ALBERTI, Leon Battista ( 1404-1472 )

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Quotation

Cependant, dit Pymandre, il me semble que vous venez de dire que ce qui fait le fort & le foible, & ce que vous appelez l’affoiblissement des teintes, se doit comprendre par les diverses coupes qu’on se peut imaginer à mesure que les corps s’éloignent.
Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio. J’avouë que dans la speculation l’on peut comprendre de quelle sorte les objets doivent diminuer de couleur par ces differentes coupes. [...] De mesme dans les couleurs on peut dire qu’il en faut diminuer ou augmenter la teinte à mesure qu’elles s’éloignent ou s’approchent ; ou qu’elles reçoivent divers accidents d’ombres & de lumieres : mais c’est à l’œil à juger du plus ou du moins de force qu’on leur donne en les meslant. [...] Car encore que la perspective de l’air, & l’affoiblissement des couleurs, par cette coupe dont je viens de parler, soit en effet dans les tableaux, ce qui fait fuir ou avancer les corps ; le Peintre neanmoins qui doit toujours chercher à se prevaloir de toutes sortes des moyens & des secrets de son art quand il veut imiter la force de la Nature, est d’autant plus digne d’estime qu’il sçait découvrir des chemins comme inconnus, pour arriver à son but. C’est pourquoy le Titien sçavoit qu’outre l’affoiblissement que les couleurs reçoivent par les coupes de l’air, & par les differens éloignemens, il y a encore dans les mesmes couleurs, ou une force ou une foiblesse essentielle à leur nature laquelle rend à la veuë les unes plus sensibles que les autres, comme nous avons déjà remarqué ; il sçavoit, dis-je, tout cela, & c’est pourquoy il a toujours observé autant qu’il a pu de les ranger les unes auprès des autres, en sorte que les plus fortes fussent sur les plus foibles.

Quotation

Neither yet is this Proportion proper unto painting alone, but extendeth it self even unto all other Arts […] ; because it was the first pattern of all Artificial things : So that there is no Art, but is someway beholding to Proportion : yet notwithstanding the Painter as (Loo Baptista Albertus affirmeth) insomuch as he considereth mans Body more especially, is justly preferred before all other Artizans, which imitate the same, because antiquity meaning to grace Painting above all the rest, Handicrafts men exempting onely Painters out of that number.

Quotation

Now the Effects proceeding from Proportion are unspeakable, the Principal whereof, is that Majestie and Beautie which is found in Bodies, called by Vitruvius, EURITHMIA. And hence it is, that when behold a well-proportioned thing, we call it Beautiful, as if we should say, Indued with that exact and comely Grace, whereby all the Perfection of sweet Delights belonging to the Sight, are communicated to the Eye, and so conveyed to the Understanding.
But if we shall enter into a farther Consideration of this
Beauty, it will appear most evidently in things appertaining to Civil Discipline ; for it is strange to consider what effects of Piety, Reverence and Religion, are stirred up in mens Minds, by means of this suitable comeliness of apt proportion. A pregnant example whereof we have in the Jupiter carved by Phidias at Elis, which wrought an extraordinary sense of Religion in the People, whereupon the antient and renowned Zeuxis well knowing the excellency and dignity thereof, perswaded Greece in her most flourishing Estate, that the Pictures wherein this Majesty appeared were dedicated to great Princes, and consecrated to the Temples of the Immortal gods, so that they held them in exceeding great estimation ; partly because they were the Works of those famous Masters, who were reputed as gods amongt men ; and partly because they not only represented the Works of God, but also supplyed the defects of Nature : ever making choice of the Flower and Quintessence of Eye-pleasing delights.

