disposition de plusieurs figures est, de reduire toutes les parties en telle sorte qu’elles conduisent la vûe à l’endroit où sera le heros du sujet.

Quotation

Quand au troisiéme Tableau [ndr : Nicolas Poussin, Les Israélites recueillant la manne dans le désert], l’on fit remarquer que cette partie de l’Ordonnance comprenoit trois choses : 1. La conception du lieu : 2. La disposition des figures : 3. Le plan perspectif. Dans la premiere l’on considera, que le Poussain y avoit formé de grandes terraces pour servir de fond aux figures de devant & pousser le lointain, des Rochers grands & terribles qui donne l’idée d’un affreux desert, […] ; que quand à la disposition des figures, divers groupes détachez les uns des autres composoient de grandes parties si distinctes, que la vûe s’y peut promener sans peine, & pourtant si bien liés l’un à l’autre qu’ils s’unissent pour faire un beau tout ensemble.

Quotation

A l’égard du raport qui peut y avoir entre une seule tête & l’ordonnance de plusieurs figures ensemble, il consiste en l’effet du jour & de l’ombre, en l’unité du point perspectif, au fuyant ou diminution des parties reculées & dans la conformité qu’elles doivent avoir pour concourir en l’expression d’une même passion comme à l’idée d’un seul sujet. C’est à quoi aussi ce peut fort bien rapporter la comparaison qu’on fait ordinairement d’une grape de Raisin à l’Ordonnance d’un Tableau, tant pour la disposition des groupes & des figures que pour la distribution de la lumiere ; les groupes étant en l’Ordonnance comme des petites branches ou grapilions, qui bien qu’ils soient distincts & comme separés s’unisent neanmoins comme pour ne faire qu’un tout ensemble : ainsi la lumiere doit jetter son principal éclat en un seul endroit, & aller toûjours en diminuant sur les parties qui s’en éloignent.

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Cette proposition fut combatuë par une raison differante, à sçavoir que dans les compositions de diverses figures il étoit plus à propos d’éviter la cimetrie, c’est à dire la rencontre de quelque forme reguliere que ce puissse être ; que la beauté de l’Ordonnance en des figures qui doivent paroître mouvantes se rencontrent plus avantageusement dans le Contraste, & qu’au lieu de se gêner l’esprit en la forme des Ordonnances & des Groupes, il falloit mieux y agir librement sans l’affectation d’aucunes figures Geometriques, que les formes angulaires y conviendroient mieux que les rondes, étant plus conformes aux rayons visuels & à la Perspective, qui sont choses à quoi l’on doit assujettir tout ce qu’on represente, soit pour les Corps solides, soit pour la position des figures & pour authoriser ce sentiment, on raporta pour exemple le Tableau de l’Ecole d’Athene, de Raphaël, lequel est estimé par tous les Savants pour un parfaitement beau modele d’Ordonnance, & où la disposition des figures forme plûtôt des Angles qui tendent au point Perspectif qu’aucune autre figure, qu’ainsi l’unique regle & l’observation principale dans la disposition de plusieurs figures est, de reduire toutes les parties en telle sorte qu’elles conduisent la vûe à l’endroit où sera le heros du sujet.

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A l’égard du raport qui peut y avoir entre une seule tête & l’ordonnance de plusieurs figures ensemble, il consiste en l’effet du jour & de l’ombre, en l’unité du point perspectif, au fuyant ou diminution des parties reculées & dans la conformité qu’elles doivent avoir pour concourir en l’expression d’une même passion comme à l’idée d’un seul sujet. C’est à quoi aussi ce peut fort bien rapporter la comparaison qu’on fait ordinairement d’une grape de Raisin à l’Ordonnance d’un Tableau, tant pour la disposition des groupes & des figures que pour la distribution de la lumiere ; les groupes étant en l’Ordonnance comme des petites branches ou grapilions, qui bien qu’ils soient distincts & comme separés s’unisent neanmoins comme pour ne faire qu’un tout ensemble : ainsi la lumiere doit jetter son principal éclat en un seul endroit, & aller toûjours en diminuant sur les parties qui s’en éloignent.