Quotation

26 Daer beneffens Landtschap, en metserije,
Oock cieraten, ghetuygh, en ornamenten,
Menigherley aerdighe fantasije
Der Copia, en t’maeckt schoon Harmonye
Der welstandicheyt in Picturams tenten,
nae t’ghetuyghen van moderne Schribenten,
Als Leon Baptistae de Albertis,{Leon was een Florentijn, schreef ontrent Anno 1481.}
En Rivius, van wient oock nae behert is.{Gualt. Rivius mat. zijn Boec is ghedruckt Anno 1547.}    

Quotation

Cependant, dit Pymandre, il me semble que vous venez de dire que ce qui fait le fort & le foible, & ce que vous appelez l’affoiblissement des teintes, se doit comprendre par les diverses coupes qu’on se peut imaginer à mesure que les corps s’éloignent.
Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio.

Quotation

Cependant, dit Pymandre, il me semble que vous venez de dire que ce qui fait le fort & le foible, & ce que vous appelez l’affoiblissement des teintes, se doit comprendre par les diverses coupes qu’on se peut imaginer à mesure que les corps s’éloignent.
Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio. J’avouë que dans la speculation l’on peut comprendre de quelle sorte les objets doivent diminuer de couleur par ces differentes coupes. Mais quand on vient à la pratique, cette speculation, ou le raisonnement qui fait juger combien un corps doit perdre de sa couleur lors qu’on le veut faire paroistre enfoncé dans le tableau dix ou douze pieds plus qu’un autre, ne peut apprendre précisément comment il faut diminuer la teinte de cette couleur, & la proportionner à son éloignement. Avez-vous jamais remarqué un maistre de Musique qui accorde un luth ou une harpe, il vous fera bien connoistre quel ton la premiere corde doit avoir avec la seconde, & ainsi des autres : mais il ne peut vous enseigner à les accorder, en vous disant qu’il faut tourner les chevilles un certain nombre de tours. Il faut que ce soit l’oreille qui juge de l’harmonie lors qu’on les touche. De mesme dans les couleurs on peut dire qu’il en faut diminuer ou augmenter la teinte à mesure qu’elles s’éloignent ou s’approchent ; ou qu’elles reçoivent divers accidents d’ombres & de lumieres : mais c’est à l’œil à juger du plus ou du moins de force qu’on leur donne en les meslant.

Quotation

25 Want t’ghebruycken (alst past) constighe gheesten
In d’History een overvloet te bouwen, {Van rijckelijc zijn Ordinantie te vervullen.}
Van Peerden, Honden, oft meer tamme Beesten,
Oock dieren, en voghelen der foreesten :
maer sonderlinghe lustich, om aenschouwen,
Frissche Ionghelinghen, en schoon Ionckvrouwen,
Oude Mannen, Matroonen, alle soorte
Van Kinderen, oudt en jongh van gheboorte.

 
26 Daer beneffens Landtschap, en metserije,
Oock cieraten, ghetuygh, en ornamenten,
Menigherley aerdighe fantasije
Der Copia, en t’maeckt schoon Harmonye
Der welstandicheyt in Picturams tenten,
nae t’ghetuyghen van moderne Schribenten,
Als Leon Baptistae de Albertis,{Leon was een Florentijn, schreef ontrent Anno 1481.}
En Rivius, van wient oock nae behert is.{Gualt. Rivius mat. zijn Boec is ghedruckt Anno 1547.}    

Quotation

Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio. J’avouë que dans la speculation l’on peut comprendre de quelle sorte les objets doivent diminuer de couleur par ces differentes coupes. Mais quand on vient à la pratique, cette speculation, ou le raisonnement qui fait juger combien un corps doit perdre de sa couleur lors qu’on le veut faire paroistre enfoncé dans le tableau dix ou douze pieds plus qu’un autre, ne peut apprendre précisément comment il faut diminuer la teinte de cette couleur, & la proportionner à son éloignement. Avez-vous jamais remarqué un maistre de Musique qui accorde un luth ou une harpe, il vous fera bien connoistre quel ton la premiere corde doit avoir avec la seconde, & ainsi des autres : mais il ne peut vous enseigner à les accorder, en vous disant qu’il faut tourner les chevilles un certain nombre de tours. Il faut que ce soit l’oreille qui juge de l’harmonie lors qu’on les touche. De mesme dans les couleurs on peut dire qu’il en faut diminuer ou augmenter la teinte à mesure qu’elles s’éloignent ou s’approchent ; ou qu’elles reçoivent divers accidents d’ombres & de lumieres : mais c’est à l’œil à juger du plus ou du moins de force qu’on leur donne en les meslant.

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Neither yet is this Proportion proper unto painting alone, but extendeth it self even unto all other Arts […] ; because it was the first pattern of all Artificial things : So that there is no Art, but is someway beholding to Proportion : yet notwithstanding the Painter as (Loo Baptista Albertus affirmeth) insomuch as he considereth mans Body more especially, is justly preferred before all other Artizans, which imitate the same, because antiquity meaning to grace Painting above all the rest, Handicrafts men exempting onely Painters out of that number.

Quotation

Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio. J’avouë que dans la speculation l’on peut comprendre de quelle sorte les objets doivent diminuer de couleur par ces differentes coupes. Mais quand on vient à la pratique, cette speculation, ou le raisonnement qui fait juger combien un corps doit perdre de sa couleur lors qu’on le veut faire paroistre enfoncé dans le tableau dix ou douze pieds plus qu’un autre, ne peut apprendre précisément comment il faut diminuer la teinte de cette couleur, & la proportionner à son éloignement. Avez-vous jamais remarqué un maistre de Musique qui accorde un luth ou une harpe, il vous fera bien connoistre quel ton la premiere corde doit avoir avec la seconde, & ainsi des autres : mais il ne peut vous enseigner à les accorder, en vous disant qu’il faut tourner les chevilles un certain nombre de tours. Il faut que ce soit l’oreille qui juge de l’harmonie lors qu’on les touche. De mesme dans les couleurs on peut dire qu’il en faut diminuer ou augmenter la teinte à mesure qu’elles s’éloignent ou s’approchent ; ou qu’elles reçoivent divers accidents d’ombres & de lumieres : mais c’est à l’œil à juger du plus ou du moins de force qu’on leur donne en les meslant.
Cependant, interrompit Pymandre, si un grand ouvrage est traité avec le mesme art qu’un plus petit, le plus grand ne doit-il pas estre plus estimé ?
Il est vray, répondis-je ; mais c’est en quoy ils trouvoient de la difficulté, demeurant quasi tous d’accord qu’on ne peut faire paroistre tant de force dans une grande disposition d’ouvrage que dans un tableau qui est composé de peu de figures ; & la raison qu’ils en apportoient, est que la Peinture a ses bornes & ses limites […].
Cependant, dit Pymandre, il me semble qu’il faut bien plus de science pour traitter un grand ouvrage, pour le bien disposer, pour le remplir d’une infinité de differentes figures, d’habits, d’accomodemens, & pour y faire paroistre toutes ces parties dont vous m’avez parlé, que pour peindre seulement trois ou quatre figures ensemble.
Je vous avouë, repartis-je, que pour bien representer un grand sujet, il faut beaucoup plus de science, plus de travail, & que c’est-là qu’un Peintre a toute l’estendüe necessaire pour donner des marques de son sçavoir. Mais il y en a qui vous diront que ce n’est pas dans ces rencontres que l’art peut faire paroistre davantage sa puissance & la force de ses charmes.

 
[...] De sorte, dist Pymandre, que je puis sur cela vous faire une question, & vous demander ce que l’on doit le plus estimer dans un tableau ou le genie du Peintre, ou la force de l’Art.
Comme l’esprit du Peintre paroist dans tout ce qu’il fait, repartis-je, vous pourriez plustost demander lequel est le plus digne d’estime, ou celuy qui sçait tromper par la force de son Art, ou celuy qui montre beaucoup d’invention & de feu dans de grands ouvrages, mais qui ne trompent point comme les autres.