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Quand au troisiéme Tableau [ndr : Nicolas Poussin, Les Israélites recueillant la manne dans le désert], l’on fit remarquer que cette partie de l’Ordonnance comprenoit trois choses : 1. La conception du lieu : 2. La disposition des figures : 3. Le plan perspectif. Dans la premiere l’on considera, que le Poussain y avoit formé de grandes terraces pour servir de fond aux figures de devant & pousser le lointain, des Rochers grands & terribles qui donne l’idée d’un affreux desert, […] ; que quand à la disposition des figures, divers groupes détachez les uns des autres composoient de grandes parties si distinctes, que la vûe s’y peut promener sans peine, & pourtant si bien liés l’un à l’autre qu’ils s’unissent pour faire un beau tout ensemble. On remarqua particulierement en chaque groupe un judicieux Contraste ; & nonobstant la diversité des mouvemens un concours admirable à l’expression du sujet. Enfin pour ce qui regarde le plan perspectif on tomba d’accord qu’il ne ce pouvoit rien voir de plus regulier, chaque choses étant proportionnée suivant les regles de la situation naturelle, de sorte que l’Auteur de cet ouvrage avoit dans un sujet de desordre trouvé le moyen de faire paroître beaucoup de monde bien ordonné & sans aucune confusion, ayant pû sur tout placer son Heraut en un lieu eminant où la vûë est conduite par les actions de toutes les figures.

Quotation

Pareillement dans la disposition des habits on observa trois choses ; premierement la qualité des personnes que le Peintre [ndr : Nicolas Poussin dans le tableau Les Israélites recueillant la manne dans le désert] a voulu rendre reconnoisables par la majesté & la grandeur des habillemens, dont les draperies quoi que tres-amples forment des plis si bien rangez qu’ils marquent precisement la jointure des membres, & ne forment que de grandes parties. Secondement en donnant à ces figures non des morceaux d’étoffes jettés au hazard, qui ne paroitroient que des lambeaux, si les figures changeoient d’action ou d’aspect, mais un veritable habit quoi que de differante façon suivant la licence que les Peintres prennent de découvrir quelqu’un des membres pour la varieté des objets, & pour faire connoître leur capacité & leur étude. En troisiéme lieu, le menagement de la pudeur du sexe, par la distinction du vêtement des femmes d’avec celui des hommes, donnant aux uns des habillements plus amples & plus longs, & aux autres des draperies plus troussées & plus serrées.

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L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël.

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Toutes ces observations, […] furent jugées tres dignes d’être établies en forme de Preceptes certains & octorisez, mais on conclu neanmoins qu’il n’étoit pas possible de prescrire des regles sur la forme des Ordonnances, parce que chacun y doit agir selon la disposition & la force de son genie, & dans toute la liberté de ses propres conceptions & de son esprit, que cette partie depandoit donc d’un talent surnaturel, & que le conseil qu’on pouvoit donner aux Etudians se reduisoit à ces trois chefs, à sçavoir premierement de bien étudier les Histoires dans les meilleurs Auteurs, afin d’en bien comprendre l’idée principale & les circonstances essentielles : Secondement de menager discretement le Contraste en toutes les parties de son Dessein, pour en former comme un agreable harmonie à la vûe, & enfin s’attacher aux beaux exemples des plus excellens Ouvrages afin de se remplir l’esprit des belles idées pour s’en servir dans la construction des Ordonnances.

Quotation

[…] dans les divers sujets qu’un Peintre peut avoir à representer, il doit premierement déterminer la situation du lieu, & à l’égard des actions des figures se proposer la diversité des mouvemens qui peuvent convenir à son sujet, leurs ponderation ou soûtien en équilibre, leurs position sur un plan perspectif, le contraste, les jours & les ombres, & enfin les couleurs ; puis qu’on doit également avoir égard à toutes ces choses dans le projet qu’on fait de l’Ordonnance pour les disposer, de sorte qu’elles concourent ensemble à l’expression de la principale idée du sujet.

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A l’égard du raport qui peut y avoir entre une seule tête & l’ordonnance de plusieurs figures ensemble, il consiste en l’effet du jour & de l’ombre, en l’unité du point perspectif, au fuyant ou diminution des parties reculées & dans la conformité qu’elles doivent avoir pour concourir en l’expression d’une même passion comme à l’idée d’un seul sujet. C’est à quoi aussi ce peut fort bien rapporter la comparaison qu’on fait ordinairement d’une grape de Raisin à l’Ordonnance d’un Tableau, tant pour la disposition des groupes & des figures que pour la distribution de la lumiere ; les groupes étant en l’Ordonnance comme des petites branches ou grapilions, qui bien qu’ils soient distincts & comme separés s’unisent neanmoins comme pour ne faire qu’un tout ensemble : ainsi la lumiere doit jetter son principal éclat en un seul endroit, & aller toûjours en diminuant sur les parties qui s’en éloignent.