[…] Car c’est ainsi qu’ils jugent en deux manieres de l’obligation du Peintre ; l’une qui est de sçavoir comment les choses doivent estre historiées ; & l’autre de les sçavoir bien peindre. Or comme la derniere est sans doute tres-difficile, puis qu’en cet art, comme dans plusieurs autres, l’execution est au dessus de la theorie, il est toujours plus avantageux de pouvoir faire que de sçavoir simplement ce qu’il faut faire, ils trouvent qu’il est plus glorieux au Titien d’avoir exécuté ses ouvrages dans la perfection des couleurs où elles se voyent, que s’il n’eust sceu, comme quantité d’autres Peintres, qu’inventer de grands sujets qui n’eussent pas esté peints avec cette beauté que l’on admire dans ses ouvrages.

Pour moy, respondit Pymandre, je ne voudrois pas donner mon jugement là dessus ;
mais j'ay leu que Zeuxis ayant peint une Centaure, se fascha voyant que l’on en estimoit plustost la nouvelle invention, que l’art qu’il avoit employé à la bien representer, estimant davantage cette derniere partie que la premiere. Et j’ay encore remarqué que les Anciens ont fait beaucoup de cas de plusieurs tableaux qui n’estoient que de peu de figures.
C’est pourquoy, repris-je, ceux qui ont une inclination particuliere pour les Ouvrages du Titien, & des autres Peintres de Lombardie, disent que si les Anciens ont receu beaucoup de loüanges pour des sujets de peu de figures, l’on ne doit pas trouver à redire si le Titien pour les imiter a plustost tasché d’acquerir la partie de bien peindre, que celle qui regarde les grandes dispositions, & la connoissance particuliere de l’Histoire & des Coustumes. Car c’est ainsi qu’ils jugent en deux manieres de l’obligation du Peintre ; l’une qui est de sçavoir comment les choses doivent estre historiées ; & l’autre de les sçavoir bien peindre. Or comme la derniere est sans doute tres-difficile, puis qu’en cet art, comme dans plusieurs autres, l’execution est au dessus de la theorie, il est toujours plus avantageux de pouvoir faire que de sçavoir simplement ce qu’il faut faire, ils trouvent qu’il est plus glorieux au Titien d’avoir executé ses ouvrages dans la perfection des couleurs où elles voyent, que s’il n’eust sceu, comme quantité d’autres Peintres, qu’inventer de grands sujets qui n’eussent pas esté peints avec cette beauté que l’on admire dans ses ouvrages.
 
[...] Il gardoit parfaitement, luy repondis-je, cette maxime, dont je croy avoir déjà parlé sur le sujet de l’ordonnance, qui est de ne pas remplir ses tableaux de quantité de petites choses, mais d’éviter le deffaut où tombent plusieurs Peintres, qui par la quantité excessive des parties dont ils composent leurs ouvrages les rendent, petits & plains de ce que les Italiens appellent Triterie.
 
[…]
Car encore que la perspective de l’air, & l’affoiblissement des couleurs, par cette coupe dont je viens de parler, soit en effet dans les tableaux, ce qui fait fuir ou avancer les corps ; le Peintre neanmoins qui doit toujours chercher à se prevaloir de toutes sortes des moyens & des secrets de son art quand il veut imiter la force de la Nature, est d’autant plus digne d’estime qu’il sçait découvrir des chemins comme inconnus, pour arriver à son but. C’est pourquoy le Titien sçavoit qu’outre l’affoiblissement que les couleurs reçoivent par les coupes de l’air, & par les differens éloignemens, il y a encore dans les mesmes couleurs, ou une force ou une foiblesse essentielle à leur nature laquelle rend à la veuë les unes plus sensibles que les autres, comme nous avons déjà remarqué ; il sçavoit, dis-je, tout cela, & c’est pourquoy il a toujours observé autant qu’il a pu de les ranger les unes auprès des autres, en sorte que les plus fortes fussent sur les plus foibles.

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Now the Effects proceeding from Proportion are unspeakable, the Principal whereof, is that Majestie and Beautie which is found in Bodies, called by Vitruvius, EURITHMIA. And hence it is, that when behold a well-proportioned thing, we call it Beautiful, as if we should say, Indued with that exact and comely Grace, whereby all the Perfection of sweet Delights belonging to the Sight, are communicated to the Eye, and so conveyed to the Understanding.
But if we shall enter into a farther Consideration of this
Beauty, it will appear most evidently in things appertaining to Civil Discipline ; for it is strange to consider what effects of Piety, Reverence and Religion, are stirred up in mens Minds, by means of this suitable comeliness of apt proportion. A pregnant example whereof we have in the Jupiter carved by Phidias at Elis, which wrought an extraordinary sense of Religion in the People, whereupon the antient and renowned Zeuxis well knowing the excellency and dignity thereof, perswaded Greece in her most flourishing Estate, that the Pictures wherein this Majesty appeared were dedicated to great Princes, and consecrated to the Temples of the Immortal gods, so that they held them in exceeding great estimation ; partly because they were the Works of those famous Masters, who were reputed as gods amongt men ; and partly because they not only represented the Works of God, but also supplyed the defects of Nature : ever making choice of the Flower and Quintessence of Eye-pleasing delights.
Neither yet is this Proportion proper unto painting alone, but extendeth it self even unto all other Arts […] ; because it was the first pattern of all Artificial things : So that there is no Art, but is someway beholding to Proportion : yet notwithstanding the Painter as (Loo Baptista Albertus affirmeth) insomuch as he considereth mans Body more especially, is justly preferred before all other Artizans, which imitate the same, because antiquity meaning to grace Painting above all the rest, Handicrafts men exempting onely Painters out of that number.

Quotation

Cependant, dit Pymandre, il me semble que vous venez de dire que ce qui fait le fort & le foible, & ce que vous appelez l’affoiblissement des teintes, se doit comprendre par les diverses coupes qu’on se peut imaginer à mesure que les corps s’éloignent.
Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio.

Quotation

Cependant, dit Pymandre, il me semble que vous venez de dire que ce qui fait le fort & le foible, & ce que vous appelez l’affoiblissement des teintes, se doit comprendre par les diverses coupes qu’on se peut imaginer à mesure que les corps s’éloignent.
Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio. J’avouë que dans la speculation l’on peut comprendre de quelle sorte les objets doivent diminuer de couleur par ces differentes coupes. Mais quand on vient à la pratique, cette speculation, ou le raisonnement qui fait juger combien un corps doit perdre de sa couleur lors qu’on le veut faire paroistre enfoncé dans le tableau dix ou douze pieds plus qu’un autre, ne peut apprendre précisément comment il faut diminuer la teinte de cette couleur, & la proportionner à son éloignement. Avez-vous jamais remarqué un maistre de Musique qui accorde un luth ou une harpe, il vous fera bien connoistre quel ton la premiere corde doit avoir avec la seconde, & ainsi des autres : mais il ne peut vous enseigner à les accorder, en vous disant qu’il faut tourner les chevilles un certain nombre de tours. Il faut que ce soit l’oreille qui juge de l’harmonie lors qu’on les touche. De mesme dans les couleurs on peut dire qu’il en faut diminuer ou augmenter la teinte à mesure qu’elles s’éloignent ou s’approchent ; ou qu’elles reçoivent divers accidents d’ombres & de lumieres : mais c’est à l’œil à juger du plus ou du moins de force qu’on leur donne en les meslant.