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[…] au sujet de l’Ordonnance, nous representons à Vôtre Grandeur [ndr : Colbert], que cette matiere étant comme l’assemblage & la disposition de toutes les parties de la Peinture, sa composition dépend entierement de la qualité & de la liberté des genies, c’est pourquoi l’Academie n’a pas crû en devoir faire des descisions ni en établir des regles precises, jugeant plus à propos d’en donner quelque idée aux éleves par des exemples.
[…] dans les divers sujets qu’un Peintre peut avoir à representer, il doit premierement déterminer la situation du lieu, & à l’égard des actions des figures se proposer la diversité des mouvemens qui peuvent convenir à son sujet, leurs ponderation ou soûtien en équilibre, leurs position sur un plan perspectif, le contraste, les jours & les ombres, & enfin les couleurs ; puis qu’on doit également avoir égard à toutes ces choses dans le projet qu’on fait de l’Ordonnance pour les disposer, de sorte qu’elles concourent ensemble à l’expression de la principale idée du sujet. Le Peintre doit en second lieu concevoir de grandes parties comme de puissantes, soit dans les groupes, soit dans les ombres, soit dans les couleurs, parce que c’est ce qui donne de la beauté & de la noblesse à l’Ouvrage, & qui par cette grandeur le distingue des manieres chifones & mesquines.
[…] quelqu’un de la Compagnie soûtenant que l’on devoit aussi bien garder la même oeconomie dans un sujet de plusieurs figures, que dans une seule tête, & pour appuyer sa proposition, il dit, que la faculté de la vûe agit beaucoup mieux lors qu’elle n’est occupée que par un seul objet, qu’ainsi il étoit necessaire d’admettre une unité d’objet dans les Ordonnances quelque nombreuse que soit la quantité des figures qu’on y introduit, & comme la rondeur est la forme la plus proportionnée & la plus agreable à la vûë ; il estimoit que les figures qui entrent dans l’Ordonnance d’un Tableau devoient (autant que les sujets le peuvent permettre) être disposée à peu prés comme celle d’une tête. Cette proposition fut combatuë par une raison differante, à sçavoir que dans les compositions de diverses figures il étoit plus à propos d’éviter la cimetrie, c’est à dire la rencontre de quelque forme reguliere que ce puissse être ; que la beauté de l’Ordonnance en des figures qui doivent paroître mouvantes se rencontrent plus avantageusement dans le Contraste, & qu’au lieu de se gêner l’esprit en la forme des Ordonnances & des Groupes, il falloit mieux y agir librement sans l’affectation d’aucunes figures Geometriques, que les formes angulaires y conviendroient mieux que les rondes, étant plus conformes aux rayons visuels & à la Perspective, qui sont choses à quoi l’on doit assujettir tout ce qu’on represente, soit pour les Corps solides, soit pour la position des figures & pour authoriser ce sentiment, on raporta pour exemple le Tableau de l’Ecole d’Athene, de Raphaël, lequel est estimé par tous les Savants pour un parfaitement beau modele d’Ordonnance, & où la disposition des figures forme plûtôt des Angles qui tendent au point Perspectif qu’aucune autre figure, qu’ainsi l’unique regle & l’observation principale dans la disposition de plusieurs figures est, de reduire toutes les parties en telle sorte qu’elles conduisent la vûe à l’endroit où sera le heros du sujet.

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A l’égard du raport qui peut y avoir entre une seule tête & l’ordonnance de plusieurs figures ensemble, il consiste en l’effet du jour & de l’ombre, en l’unité du point perspectif, au fuyant ou diminution des parties reculées & dans la conformité qu’elles doivent avoir pour concourir en l’expression d’une même passion comme à l’idée d’un seul sujet. C’est à quoi aussi ce peut fort bien rapporter la comparaison qu’on fait ordinairement d’une grape de Raisin à l’Ordonnance d’un Tableau, tant pour la disposition des groupes & des figures que pour la distribution de la lumiere ; les groupes étant en l’Ordonnance comme des petites branches ou grapilions, qui bien qu’ils soient distincts & comme separés s’unisent neanmoins comme pour ne faire qu’un tout ensemble : ainsi la lumiere doit jetter son principal éclat en un seul endroit, & aller toûjours en diminuant sur les parties qui s’en éloignent.

Quotation

L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël.