Quotation

25 Want t’ghebruycken (alst past) constighe gheesten
In d’History een overvloet te bouwen, {Van rijckelijc zijn Ordinantie te vervullen.}
Van Peerden, Honden, oft meer tamme Beesten,
Oock dieren, en voghelen der foreesten :
maer sonderlinghe lustich, om aenschouwen,
Frissche Ionghelinghen, en schoon Ionckvrouwen,
Oude Mannen, Matroonen, alle soorte
Van Kinderen, oudt en jongh van gheboorte.

 
26 Daer beneffens Landtschap, en metserije,
Oock cieraten, ghetuygh, en ornamenten,
Menigherley aerdighe fantasije
Der Copia, en t’maeckt schoon Harmonye
Der welstandicheyt in Picturams tenten,
nae t’ghetuyghen van moderne Schribenten,
Als Leon Baptistae de Albertis,{Leon was een Florentijn, schreef ontrent Anno 1481.}
En Rivius, van wient oock nae behert is.{Gualt. Rivius mat. zijn Boec is ghedruckt Anno 1547.}    

Quotation

26 Daer beneffens Landtschap, en metserije,
Oock cieraten, ghetuygh, en ornamenten,
Menigherley aerdighe fantasije
Der Copia, en t’maeckt schoon Harmonye
Der welstandicheyt in Picturams tenten,
nae t’ghetuyghen van moderne Schribenten,
Als Leon Baptistae de Albertis,{Leon was een Florentijn, schreef ontrent Anno 1481.}
En Rivius, van wient oock nae behert is.{Gualt. Rivius mat. zijn Boec is ghedruckt Anno 1547.}    

Quotation

Now the Effects proceeding from Proportion are unspeakable, the Principal whereof, is that Majestie and Beautie which is found in Bodies, called by Vitruvius, EURITHMIA. And hence it is, that when behold a well-proportioned thing, we call it Beautiful, as if we should say, Indued with that exact and comely Grace, whereby all the Perfection of sweet Delights belonging to the Sight, are communicated to the Eye, and so conveyed to the Understanding.
But if we shall enter into a farther Consideration of this
Beauty, it will appear most evidently in things appertaining to Civil Discipline ; for it is strange to consider what effects of Piety, Reverence and Religion, are stirred up in mens Minds, by means of this suitable comeliness of apt proportion. A pregnant example whereof we have in the Jupiter carved by Phidias at Elis, which wrought an extraordinary sense of Religion in the People, whereupon the antient and renowned Zeuxis well knowing the excellency and dignity thereof, perswaded Greece in her most flourishing Estate, that the Pictures wherein this Majesty appeared were dedicated to great Princes, and consecrated to the Temples of the Immortal gods, so that they held them in exceeding great estimation ; partly because they were the Works of those famous Masters, who were reputed as gods amongt men ; and partly because they not only represented the Works of God, but also supplyed the defects of Nature : ever making choice of the Flower and Quintessence of Eye-pleasing delights.

Quotation

Neither yet is this Proportion proper unto painting alone, but extendeth it self even unto all other Arts […] ; because it was the first pattern of all Artificial things : So that there is no Art, but is someway beholding to Proportion : yet notwithstanding the Painter as (Loo Baptista Albertus affirmeth) insomuch as he considereth mans Body more especially, is justly preferred before all other Artizans, which imitate the same, because antiquity meaning to grace Painting above all the rest, Handicrafts men exempting onely Painters out of that number.

Quotation

Cependant, dit Pymandre, il me semble que vous venez de dire que ce qui fait le fort & le foible, & ce que vous appelez l’affoiblissement des teintes, se doit comprendre par les diverses coupes qu’on se peut imaginer à mesure que les corps s’éloignent.
Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio.

Quotation

Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio. J’avouë que dans la speculation l’on peut comprendre de quelle sorte les objets doivent diminuer de couleur par ces differentes coupes. Mais quand on vient à la pratique, cette speculation, ou le raisonnement qui fait juger combien un corps doit perdre de sa couleur lors qu’on le veut faire paroistre enfoncé dans le tableau dix ou douze pieds plus qu’un autre, ne peut apprendre précisément comment il faut diminuer la teinte de cette couleur, & la proportionner à son éloignement. Avez-vous jamais remarqué un maistre de Musique qui accorde un luth ou une harpe, il vous fera bien connoistre quel ton la premiere corde doit avoir avec la seconde, & ainsi des autres : mais il ne peut vous enseigner à les accorder, en vous disant qu’il faut tourner les chevilles un certain nombre de tours. Il faut que ce soit l’oreille qui juge de l’harmonie lors qu’on les touche. De mesme dans les couleurs on peut dire qu’il en faut diminuer ou augmenter la teinte à mesure qu’elles s’éloignent ou s’approchent ; ou qu’elles reçoivent divers accidents d’ombres & de lumieres : mais c’est à l’œil à juger du plus ou du moins de force qu’on leur donne en les meslant.
Cependant, interrompit Pymandre, si un grand ouvrage est traité avec le mesme art qu’un plus petit, le plus grand ne doit-il pas estre plus estimé ?
Il est vray, répondis-je ; mais c’est en quoy ils trouvoient de la difficulté, demeurant quasi tous d’accord qu’on ne peut faire paroistre tant de force dans une grande disposition d’ouvrage que dans un tableau qui est composé de peu de figures ; & la raison qu’ils en apportoient, est que la Peinture a ses bornes & ses limites […].
Cependant, dit Pymandre, il me semble qu’il faut bien plus de science pour traitter un grand ouvrage, pour le bien disposer, pour le remplir d’une infinité de differentes figures, d’habits, d’accomodemens, & pour y faire paroistre toutes ces parties dont vous m’avez parlé, que pour peindre seulement trois ou quatre figures ensemble.
Je vous avouë, repartis-je, que pour bien representer un grand sujet, il faut beaucoup plus de science, plus de travail, & que c’est-là qu’un Peintre a toute l’estendüe necessaire pour donner des marques de son sçavoir. Mais il y en a qui vous diront que ce n’est pas dans ces rencontres que l’art peut faire paroistre davantage sa puissance & la force de ses charmes.

 
[...] De sorte, dist Pymandre, que je puis sur cela vous faire une question, & vous demander ce que l’on doit le plus estimer dans un tableau ou le genie du Peintre, ou la force de l’Art.
Comme l’esprit du Peintre paroist dans tout ce qu’il fait, repartis-je, vous pourriez plustost demander lequel est le plus digne d’estime, ou celuy qui sçait tromper par la force de son Art, ou celuy qui montre beaucoup d’invention & de feu dans de grands ouvrages, mais qui ne trompent point comme les autres.


[…] Car c’est ainsi qu’ils jugent en deux manieres de l’obligation du Peintre ; l’une qui est de sçavoir comment les choses doivent estre historiées ; & l’autre de les sçavoir bien peindre. Or comme la derniere est sans doute tres-difficile, puis qu’en cet art, comme dans plusieurs autres, l’execution est au dessus de la theorie, il est toujours plus avantageux de pouvoir faire que de sçavoir simplement ce qu’il faut faire, ils trouvent qu’il est plus glorieux au Titien d’avoir exécuté ses ouvrages dans la perfection des couleurs où elles se voyent, que s’il n’eust sceu, comme quantité d’autres Peintres, qu’inventer de grands sujets qui n’eussent pas esté peints avec cette beauté que l’on admire dans ses ouvrages.