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Quand au troisiéme Tableau [ndr : Nicolas Poussin, Les Israélites recueillant la manne dans le désert], l’on fit remarquer que cette partie de l’Ordonnance comprenoit trois choses : 1. La conception du lieu : 2. La disposition des figures : 3. Le plan perspectif. Dans la premiere l’on considera, que le Poussain y avoit formé de grandes terraces pour servir de fond aux figures de devant & pousser le lointain, des Rochers grands & terribles qui donne l’idée d’un affreux desert, […] ; que quand à la disposition des figures, divers groupes détachez les uns des autres composoient de grandes parties si distinctes, que la vûe s’y peut promener sans peine, & pourtant si bien liés l’un à l’autre qu’ils s’unissent pour faire un beau tout ensemble. On remarqua particulierement en chaque groupe un judicieux Contraste ; & nonobstant la diversité des mouvemens un concours admirable à l’expression du sujet. Enfin pour ce qui regarde le plan perspectif on tomba d’accord qu’il ne ce pouvoit rien voir de plus regulier, chaque choses étant proportionnée suivant les regles de la situation naturelle, de sorte que l’Auteur de cet ouvrage avoit dans un sujet de desordre trouvé le moyen de faire paroître beaucoup de monde bien ordonné & sans aucune confusion, ayant pû sur tout placer son Heraut en un lieu eminant où la vûë est conduite par les actions de toutes les figures.

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Toutes ces observations, […] furent jugées tres dignes d’être établies en forme de Preceptes certains & octorisez, mais on conclu neanmoins qu’il n’étoit pas possible de prescrire des regles sur la forme des Ordonnances, parce que chacun y doit agir selon la disposition & la force de son genie, & dans toute la liberté de ses propres conceptions & de son esprit, que cette partie depandoit donc d’un talent surnaturel, & que le conseil qu’on pouvoit donner aux Etudians se reduisoit à ces trois chefs, à sçavoir premierement de bien étudier les Histoires dans les meilleurs Auteurs, afin d’en bien comprendre l’idée principale & les circonstances essentielles : Secondement de menager discretement le Contraste en toutes les parties de son Dessein, pour en former comme un agreable harmonie à la vûe, & enfin s’attacher aux beaux exemples des plus excellens Ouvrages afin de se remplir l’esprit des belles idées pour s’en servir dans la construction des Ordonnances.

Quotation

[…] au sujet de l’Ordonnance, nous representons à Vôtre Grandeur [ndr : Colbert], que cette matiere étant comme l’assemblage & la disposition de toutes les parties de la Peinture, sa composition dépend entierement de la qualité & de la liberté des genies, c’est pourquoi l’Academie n’a pas crû en devoir faire des descisions ni en établir des regles precises, jugeant plus à propos d’en donner quelque idée aux éleves par des exemples. [...] Le Peintre doit en second lieu concevoir de grandes parties comme de puissantes, soit dans les groupes, soit dans les ombres, soit dans les couleurs, parce que c’est ce qui donne de la beauté & de la noblesse à l’Ouvrage, & qui par cette grandeur le distingue des manieres chifones & mesquines.

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Cette proposition fut combatuë par une raison differante, à sçavoir que dans les compositions de diverses figures il étoit plus à propos d’éviter la cimetrie, c’est à dire la rencontre de quelque forme reguliere que ce puissse être ; que la beauté de l’Ordonnance en des figures qui doivent paroître mouvantes se rencontrent plus avantageusement dans le Contraste, & qu’au lieu de se gêner l’esprit en la forme des Ordonnances & des Groupes, il falloit mieux y agir librement sans l’affectation d’aucunes figures Geometriques, que les formes angulaires y conviendroient mieux que les rondes, étant plus conformes aux rayons visuels & à la Perspective, qui sont choses à quoi l’on doit assujettir tout ce qu’on represente, soit pour les Corps solides, soit pour la position des figures & pour authoriser ce sentiment, on raporta pour exemple le Tableau de l’Ecole d’Athene, de Raphaël, lequel est estimé par tous les Savants pour un parfaitement beau modele d’Ordonnance, & où la disposition des figures forme plûtôt des Angles qui tendent au point Perspectif qu’aucune autre figure, qu’ainsi l’unique regle & l’observation principale dans la disposition de plusieurs figures est, de reduire toutes les parties en telle sorte qu’elles conduisent la vûe à l’endroit où sera le heros du sujet.

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L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël. En effet tout cet Ouvrage paroit plûtôt une allegorie Chrêtienne qu’un sujet Historique ; vous voyez que la figure du petit Christ, est posée dans le milieu du Tableau s’élevant pour embrasser la Vierge, qui de son côté est dans une action inclinée, recevant respectueusement cette faveur d’un air grave & modeste, son vêtement est simple & rempli de pudeur, mais grand & noble, les plis des draperies marquent precisement la proportion du nud, & marient s’y judicieusement le commode avec l’agreable que l’on y remarque nulle part n’y inutilité ni confusion.