Pour moy, respondit Pymandre, je ne voudrois pas donner mon jugement là dessus ;
mais j'ay leu que Zeuxis ayant peint une Centaure, se fascha voyant que l’on en estimoit plustost la nouvelle invention, que l’art qu’il avoit employé à la bien representer, estimant davantage cette derniere partie que la premiere. Et j’ay encore remarqué que les Anciens ont fait beaucoup de cas de plusieurs tableaux qui n’estoient que de peu de figures.
C’est pourquoy, repris-je, ceux qui ont une inclination particuliere pour les Ouvrages du Titien, & des autres Peintres de Lombardie, disent que si les Anciens ont receu beaucoup de loüanges pour des sujets de peu de figures, l’on ne doit pas trouver à redire si le Titien pour les imiter a plustost tasché d’acquerir la partie de bien peindre, que celle qui regarde les grandes dispositions, & la connoissance particuliere de l’Histoire & des Coustumes. Car c’est ainsi qu’ils jugent en deux manieres de l’obligation du Peintre ; l’une qui est de sçavoir comment les choses doivent estre historiées ; & l’autre de les sçavoir bien peindre. Or comme la derniere est sans doute tres-difficile, puis qu’en cet art, comme dans plusieurs autres, l’execution est au dessus de la theorie, il est toujours plus avantageux de pouvoir faire que de sçavoir simplement ce qu’il faut faire, ils trouvent qu’il est plus glorieux au Titien d’avoir executé ses ouvrages dans la perfection des couleurs où elles voyent, que s’il n’eust sceu, comme quantité d’autres Peintres, qu’inventer de grands sujets qui n’eussent pas esté peints avec cette beauté que l’on admire dans ses ouvrages.
 
[...] Il gardoit parfaitement, luy repondis-je, cette maxime, dont je croy avoir déjà parlé sur le sujet de l’ordonnance, qui est de ne pas remplir ses tableaux de quantité de petites choses, mais d’éviter le deffaut où tombent plusieurs Peintres, qui par la quantité excessive des parties dont ils composent leurs ouvrages les rendent, petits & plains de ce que les Italiens appellent Triterie.
 
[…]
Car encore que la perspective de l’air, & l’affoiblissement des couleurs, par cette coupe dont je viens de parler, soit en effet dans les tableaux, ce qui fait fuir ou avancer les corps ; le Peintre neanmoins qui doit toujours chercher à se prevaloir de toutes sortes des moyens & des secrets de son art quand il veut imiter la force de la Nature, est d’autant plus digne d’estime qu’il sçait découvrir des chemins comme inconnus, pour arriver à son but. C’est pourquoy le Titien sçavoit qu’outre l’affoiblissement que les couleurs reçoivent par les coupes de l’air, & par les differens éloignemens, il y a encore dans les mesmes couleurs, ou une force ou une foiblesse essentielle à leur nature laquelle rend à la veuë les unes plus sensibles que les autres, comme nous avons déjà remarqué ; il sçavoit, dis-je, tout cela, & c’est pourquoy il a toujours observé autant qu’il a pu de les ranger les unes auprès des autres, en sorte que les plus fortes fussent sur les plus foibles.

Quotation

Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio. J’avouë que dans la speculation l’on peut comprendre de quelle sorte les objets doivent diminuer de couleur par ces differentes coupes. Mais quand on vient à la pratique, cette speculation, ou le raisonnement qui fait juger combien un corps doit perdre de sa couleur lors qu’on le veut faire paroistre enfoncé dans le tableau dix ou douze pieds plus qu’un autre, ne peut apprendre précisément comment il faut diminuer la teinte de cette couleur, & la proportionner à son éloignement. Avez-vous jamais remarqué un maistre de Musique qui accorde un luth ou une harpe, il vous fera bien connoistre quel ton la premiere corde doit avoir avec la seconde, & ainsi des autres : mais il ne peut vous enseigner à les accorder, en vous disant qu’il faut tourner les chevilles un certain nombre de tours. Il faut que ce soit l’oreille qui juge de l’harmonie lors qu’on les touche. De mesme dans les couleurs on peut dire qu’il en faut diminuer ou augmenter la teinte à mesure qu’elles s’éloignent ou s’approchent ; ou qu’elles reçoivent divers accidents d’ombres & de lumieres : mais c’est à l’œil à juger du plus ou du moins de force qu’on leur donne en les meslant.