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Pareillement dans la disposition des habits on observa trois choses ; premierement la qualité des personnes que le Peintre [ndr : Nicolas Poussin dans le tableau Les Israélites recueillant la manne dans le désert] a voulu rendre reconnoisables par la majesté & la grandeur des habillemens, dont les draperies quoi que tres-amples forment des plis si bien rangez qu’ils marquent precisement la jointure des membres, & ne forment que de grandes parties.

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Cette proposition fut combatuë par une raison differante, à sçavoir que dans les compositions de diverses figures il étoit plus à propos d’éviter la cimetrie, c’est à dire la rencontre de quelque forme reguliere que ce puissse être ; que la beauté de l’Ordonnance en des figures qui doivent paroître mouvantes se rencontrent plus avantageusement dans le Contraste, & qu’au lieu de se gêner l’esprit en la forme des Ordonnances & des Groupes, il falloit mieux y agir librement sans l’affectation d’aucunes figures Geometriques, que les formes angulaires y conviendroient mieux que les rondes, étant plus conformes aux rayons visuels & à la Perspective, qui sont choses à quoi l’on doit assujettir tout ce qu’on represente, soit pour les Corps solides, soit pour la position des figures & pour authoriser ce sentiment, on raporta pour exemple le Tableau de l’Ecole d’Athene, de Raphaël, lequel est estimé par tous les Savants pour un parfaitement beau modele d’Ordonnance, & où la disposition des figures forme plûtôt des Angles qui tendent au point Perspectif qu’aucune autre figure, qu’ainsi l’unique regle & l’observation principale dans la disposition de plusieurs figures est, de reduire toutes les parties en telle sorte qu’elles conduisent la vûe à l’endroit où sera le heros du sujet.

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Quand au troisiéme Tableau [ndr : Nicolas Poussin, Les Israélites recueillant la manne dans le désert], l’on fit remarquer que cette partie de l’Ordonnance comprenoit trois choses : 1. La conception du lieu : 2. La disposition des figures : 3. Le plan perspectif. Dans la premiere l’on considera, que le Poussain y avoit formé de grandes terraces pour servir de fond aux figures de devant & pousser le lointain, des Rochers grands & terribles qui donne l’idée d’un affreux desert, […] ; que quand à la disposition des figures, divers groupes détachez les uns des autres composoient de grandes parties si distinctes, que la vûe s’y peut promener sans peine, & pourtant si bien liés l’un à l’autre qu’ils s’unissent pour faire un beau tout ensemble. On remarqua particulierement en chaque groupe un judicieux Contraste ; & nonobstant la diversité des mouvemens un concours admirable à l’expression du sujet. Enfin pour ce qui regarde le plan perspectif on tomba d’accord qu’il ne ce pouvoit rien voir de plus regulier, chaque choses étant proportionnée suivant les regles de la situation naturelle, de sorte que l’Auteur de cet ouvrage avoit dans un sujet de desordre trouvé le moyen de faire paroître beaucoup de monde bien ordonné & sans aucune confusion, ayant pû sur tout placer son Heraut en un lieu eminant où la vûë est conduite par les actions de toutes les figures.

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[…] quelqu’un de la Compagnie soûtenant que l’on devoit aussi bien garder la même oeconomie dans un sujet de plusieurs figures, que dans une seule tête, & pour appuyer sa proposition, il dit, que la faculté de la vûe agit beaucoup mieux lors qu’elle n’est occupée que par un seul objet, qu’ainsi il étoit necessaire d’admettre une unité d’objet dans les Ordonnances quelque nombreuse que soit la quantité des figures qu’on y introduit, & comme la rondeur est la forme la plus proportionnée & la plus agreable à la vûë ; il estimoit que les figures qui entrent dans l’Ordonnance d’un Tableau devoient (autant que les sujets le peuvent permettre) être disposée à peu prés comme celle d’une tête.

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L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël. En effet tout cet Ouvrage paroit plûtôt une allegorie Chrêtienne qu’un sujet Historique ; vous voyez que la figure du petit Christ, est posée dans le milieu du Tableau s’élevant pour embrasser la Vierge, qui de son côté est dans une action inclinée, recevant respectueusement cette faveur d’un air grave & modeste, son vêtement est simple & rempli de pudeur, mais grand & noble, les plis des draperies marquent precisement la proportion du nud, & marient s’y judicieusement le commode avec l’agreable que l’on y remarque nulle part n’y inutilité ni confusion.